Section 2. Le droit turc de la lutte antiterroriste : une législation assez suffisante mais également complexe pour une lutte efficace

Le droit turc s’est inspiré de différents systèmes des démocraties occidentales. Historiquement, il s’est développé au cours de trois grandes périodes : la première période correspond à la période du droit musulman de 1299 - fondation de l’Empire ottoman - jusqu’au nouveau Code de commerce qui a été en vigueur à partir de 1850 ; la deuxième période se caractérise par la coexistence du droit islamique et du droit occidental et par l’application du firman du Tanzimat, qui avait pour but de moderniser la structure de l’Etat ; la dernière période commence par la proclamation de la République de Turquie, en 1923. Dans cette dernière période, une série de lois a été adoptée sur le modèle occidental, et ce dernier a été considéré et appliqué en tant que seule référence de la vie quotidienne.

Le régime politique de la Turquie est un régime parlementaire classique. Le pouvoir législatif est confié à l’Assemblée Nationale et ne peut être délégué. Soit le Conseil des Ministres soit les députés présentent les lois. Le texte du Cabinet est appelé « projet de loi », celui des députés « proposition de loi ». La discussion des projets et des propositions au sein de l’Assemblée nationale est réglée conformément au régime interne de l’Assemblée. Dans ces conditions, l’adoption d’une loi relative à la lutte antiterroriste doit reposer sur un consensus parlementaire.

En matière de lutte contre le terrorisme, la Turquie dispose d’une législation assez suffisante pour mener une lutte efficace. Au niveau interne, la Turquie dispose d’une loi antiterroriste qui est à la fois récente et spécialisée. La loi relative à la lutte contre le terrorisme(Terorle Mucadele Kanunu - TMK) a été adoptée en 1991 afin de mieux répondre à la montée en puissance de la menace terroriste sur le territoire national. Auparavant, certaines dispositions législatives avaient été prises par le biais des coups d’Etat militaire des années 1970 et 1980, dans le cadre de la sécurité de l’Etat et de ses institutions. Après son adoption, la loi TMK a été le principal instrument juridique de lutte antiterroriste et il a été possible de définir l’acte terroriste et ses auteurs. En dehors de cette loi, le droit pénal turc disposait de plus de vingt lois différentes qui invitaient les institutions concernées, notamment la Police Nationale et les services de sécurité, à prendre des mesures nécessaires en la matière.

Au niveau international, la Turquie a joué un rôle actif dans l’élaboration et l’adoption de divers documents internationaux comme par exemple la Convention européenne sur la répression du terrorisme. Les autorités turques ont contribué de façon notoire à la rédaction et à l’adoption de résolutions et d’accords dans le cadre de diverses organisations internationales. Comme le système juridique de la Turquie se caractérise comme moniste, le droit international fait directement partie de l’ordre juridique interne. C’est pour cette raison que les mesures relatives à la lutte antiterroriste du droit international y sont acceptées comme celles du droit interne.

Depuis les événements du 11 septembre 2001, la montée en puissance du terrorisme sur le territoire national comme dans le monde entier a poussé les autorités politiques à s’efforcer de développer le droit de la lutte antiterroriste. Une série de mesures a été adoptée au niveau interne pour faciliter les tâches des institutions concernées. Au niveau externe, le gouvernement turc a appuyé sans réserve les efforts déployés par la communauté internationale. Dans cette perspective, le droit turc de lutte contre le terrorisme peut se grouper en deux dimensions : la législation antiterroriste stricto sensu et lato sensu. Il faut également montrer la participation juridique de la Turquie à la lutte internationale contre le terrorisme pour mieux comprendre la place importante de loi dans la lutte contre le terrorisme.

La législation stricto sensu signifie ici les principales dispositions légales relatives à la lutte contre le terrorisme. Il s’agit tout d’abord de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, ensuite du Code Pénal Turc et enfin des dispositifs complémentaires tels que la loi sur la réinsertion à la société et la loi relative à l’indemnisation des dommages résultant du terrorisme ou de la lutte contre le terrorisme.

La loi relative à la lutte contre le terrorisme 308 a été adoptée en avril 1991. Elle est une loi récente et spécialisée mais pas d’exception. Sa mise en place a connu diverses étapes depuis sa première adoption et la dernière de l’année 2006 parmi elles, a apporté des modifications importantes. Composée de vingt-cinq articles au total, la loi énonce les dispositions de la lutte antiterroriste en vigueur en cinq parties telles que la définition et l’acte de terrorisme, la procédure criminelle, l’exécution des peines, les procédures divers ou encore les procédures provisoires. Elle renvoie également aux différentes dispositions du Code pénal et à quelques autres législations.

La première partie de cette loi définit en détail le terrorisme et les actes terroristes. Avant cette loi, aucune définition du terrorisme n’existait en droit turc. L’article premier retient trois critères principaux - le mode opératoire, le but poursuivi par l’acte et l’organisation - pour qu’un acte puisse être qualifié d’acte terroriste :

  • D’abord, la loi considère comme méthodes constitutives de l’infraction, celles qui sont caractérisées par la pression, la contrainte, la violence, la terreur, l’intimidation et l’oppression ou la menace.
  • Ensuite, les buts poursuivi par l’acte sont aussi larges : tout acte ayant pour objet de porter atteinte aux caractères fondamentaux de la République, tels que déterminés par la Constitution ainsi qu’à l’ordre politique, juridique, social, laïque et économique, à l’unité indivisible de l’Etat avec son territoire et de la nation, ainsi que de tout acte ayant pour objet de mettre en danger l’existence de la République de Turquie, à l’autorité étatique, aux droits et libertés fondamentaux, à la sûreté interne et internationale, à l’ordre public ou à la santé publique.
  • Enfin, pour le dernier critère, pour qu’un acte puisse être qualifié d’acte terroriste, il faut qu’il ait été commis par une personne ou des personnes appartenant à une organisation.

L’article 2 de la loi définit l’auteur d’acte terroriste comme « une personne, appartenant aux organisations constituées afin d’atteindre les buts énumérés à l’article premier, qui commet un acte seul ou avec d’autres ». Le même article précise «  celui qui ne commet pas l’acte visé mais est membre de l’organisation » comme l’auteur d’acte terroriste. En vertu de l’alinéa 2, « les personnes non membres de l’organisation ayant participé activement à la réalisation de ses buts sont également considérées comme auteurs d’actes terroristes ».

L’article 3 de la loi antiterroriste renvoie par son article 3, à la quatrième partie du Code Pénal Turc intitulé « les délits commis contre la sécurité de l’Etat » 309 afin de préciser les actes de terrorisme. L’article 4 de la loi antiterroriste affirme aussi que quelques actes mentionnés dans les articles du code pénal 310 , de la loi sur les armes à feu, couteaux et autres instruments analogues 311 , du code de forêt 312 , de la loi relative à la lutte contre la fraude 313 , de la Constitution 314 et de la loi relative à la protection de la culture et des choses de la nature 315 sont considérés comme des actes terroristes lorsqu’ils ont été commis dans le cadre des critères définis à l’article 1 de la loi antiterroriste. Enfin, l’article 5 prévoit des peines aggravées pour tout acte commis tels que définis dans les articles ci-dessus.

La loi apporte dans son article 6, intitulé le déchiffrement et la publication, des mesures contre le déchiffrement et la publication de cibles des organisations terroristes et de personnel déjà chargés dans la lutte antiterroriste. En plus, elle interdit la publication par les tiers, de déclarations des organisations terroristes, de l’identité de dénonciateurs et de la propagande par la presse des organisations terroristes.

Par son article 7, intitulé les organisations terroristes, la loi pénalise non seulement les fondateurs, les dirigeants et les membres d’organisations terroristes mais également celui qui fait la propagande d’organisations terroristes. En plus, en cas de propagande par la presse ou dans les établissements publics comme ceux des syndicats, d’associations, d’universités etc., les peines sont aggravées en dépit de celui qui fait une telle propagande. Cet article contient aussi une pénalisation en matière de participation aux manifestations transformées à la propagande d’organisations terroristes.

Le financement du terrorisme a été également repris dans la loi antiterroriste. L’article 8 prévoit de pénaliser ceux qui, en étant conscients et volontaires, assurent le financement pour les actes terroristes et aggrave la peine en cas d’abus de pouvoir par les fonctionnaires en utilisant la compétence du service public. La loi concerne également la responsabilité de personne morale dans un tel acte. En effet, la loi n’établit pas de distinction entre l’infraction de financement du terrorisme et les infractions terroristes. L’apport d’une aide et la collaboration à des organisations terroristes sont toutefois passibles des sanctions prévues par cet article. Outre la loi antiterroriste, le législateur prévoit par l’article 220/7 du Code pénal que quiconque apporte son aide à une organisation et y collabore sciemment et intentionnellement, même sans appartenir à sa structure hiérarchique, est passible de sanctions comme membre de cette organisation.

La deuxième partie de la loi antiterroriste concerne la procédure criminelle. L’article 9 prévoit que les personnes suspectées, inclus les enfants de plus de 15 ans, d’avoir commis des infractions terroristes sont jugées devant les Cours Criminelles 316. Avant les modifications apportées en 2004, les Cours de Sûreté d’Etat 317 étaient compétentes pour connaître des affaires relatives aux actes de terrorisme. Les personnes suspectées étaient jugées selon les procédures ordinaires prévues dans le Code de Procédure Pénale et les procédures spéciales prévues dans la loi relative aux Cours de Sûreté d’Etat qui ont été supprimés en 2004, dans le cadre de concordance aux normes européennes.

La loi ordonne les méthodes d’enquête dans son article 10 référant aux articles 250 et 252 du Code de Procédure Pénale. Le législateur précise que les règles ordinaires communes à l’ensemble des instructions, telles qu’elles sont définies dans le Code de Procédure Pénale, s’appliquent également aux affaires visant des infractions à caractère terroriste. Les mesures suivantes peuvent revêtir une importance particulière : la garde à vue ne peut pas dépasser les 24 heures à partir du moment de la détention et au bout de ces 24 heures l’intéressé doit obligatoirement comparaître devant un juge ; la détention provisoire qui est un principe légalement prévu dans l’énoncé de l’article 19 de la Constitution de 1982, a été autorisée pour les infractions terroristes, car le motif de détention pourra être considéré comme existant, en cas de forts soupçons de culpabilité ; par l’article 13, les peines d’emprisonnement ne sont pas convertibles en amende, sauf pour ceux qui ont moins de 15 ans.

La loi essaye d’assurer une protection juridique pour le personnel des unités antiterroristes pendant et après les opérations. L’article 2-joint prévoit que « pendant les opérations contre les organisations terroristes, le personnel de services de sécurité sont autorisés, en cas de non respect à l’ordre de « la sommation de ne pas bouger » ou de la tentative à utiliser à leurs armes, à utiliser leurs armes vers la cible, sans attendre mais équivalent et faisant inefficace la menace. En plus la loi prévoit également, le paiement des dépenses jusqu’à 3 avocats 318 en cas d’un personnel qui s’affronte une telle procédure pénale.

Au reste, la loi antiterroriste concerne les procédures relatives à l’exécution des peines, à procédures diverse et provisoire. La troisième partie contient des articles en matière d’exécution des peines et de protection de détenus (art.16), la remise en liberté conditionnelle (art.17) tandis que la quatrième partie prévoit le prix à celui qui dénonce les auteurs des actes terroristes (art.19), la protection du personnel chargé dans le mécanisme de la lutte antiterroriste et des dénonciateurs (art.20)319, et l’aide apporté aux victimes (art.21-22). Enfin, la cinquième partie précise les procédures provisoires comme la remise en liberté conditionnelle (art.pro.1), la situation des auteurs d’actes avant l’adoption de la loi antiterroriste de 1991 (art.prov.2-4), l’exécution des peines (art.prov.3), la perte de la nationalité turque (art.prov.5), les prisons des détenus et les procédures abolies etc.

Comme la menace terroriste pèse sur la Turquie, notamment après les attentats d’Istanbul en 2003, la loi antiterroriste a été modifiée en 2006 afin de mieux assurer la sécurité de l’Etat et de ses citoyens. Du côté du Gouvernement, la modification était nécessaire pour que les institutions concernées, notamment celles de sécurité, puissent mieux réaliser leurs tâches. Quant à eux, les services de sécurité avaient déjà déclaré leurs besoins en matière d’adoption de nouveaux instruments juridiques. Enfin, considérant que la menace terroriste constitue un risque croissant, persistant et en mutation constante, la modification a complété le dispositif déjà mis en place en 1991 et modifié en 1995.

Quant au Code Pénal Turc 320 , qui a été adopté en mars 1926, ce dernier recueil des lois qui définissent les infractions et précisent les peines. En mettant en place identique les articles relatifs à la sécurité de l’Etat, il a été renouvelé en octobre 2004, sous le nom du Nouveau Code Pénal Turc 321 . Le législateur a visé par cette modification à reformer le système judiciaire.

Les articles du Nouveau Code Pénal auxquels l’article 3 de la loi antiterroriste fait référence, concernent les crimes contre le territoire et la souveraineté de l’Etat (art.302), la destruction des installations militaires (art.307), les crimes commis contre l’ordre constitutionnel et contre le bon fonctionnement de l’organe législatif (art.309 et 311), les actes ayant pour objet de renverser ou de porter atteinte au bon fonctionnement du Conseil des Ministres (art.312), les actes consistant à enrôler ou à armer les citoyens turcs en Turquie sans l’autorisation du gouvernement (art.320), l’incitation à la révolte contre le gouvernement ou à l’homicide (art.313), les actes consistant à assassiner ou à tenter d’assassiner le Président de la République (310/a), la formation d’organisation ou d’une bande armées (art.314) et fournir des armes et munitions aux groupes de malfaiteurs (art.). Le Nouveau Code concerne aussi des articles, auxquels l’article 4 de la loi antiterroriste fait référence, relatifs aux crimes internationaux, contre les personnes, contre la société et contre la nation et l’Etat.

En dehors de ces deux juridictions majeures, un corpus de législations pertinentes contient également des dispositions en vue de la lutte antiterroriste. Il s’agit de la loi sur la réinsertion à la société et la loi relative à l’indemnisation des dommages résultant du terrorisme ou de la lutte contre le terrorisme. Ces juridictions ont complété la loi antiterroriste par diverses dispositions procédurales.

L’une de ces lois diverses est la loi sur la réinsertion dans la société 322 . Cette dernière a été adoptée en août 2003. C’est une loi brève, composée de neuf (9) articles et n’est pas en effet un accord 323 avec les organisations terroristes. Elle a eu pour but principal de« réintégrer des membres d’organisation terroriste à la société en vue de renforcer la paix et la solidarité sociales » 324 . Cette loi est destinée à l’application « aux membres d’organisations terroristes qui se rendent sans résistance armée aux autorités, soit directement de leur propre initiative, soit par le biais d’intermédiaires, ou bien ceux qui peuvent être considérés comme ayant quitté l’organisation terroriste et ceux qui ont été arrêtés, qu’ils aient ou non participé aux actes terroristes » 325 . De même, la loi s’applique également « aux personnes qui, quoique conscientes des buts poursuivis par l’organisation terroriste, leur ont fourni refuge, aliments, armes ou munitions, ou tout autre assistance » 326 . La loi renvoie par son article-2, à la loi antiterroriste et au code pénal quant à la définition des actes de terrorisme. Cette loi ne s’applique pas aux chefs d’organisations terroristes et ceux qui ont déclaré devant le juge ne pas vouloir bénéficier de cette loi. 327

L’un des apports principaux de cette loi réside dans le fait qu’elle permet une réduction des peines encourues lorsque les personnes qui souhaitent bénéficier de ladite loi donnent des informations et documents pertinents quant aux structures et activités de l’organisation terroriste. 328 Par ailleurs, la loi met en place une obligation de protection de ces personnes, mise à la charge du ministère de l’Intérieur qui doit assurer toutes mesures de sécurité aux personnes ayant acceptées de bénéficier de ladite loi. 329

Une autre loi, la loi relative à l’indemnisation des dommages résultant du terrorisme ou de la lutte contre le terrorisme 330 a été adoptée en juillet 2004. Le législateur a visé essentiellement par cette loi, à « mettre en place les règles et les procédures applicables concernant l’indemnisation des dommages matériels causés par des activités terroristes ou survenus lors de la lutte contre le terrorisme » 331 . Le champ d’application de cette loi couvre les actes définis aux articles 1, 3 et 4 de la loi antiterroriste. La loi ne couvre pas les dommages précisés dans l’article-2, qui peuvent être couverts par l’Etat en échange de terrain ou d’habitation, les dommages qui seront couverts conformément aux articles 30 et 31 de la loi numéro 4353, les dédommagements réalisés conformément à l’article 41 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme ou encore les règlements à l’amiable conclus dans le cadre de la Convention, les dommages émanant d’actes autres que le terrorisme, les dommages liés à des agissements individuels. Le ministère de l’Intérieur est chargé de l’application de cette loi par les commissions, qu’il doit constituer, si nécessaire, dans les départements et villes concernées.

En dehors des juridictions stricto sensu précisés ci-dessus, le législateur a adopté une série de lois relatives à la lutte contre la criminalité en général qu’on considère ici comme la législation antiterroriste lato sensu . Il faut préciser que l’intention principale du législateur, par ces lois, n’est plus directement la lutte antiterroriste mais l’apport à une réponse pénale adaptée, à divers degrés.

La loi relative à l’état d’urgence 332, qui prévoyait la mise en œuvre de l’état d’urgence, a été adoptée en novembre 1983. La loi visait une application de l’état d’urgence en cas de « catastrophe naturelle, d’épidémie ou de crise économique » et de « l’existence des présomptions importantes quant à la présence d’actes de violence commis en vue de supprimer la démocratie, les droits et libertés fondamentaux, et que l’ordre public est gravement troublé » 333 .

La loi de l’état d’urgence prévoyait par son article 9, de prendre des mesures nécessaires en cas d’état d’urgence. Mais, la troisième partie de la loi a été consacrée aux mesures à prendre relatives aux personnes, aux associations et aux institutions, en cas de mouvements violents. La loi concernait des mesures relatives non seulement à l’interdiction des activités personnelles et organisationnelles mais également à l’accroissement de la protection des institutions et des personnes sensibles. La loi a été proclamée dans certains départements, notamment à l’est de la Turquie pendant près de vingt ans et a été définitivement levée en juin 2002.

La loi sur la prévention du blanchiment d’argent 334 a été adoptée en novembre 1996. Par cette loi, les infractions de blanchiment d’argent ont été catégorisées comme des délits préalables aux actes de terrorisme contre l’Etat. La loi prévoyait également « une aggravation de peine en cas d’infractions du blanchiment en vue de financer les infractions terroristes » 335 .

La loi relative à la lutte contre les organisations à but illicite 336, qui a été adoptée en août 1999, concernait les mesures relatives à la lutte contre les organisations à but illicite. En énumérant les situations dans lesquelles une organisation serait considérée comme ayant but illicite, et en fixant les peines applicables dans son premier article, le législateur a visé à lutter contre les organisations de multiples motivations. La loi couvrait les organisations motivées par des intérêts économiques, politiques et utilisant la pression, la contrainte, le chantage et la violence. Si l’organisation est armée, la peine serait aggravée en dépit de cette dernière. En cas d’existence d’une idéologie, l’organisation est considérée comme terroriste et est qualifiée dans le cadre de la loi antiterroriste. Cette loi a été abolie en juin 2005 et les procédures précisées dans cette loi sont ordonnées dans les articles 135-140 du Code des Procédures Criminelles et dans l’article 220 du Code Pénal.

En dehors de lois ci-dessus, la loi relative à la lutte antiterroriste fait référence également à la Constitution et à quelques autres lois, par exemple, la loi relative à la lutte contre la fraude, la loi sur les armes à feu, couteaux et autres instruments analogues, le Code de Forêt et la loi relative à la protection de la culture et des choses de la nature. Toutes ces lois apportent, de leurs côtés, des mesures applicables à la lutte antiterroriste en cas d’acte commis par les membres d’organisations terroristes.

La lutte contre le terrorisme exige également une participation juridique à la lutte antiterroriste internationale . Le droit international337 est un système juridique qui règle les relations entre les Etats, les personnes ou les entités de nationalités différentes. Selon Hans Kelsen, le théoricien de l’organisation pyramidale des normes, l’Etat était le seul sujet du droit international. Mais la prolifération des organisations internationales au fil du temps, les a fait reconnaître comme sujet du droit international. Ces dernières années, l’individu a pris une place de plus en plus importante dans le système du droit international, notamment à l’égard de la protection des droits de l’Homme.

Le droit international a trois principales sources : les traités internationaux, la coutume et les principes généraux du droit. La doctrine et la jurisprudence constituent également deux sources secondaires. En matière de lutte contre le terrorisme, le droit international est l’ensemble des relations entre des Etats qui décident mutuellement d’avoir des rapports. A l’heure actuelle, treize instruments juridiques internationaux font partie intégrante de l’action mondiale menée contre le terrorisme. La résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui a été adoptée en 2001, a engagé les Etats à les ratifier sans délai. En plus, le Comité contre le terrorisme de l’ONU est déterminé à aider les Etats concernés à cet égard.

Les rapports entre le droit international et le droit interne posent le problème de l’hiérarchie. Deux positions théoriques découlent : la position moniste 338 , qui considère la supériorité du droit international sur le droit interne, et la position dualiste 339 , qui défend l’existence de deux ordres juridiques sans relation de subordination de l’un envers l’autre. En pratique, ces deux positions sont d’actualité mais, en effet, le droit international n’est pas un droit supérieur, transcendant et qui viendrait sanctionner l’Etat.

Les rapports entre le droit international et le droit turc se résument dans l’article 90 de Constitution turque de 1982. Selon cet article, « les traités internationaux signés et ratifiés par la République de Turquie conformément aux dispositions légales pertinentes acquièrent force de loi sur le plan national ». De ce fait, s’agissant de la coopération internationale en matière de lutte contre le terrorisme, la Turquie est liée par une multitude de traités que ce soit dans le cadre des Nations Unies, de l’Union Européenne et du Conseil de l’Europe et dans le cadre des accords bilatéraux et multilatéraux.

Dans le cadre des Nations Unies, la Turquie a signé et ratifié l’ensemble des Conventions relatives au terrorisme.340 Par ailleurs, elle a apporté un soutien total à la résolution 1373 du Conseil de sécurité 341 , qui demande aux Etats de collaborer d’urgence pour prévenir et réprimer les actes de terrorisme, notamment par une coopération accrue et l’application intégrale des conventions internationales relatives au terrorisme. Cette résolution, pour la première fois, a créé une obligation à la charge pour tous les Etats de prendre des mesures visant à la répression du terrorisme.

La lutte antiterroriste européenne est en fait ancienne. Elle a débuté dès 1976 par la création du Groupe TREVI 342 , afin de renforcer, par la coopération entre les Etats membres, les échanges d’informations dans ce domaine. Elle s’est intensifiée depuis les attentats de 2001 aux Etats-Unis, suivis de ceux perpétrés à Madrid en 2004 puis à Londres en 2005. Le Groupe TREVI avait été créé en dehors des traités européens. Depuis les attentats ci-dessus, l’Union Européenne a suivi une stratégie juridique centrée sur deux axes : d’une part, elle a adopté plusieurs textes législatifs européens, par exemple, la décision-cadre du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme où elle a adopté une définition commune du terrorisme343; d’autre part elle a participé en tant qu’Union aux mesures législatives adoptés par le Conseil de sécurité de l’ONU, notamment la résolution 1373.

La Turquie, en tant que candidat à l’Union Européenne, suit une stratégie favorable aux politiques antiterroristes européennes. Les responsables politiques ont déclaré plusieurs fois que la Turquie pourrait renforcer la lutte antiterroriste européenne, car les institutions concernées disposaient d’une capacité importante pour une telle lutte. Selon Elif Comoglu Ulgen344, de la Délégation turque auprès de la Communauté Européenne, « comme la Turquie est menacée par le terrorisme depuis des années, elle est sérieuse et volontaire pour la participation aux politiques européennes. En plus, personne ne peut nier l’expérience turque de la lutte antiterroriste ».

Le Conseil de l’Europe est une organisation politique du continent, regroupant quarante-six pays dont vingt et un Etats de l’Europe centrale et orientale. Il a été créé afin de « réaliser une union plus étroite entre ses membres » 345 , en matière de défense des droits de l’homme et de la démocratie parlementaire, et d’assurer la primauté du droit. Depuis le Sommet de Strasbourg, réalisé en octobre 1997, la sécurité des citoyens était un des quatre domaines 346 du plan d’action pour renforcer le travail du Conseil.

Le Conseil a commencé la mise en œuvre d’un plan et d’action contre le terrorisme après les attentats du 11 septembre 2001. Tout d’abord, le Groupe multidisciplinaire sur l’action internationale contre le terrorisme (GMT), après le Comité d’Experts sur le Terrorisme (CODEXTER) ont été chargés de la coordination et du suivi des activités du Conseil contre le terrorisme dans le domaine juridique. Le Sommet, qui s’est tenue à Varsovie en mai 2005, s’est conclu par l’adoption d’une Déclaration politique et d’un Plan d’action fixant les tâches principales du Conseil pour les années à venir. Le renforcement de la sécurité des européens en combattant notamment le terrorisme, le crime organisé et la traite des êtres humains a été considéré comme l’une des trois principautés 347 du Conseil.

La Turquie a déjà ratifié toutes les conventions du Conseil 348, relatives à la lutte contre le terrorisme et le crime organisé. Elle a aussi participé sans hésiter à la nouvelle configuration juridique du Conseil pour la répression du terrorisme, constituée sur la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme 349 . En plus, elle a commencé un projet, Modernisation de la Justice et Réforme pénale en Turquie 350 , en 2004 avec le Conseil, afin d’« appuyer les réformes et les efforts planifiés ou déjà mis en œuvre par les autorités turques sur la base des standards européens que partagent la Commission européenne et le Conseil de l’Europe ».

Le cadre juridique de la coopération de la Turquie avec les Etats tiers varie l’Etat concerné et les conventions, les accords ou les protocoles bilatéraux ou multilatéraux. En la matière, la Turquie est à ce jour signataire de soixante six accords, quarante et un protocoles, quarante-deux compréhensions mutuelles, cent trente procès-verbaux approuvés et dix-neuf mémorandums d’accord, c’est-à-dire deux cents quatre-vingt neuf traités bilatéraux et multilatéraux avec plus de soixante-dix Etats.351

Après le 11 septembre 2001, la Turquie a contribué activement aux efforts internationaux consistant à la lutte contre le terrorisme, en estimant l’urgence de solidarité et de coopération internationale. Elle a soutenu pleinement les dispositions des Conventions internationales et les Résolutions de l’ONU, notamment la Résolution 1373 du Conseil de Sécurité qui constitue une base solide pour combattre le terrorisme à l’échelle mondiale. Toutes ces modifications juridiques ont eu des conséquences en droit interne et les institutions concernées ont du se renouveler dans le cadre de celles-ci.

Figure 2.9 : Le droit turc de la lutte contre le terrorisme
Figure 2.9 : Le droit turc de la lutte contre le terrorisme
Notes
308.

Loi relative à la lutte contre le terrorisme, loi no : 3713, le 12 avril 1991.

309.

Les articles 302, 307, 309, 310/a, 311, 312, 313, 314, 315 et 320 du Code Pénal Turc, loi no : 5237, le 12 octobre 2004.

310.

Les articles 79, 80, 81, 82, 84, 86, 87, 96, 106, 107, 108, 109, 112, 113, 114, 115, 116, 117, 118, 142, 148, 149, 151, 152, 170, 172, 173, 174, 185, 188, 199, 200, 202, 204, 210, 213, 214, 215, 223, 224, 243, 244, 265, 294, 300, 310/b, 316, 317, 318 et 319 du Code Pénal Turc, loi no : 5237, le 12 octobre 2004.

311.

Les actes précisés dans la loi sur les armes à feu, couteaux et autres instruments analogues, loi no : 6136, le 10 juillet 1953.

312.

Les articles 110/d-e du Code de Forêt, loi no : 6831, le 31 août 1956.

313.

Les actes précisés, nécessitant la peine de prison, de la loi relative à la lutte contre la fraude, loi no : 4926, le 10 juillet 2003.

314.

Article 120 de la Constitution de 1982.

315.

Article 68 de la loi relative à la protection de la culture et de des choses de la nature, loi no : 2863, le 21 juillet 1983.

316.

Les Cours Criminelles sont précisés dans le Code de Procédure Pénal, loi no : 5271, le 4 décembre 2004.

317.

Les Cours de Sûreté de l’Etat ont été instaurées, pour la première fois, par la loi numéro 1773 du 11 juillet 1973, conformément à l’article 136 de la Constitution de 1961 et la loi a été annulée par la Cour Constitutionnelle le 15 juin 1976. Après le coup d’Etat militaire de 1980, ces juridictions ont été réintroduites dans l’organisation judiciaire par l’article 143 de la Constitution de 1982 et ont été utilisés jusqu’au mai 2004 comme les juridictions compétentes de la lutte antiterroriste. Dans le cadre des réformes législatives intervenues et suite à la révision constitutionnelle du 7 mai 2004, l’article 143 de la Constitution relative aux Cours de Sûreté de l’Etat a été supprimé, abrogeant de ce fait la loi numéro 2845 du 16 juin 1983 réglementant la création et la procédure devant lesdites juridictions. Ainsi, il est mis fin à l’existence des Cours de Sûreté de l’Etat.

318.

Article 14 de la loi relative à la lutte contre le terrorisme, loi no : 3713, le 12 avril 1991. Le même article garantisse également une protection pour les dénonciateurs.

319.

Les ministères de l’Intérieur et de la Justice sont chargés d’assurer les instruments de protection.

320.

Code Pénal Turc, loi no : 365, le 1 mars 1926.

321.

Nouveau Code Pénal Turc, loi no : 5237, le 12 octobre 2004.

322.

Loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

323.

En soulignant que la loi sur la réinsertion dans la société n’est pas un accord comme celui du Vendredi Saint (Good Friday Agreement, également appelé Accord de Belfast). Ce dernier a été signé le 10 avril 1998 entre les gouvernements britanniques et irlandais en acceptant une solution politique pour mettre fin aux conflits et commencer un processus de paix impliquant tous les acteurs du conflit nord irlandais. L’accord du Vendredi Saint prévoyait non seulement le désarmement des groupes paramilitaires mais également l'élection d'une assemblée locale d'Irlande du Nord, la création d'un conseil des ministres dirigé par un premier ministre d'Irlande du Nord et la création d'instances de coopération entre Irlande du Sud et du Nord.

324.

Article 1 de la loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

325.

Article 2 de la loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

326.

Article 2/b de la loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

327.

Article 3 de la loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

328.

Article 4 de la loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

329.

Article 5 de la loi sur la réinsertion dans la société, loi no : 4959, le 06 août 2003.

330.

Loi relative à l’indemnisation des dommages résultant du terrorisme ou de la lutte contre le terrorisme, loi no : 5233, le 27 juillet 2004.

331.

Article 1 de la loi relative à l’indemnisation des dommages résultant du terrorisme ou de la lutte contre le terrorisme, loi no : 5233, le 27 juillet 2004.

332.

Loi relative à l’état d’urgence, loi no : 2935, le 27 octobre 1983.

333.

Article 1 de la loi relative à l’état d’urgence, loi no : 2935, le 27 octobre 1983.

334.

Loi sur la prévention du sur la prévention du blanchiment d’argent, loi no : 4208, le 19 novembre 1996.

335.

Article de la loi sur la prévention du sur la prévention du blanchiment d’argent, loi no : 4208, le 19 novembre 1996.

336.

Loi relative à la lutte contre les organisations à but illicite, loi no : 4422, le 1 août 1999.

337.

Selon quelques apports, le droit international est divisé en deux catégories : le droit international public et le droit international privé. Lorsqu’on parle simplement de droit international, il s’agit habituellement du droit international public.

338.

La position moniste se pose sur l’idée de l’organisation pyramidale des normes, théorisée par Hans Kelsen. Pour l’apport de Hans Kelsen, regardez, Théorie pure de droit, Paris, Dalloz, 1962 et Théorie générale des normes, Paris, PUF, 1996

339.

La position dualiste est postulée par Heinrich Triepel et Dionisio Anzilotti. Pour les détails voir : DUPUY Pierre-Marie, Droit international public, Paris, Dalloz, 7e édition, 2004 ; COMBACAU Jean, ALLAND Denis et JEANCOLAS Catherine, Droit international public, Paris, PUF, 1987.

340.

Depuis l’année 1963, la Turquie a signé et ratifié treize (13) conventions et protocoles principaux dans le cadre des Nations Unies. La liste de ces conventions est reproduite à l’annexe 1.

341.

La résolution 1373 du Conseil de sécurité de l’ONU, adoptée par le Conseil de sécurité à sa 4385e séance, le 28 septembre 2001.

342.

Le Groupe TREVI (Terrorisme, radicalisme, extrémisme et violence internationale) a été créé en 1976 pour coordonner les efforts contre le terrorisme au sein de la Communauté Economique Européenne (CEE). Il rassemble les ministres de l’Intérieur des Etats membres de l’Union Européenne. Quelques autres Etats par exemple les Etats-Unis et le Canada, sont invités à titre d’observateurs aux travaux des groupes de travail. Pour les détails voir : www.terrorwatch.ch/fr/trevi.php

343.

Cette décision était le premier texte instrument international à définir l’acte terroriste.

344.

Entretien avec Elif Comoglu-Ulgen, la Délégation de Turquie auprès de Communauté Européenne, le 14 février 2006, Bruxelles.

345.

Article 1 du Statut du Conseil de l’Europe, STCE no : 001, Londres, le 8 août 1949.

346.

Les autres trois domaines étaient : la démocratie et droits de l’homme ; la cohésion sociale ; les valeurs démocratiques et la diversité culturelle.

347.

Les deux autres principautés du Conseil étaient de promouvoir les valeurs fondamentales communes telles que les Droits de l’homme, l’Etat de droit et la démocratie, et de développer la coopération avec les autres organisations internationales et européennes.

348.

Le Conseil a en effet réalisé plus de deux cents conventions et traités européens ayant force de loi sur des questions allant des droits de l’homme à la lutte contre le terrorisme, le crime organisé et de la prévention de la torture à la protection des données ou à la coopération culturelle. La liste de ces conventions relatives à la lutte contre le terrorisme dans le cadre de Conseil de l’Europe, signées par la Turquie, est reproduite à l’annexe 2.

349.

Cette Convention a été finalisée en février 2005 par le CODEXTER et a été ouverte à la signature lors du dernier Sommet du Conseil en mai 2005.

350.

Pour les détails, regardez : Judicial modernisation and penal reform in Turkey, Consultable sur le site officiel d’Internet du Conseil de l’Europe :

www.coe.int/t/E/Legal_Affairs/About_us/Activities/Prog_Turkey_DvpsE.pdf

351.

La liste des pays avec lesquels la Turquie a conclu des accords bilatéraux et multilatéraux en matière de terrorisme est reproduite à l’annexe 3.