Troisième partie: l’évaluation récente des politiques de sécurité contre le terrorisme religieux

L’évaluation des politiques de sécurité a, notamment, pour but d’apprécier l’efficacité de ces politiques, en comparant leurs résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre. Ce type de recherche récente422, qui permet de suivre les politiques et leurs effets par une approche rationnelle 423, est une « composante obligatoire des nouveaux programmes d’intervention policière (police de proximité , communautaire, de résolution de problème) » 424 , notamment en Amérique du nord. En fait, comme la procédure d’évaluation est liée à son objet, il n’est pas facile de faire une évaluation des politiques antiterroristes ni dans le monde anglo-saxon ni dans le reste du monde.

Lorsqu’on essaye de réaliser une évaluation de politiques de sécurité de ces dernières années contre le terrorisme religieux en Turquie, il n’est pas possible, en effet, de parler de bonnes politiques de sécurité et, bien sûr, d’une réussite totale. A cause de multiples politiques de sécurité et de difficulté de les associer dans une seule stratégie, les institutions concernées n’ont pas pu produire de mesures définitives et efficaces. Dans cette perspective, la lutte antiterroriste turque contre le terrorisme religieux n’a été, ni globale, ni partagée et ni cohérente. Selon le professeur turc de science politique Ihsan Bal, « il n’est pas possible de parler d’une lutte efficace et réussie, car la principale analyse de la lutte antiterroriste en Turquie est que la lutte contre le terrorisme a été considérée par l’Etat et les institutions concernées comme une lutte contre les terroristes. Il est évident que l’Etat turc a pris une distance non négligeable pendant quarante années. Cependant cette distance n’a pas été suffisante pour mettre la fin à la menace terroriste. » 425

Parmi les services de sécurité, la Police Nationale s’est beaucoup efforcée, et il est, peut-être, possible de la considérer comme réussite dans sa lutte opérationnelle. Mais ce type de lutte n’a pas été suffisant pour éteindre la menace toute entière. Comme le problème n’est pas seulement policier, mais également socioculturel, les mesures et les pratiques opérationnelles, seules, ne seront pas suffisantes pour lutter contre une telle menace. Ainsi la Police Nationale aura besoin, pour les prochaines années, d’un nouveau modèle de lutte antiterroriste, qui sera construit non seulement sur la réorganisation et la reformation des unités policières (le recrutement de nouveau personnel et la modernisation de l’équipement etc.), mais également sur des projets intellectuels et démocratiques.

Actuellement, la Turquie se trouve dans un carrefour de lutte contre le terrorisme religieux. Les institutions concernées doivent comprendre que les anciennes politiques de sécurité ne sont pas suffisantes afin de mieux répondre à la menace croissante d’aujourd’hui et d’avenir. Ainsi, l’Etat turc doit suivre une nouvelle politique antiterroriste, en prenant de nouvelles mesures sous la responsabilité des acteurs politiques, en disposant d’une loi efficace mais qui n’interdit pas les libertés individuelles, en réalisant une bonne coordination parmi les institutions opérationnelles, notamment les services de sécurité, et en suivant une politique étrangère forte sur la scène internationale. La Turquie, comme les pays menacés par le terrorisme, aura vraiment besoin de mesures intelligentes, courageuses et démocratiques pour les prochaines années. Il ne faut pas oublier que, si elle ne peut pas résoudre ce problème majeur, la stabilité du gouvernement sera en danger et la démocratie sera en panne.

Dans cette perspective, nous allons consacrer notre dernière partie, à l’évaluation récente des politiques de sécurité contre le terrorisme religieux, en montrant, d’abord, l’échec des politiques antiterroristes dans son ensemble : un échec total pour les institutions antiterroristes (Chapitre 1), ensuite, la nécessité d’une nouvelle politique de sécurité contre le terrorisme : une nouvelle politique de sécurité pour une nouvelle lutte efficace (Chapitre 2) et enfin, le besoin d’un nouveau modèle de lutte antiterroriste autour de la Police Nationale : le renouvellement obligatoire de la lutte policière antiterroriste (Chapitre 3).

Notes
422.

Ce type d’évaluation est déjà commencé dans le monde anglo-saxon, notamment aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et au Canada, par les évaluations de la prévention du crime. La France a essayé d’adapter les concepts et les méthodes d’évaluation de ces pays, surtout pour mieux voir les conséquences des contrats locaux de sécurité (CLS).

423.

Selon le consultant senior de Centre Européen d’Expertise en Evaluation Thibaut DESJONQUERES, l’évaluation des interventions publiques est une approche rationnelle car elle permet, d’abord, de vérifier que l’action publique répond à des besoins non couverts ou insuffisamment satisfaits, ensuite, d’améliorer les interventions, et enfin, de rendre compte aux responsables politiques et aux citoyens des résultats obtenus et du bon emploi des ressources affectées. Pour les détails, voir les notes de DESJONQUERES, L’évaluation des interventions publiques, Notes pour les cours de Maîtrise AES / AGT de l’Université Lyon-2, 2003, 27p.

424.

BRODEUR Jean-Paul, « L’évaluation des programmes d’intervention sécuritaire. Quelques remarques sur les expériences canadienne et américaine », art.pp.13-21., in FERRET Jérôme et OCQUETEAU Frédéric (sous la dir.), Evaluer la police de proximité  ? Problèmes, concepts, méthodes, Paris, La Documentation française, 1998, 138p.

425.

Entretien avec Ihsan BAL, le 16 novembre 2005 à Ankara.