Section 2. La nécessité d’une nouvelle politique de sécurité au niveau interne : une nouvelle stratégie antiterroriste à court et à long terme

La recherche d’une nouvelle stratégie antiterroriste est / sera un enjeu majeur pour la Turquie comme pour plusieurs Etats menacés, car cette dernière a besoin d’une nouvelle et véritable politique de sécurité contre le terrorisme religieux pour trois raisons : tout d’abord, la menace est actuellement dangereuse pour la société et l’Etat ; ensuite, la menace est stratégique en visant les intérêts de la Turquie non seulement sur son territoire mais également dans le monde entier ; enfin, la menace a vocation à être croissante. C’est pour ces raisons que la lutte contre le terrorisme religieux est devenue impérative afin de mieux assurer la sécurité de la société et de l’Etat, et de protéger leurs intérêts.

Il n’est pas certain que dans l’avenir la menace terroriste s’inscrive toujours dans un schéma facile à interpréter.483 C’est pour cette raison que la lutte antiterroriste turque a besoin de nouveaux principes susceptibles d’être mieux adaptés à la réalité de la menace. Il est possible de proposer un certain nombre de mesures déjà prises ou à prendre. Les efforts relatifs à la reconnaissance de la menace du terrorisme religieux et à l’évaluation récente de la lutte antiterroriste peuvent être considérés comme de nouvelles mesures afin de mettre en place une politique de sécurité. A partir d’une reconnaissance de la menace et d’une évaluation récente de la lutte antiterroriste, la proposition d’une stratégie à court et à long terme sera possible et raisonnable.

La nouvelle politique de sécurité sera fondée, premièrement, sur la reconnaissance de la menace du terrorisme religieux que connaît la Turquie. Le besoin de comprendre pourquoi des individus et des groupes ont recours à de tels actes va servir de point de départ pour les prochaines politiques de sécurité contre le terrorisme religieux en Turquie.

Ces dernières années, notamment à partir du 11 septembre 2001, les attentats terroristes commis dans le monde entier ont eu des conséquences inattendues en causant la peur dans l’opinion publique et en servant aussi de justification à nombre d’actions politiques répressives, parfois mêmes abusives, de la part de plusieurs gouvernements démocratiques. Cette conséquence inattendue des attentats du 11 septembre 2001, selon Dianne Casoni et Lois Brunet 484 , a ramené plus que jamais à l’avant-scène un besoin de comprendre l’acte terroriste.

Il est important d’analyser l’évolution de la menace, des attaques et des organisations terroristes dans la reconnaissance de la menace du terrorisme religieux, est aussi important l’analyse des Etats menacés par une telle menace. Les institutions concernées, notamment le ministère de l’Intérieur, doivent faire une évaluation réelle de la menace et publier un rapport qui analysera l’évolution et la croissance de la menace. Ce type de rapport permettra de développer une stratégie commune pour toutes les institutions concernées, car il sera possible de mieux voir le panorama du terrorisme religieux, ainsi que les activités des organisations terroristes.

De l’autre côté, une telle reconnaissance peut être développée par une série de scénarios éventuels. Ce type de travail permettra, d’une part, de mieux voir l’évolution probable de la menace du terrorisme religieux et, d’autre part, de tester l’efficacité du dispositif de lutte antiterroriste. En effet, le terrorisme religieux en Turquie est susceptible de se concrétiser par des types d’attentats très divers : une campagne d’attentats à explosif, d’attentats multiples simultanés, d’attentat chimique, biologique ou nucléaire, de tentative de détournement d’avion, d’assassinat des hommes politiques, de tentative de cyberattaques, etc.

Une telle politique sera manifestée, par ailleurs, par une évaluation récente de la lutte contre le terrorisme religieux . Evaluer les politiques antiterroristes permet de mieux proposer de nouvelles mesures en matière de prévention de la menace terroriste. Grâce à l’évaluation, par le propos de Maurice Cusson, qu’on sort peu à peu de l’incertitude dans laquelle on se trouvait face à une multiplication d’initiatives préventives dont personne n’avait idée si elles servaient ou non à quelque chose.485

En effet, ce n’est pas une équipe constituée de fonctionnaires de ces institutions concernées, qui sera chargée de réaliser une telle évaluation, mais une équipe de recherche scientifique. Il faut que cette dernière se construise par la participation des universitaires et intellectuels, et les institutions concernées assurent les informations et renseignements nécessaires. C’est notamment une telle évaluation réelle qui permettra de mieux voir la qualité et l’efficacité de la lutte antiterroriste menée depuis plus de trente années. A la fin d’une telle évaluation les institutions concernées pourront redéfinir leurs stratégies antiterroristes.

Dans cette perspective, la nouvelle politique 486 sera constituée sur un combat de deux fronts : l’un proche et immédiat, de court terme et l’autre éloigné, de long terme. Le premier combat par des moyens opérationnels et juridiques (policiers, militaires, judiciaires, renseignements etc.) et le second par des moyens politico administratifs et socio-économiques. Mener un combat de court terme en négligeant celui de long terme entraînera une lutte opérationnelle sans fin. Il permettra d’éliminer des terroristes mais pas d’empêcher l’apparition de nouveaux terroristes. Le combat à long terme sans une lutte de court terme entraînera la perte de lutte quotidienne envers les organisations terroristes.

Le combat à court terme signifie plutôt l’adaptation du dispositif de lutte contre l’évolution et la montée en puissance du terrorisme. La prévention du risque terroriste, le renforcement des capacités de gestion de crise, le renforcement des capacités de réparation et de sanction sont les principaux axes d’un tel combat. En effet, une série de mobilisation politico administrative, juridique et opérationnelle est nécessaire afin d’assurer la sécurité de l’Etat et des citoyens contre la menace terroriste.

En matière de lutte contre le terrorisme, la prévention du risque terroriste est une priorité essentielle. L’organisation de l’administration en la matière nécessite tout d’abord la consécration d’un grand effort et la mobilisation quotidienne des institutions concernées afin d’empêcher les terroristes avant qu’une attaque ne se réalise. Le renforcement des capacités des services de renseignements et de sécurité, l’adaptation du dispositif pénal, l’adaptation du système pénitentiaire à la menace terroriste, la neutralisation des terroristes à l’intérieur et si possible à l’extérieur du pays, la protection du territoire des intrusions illégales et le renforcement de la coopération internationale sont quelques mesures à prendre pour une bonne prévention.487 Ainsi, toutes les institutions concernées doivent se mobiliser quotidiennement dans le cadre de l’évolution et de la montée en puissance de la menace terroriste.

En matière de prévention, le renforcement des capacités des services de sécurité et de renseignement est, d’une part, une volonté affichée plusieurs fois par les unités antiterroriste et, d’autre part, une mesure classique déclarée pour les autorités politico administratives. En réalité, malgré l’existence de discours répétés, un tel renforcement est un processus complexe, difficile et également cher. Cependant, comme l’efficacité de cesdits services se pose plutôt sur la capacité de prévention, c’est-à-dire la capacité à anticiper l’attaque terroriste et à analyser l’ensemble de la menace terroriste, les autorités politiques doivent, d’une part, permettre de renforcer les capacités des services concernés et, d’autre part, renforcer la coordination des services concernés afin de mener une lutte opérationnelle plus efficace. Ces dernières années, les services de sécurité turcs ont affiché, généralement, leur volonté d’accroître leurs capacités techniques, électroniques et intellectuelles.

L’adaptation du dispositif pénal et du système pénitentiaire à la menace terroriste sont parmi les enjeux majeurs de ces dernières années en Turquie. En matière de législation, le système juridique est assez suffisant pour une lutte efficace, car une loi spécifique et plusieurs textes juridiques permettent aux institutions concernées d’intervenir dans le domaine antiterroriste. En revanche le système pénitentiaire turc ne donne pas satisfaction. Depuis quelques années, le ministère de la Justice a entamé un projet pour renouveler le système pénitentiaire et a construit des prisons de type F pour empêcher les relations organisationnelles des terroristes dans les prisons. Auparavant, comme les membres de mêmes organisations terroristes étaient détenus généralement dans les mêmes prisons, ces dernières étaient utilisées par les organisations terroristes comme le lieu d’entraînement et de formation. Un sympathisant qui était détenu pour quelques mois dans une prison, évoluait facilement dans une machine terroriste. Malgré quelques efforts et changements de ces dernières années, cedit ministère n’a pas pu encore renouveler complètement le système pénitentiaire et les prisons, notamment de manière préventive.

La neutralisation des terroristes à l’intérieur et si possible à l’extérieur du pays est une mesure à prendre pour un combat à court terme. Au niveau interne, le mécanisme de lutte antiterroriste doit se baser sur le principe de neutralisation des terroristes. Toutes les institutions concernées, notamment opérationnelles, doivent développer des stratégies en la matière. Elles doivent également centraliser des informations relatives aux terroristes et aux personnes suspectées et les partager par l’intermédiaire d’un réseau informatique avec les unités locales. Par exemple, la Police Nationale a développé un réseau informatique plus développé, le POLNET, afin de servir à toutes les unités centrales et locales les informations nécessaires. Grâce au système POLNET, la simple trace d’un terroriste dans n’importe quel lieu géographique en Turquie est partagée avec toutes les autres unités concernées. Ce type de mécanisme doit être élargi pour conserver toutes les institutions opérationnelles concernées, notamment la Gendarmerie et le Service National de Renseignement.488

Au niveau international, la Turquie en tant que membre d’Interpol, peut accéder aux fichiers des terroristes définis et recherchés par Interpol. De plus, ses relations bilatérales permettent d’obtenir les informations nécessaires en matière de terroristes recherchés par différents Etats. La centralisation des fichiers des terroristes par les services de sécurité est une étape importante pour mieux suivre les personnes étrangères suspectées pendant leur entrée et le séjour en Turquie. Les consulats à l’étranger, les unités de douanes aux frontières et les unités policières dans les aéroports sont régulièrement informés par la Police Nationale et les services de sécurité en matière de terroristes et de personnes dangereuses et suspectées. Les mesures de neutralisation signifient également la neutralisation des biens, des capitaux et des idées des terroristes, et la protection du territoire des intrusions illégales. De plus, elles permettront d’augmenter la volonté de l’administration turque de renforcer la coopération internationale, notamment en matière d’échange d’information. C’est pour cette raison que la Turquie a besoin encore de développer une stratégie de coordination étroite, une logique de lutte commune parmi les services de sécurité, la douane, les forces armées et les unités du ministère des Affaires étrangères.

La lutte antiterroriste à court terme nécessite également une mobilisation relative à renforcer les capacités de gestion de crise . Ce type de renforcement exige, d’une part, de parfaire les capacités opérationnelles et, d’autre part, de mettre en place une doctrine de communication publique. Le renforcement des capacités de gestion de crise facilite la direction, la coordination et la coopération des institutions concernées notamment lors et suite aux attentats terroristes tandis que la bonne communication publique permet de faire face aux mauvaises conséquences du terrorisme sur la population à court et à long terme. En effet, la gestion de la crise est une représentation de qualité et de capacité de l’administration en matière de lutte contre le terrorisme.

En matière de lutte antiterroriste, le parfait de la capacité opérationnelle se posera, d’abord, sur un plan d’action, ensuite sur une organisation des institutions concernées, et enfin, sur un dispositif juridique. La mise en place d’un plan d’action489 permettra à l’administration de préciser le mode d’action dans la gestion de crise et de l’appliquer en cohérence en cas d’attaque terroriste sérieuse, tandis que la constitution d’une organisation assurera la centralisation et l’accélération des interventions de l’administration dans le domaine concerné. Dans cette perspective, les unités concernées doivent effectuer régulièrement des travaux et des entraînements dans le cadre de plan d’action afin de valider les hypothèses de travail retenues dans les plans, d’éprouver leur mise en œuvre et d’améliorer les capacités de réponse. Quant à la mise en place d’un dispositif juridique, elle sera l’outil de légitimation pour les moyens juridiques exceptionnels relatifs à protéger la population. Ce type de mobilisation juridique doit être adapté aux situations de crise terroriste et nécessite une réflexion plus approfondie dans le cadre de l’Etat de droit.

En matière de lutte contre le terrorisme, la communication publique est le deuxième instrument important pour le renforcement de capacité de gestion de crise, car « l’opinion publique veut savoir, être informée en attendant des résultats immédiats, en voulant être tranquillisée » 490 . Ce type d’instrument permet de diminuer les dommages des attaques terroristes dans l’opinion publique et d’empêcher la perte de confiance de la population. Il ne faut pas oublier que les conséquences d’une mauvaise communication publique sont encore plus importantes dans les mois et les années suivantes. Ce type de communication laisse en effet « des traces profondes et durables dans la mémoire collective, en raison du climat dans lequel sont vécus les événements » 491 .

La Turquie fait partie des Etats492 qui ont assez d’expériences en matière de communication publique sur des attentats terroristes plus meurtrières. Mais ce type d’expérience ne signifie pas l’existence d’un bon mécanisme, car aucune autorité n’est assez compétente en la matière et ne dispose pas d’une structure bien placée. La population a considéré généralement que les autorités civiles n’étaient pas capables de mener une lutte antiterroriste efficace, et les services de sécurité ne disposaient pas d’un mécanisme de porte-parole 493 . Ces dernières années, le gouvernement turc s’est efforcé de prendre plus d’initiatives dans la direction de la lutte contre le terrorisme et de mettre en place un système de communication publique. Le porte-parole du gouvernement, Cemil Cicek (le ministre d’Etat actuel, ancien ministre de la Justice) a informé régulièrement l’opinion publique en matière d’efforts gouvernementaux et des capacités de services de sécurité, notamment après les attentats terroristes d’Istanbul en 2003 et pendant le renouvellement de la loi antiterroriste en 2005. En fait, la mobilisation du gouvernement n’a pas pu échapper aux critiques sévères des médias et de la population, car la communication publique n’était pas simplement la nomination d’un ministre pour les déclarations officielles.

C’est pour cette raison que l’administration turque a encore besoin d’une nouvelle doctrine de communication publique pour mieux informer la population et renforcer ses capacités de gestion de crise issue de la menace terroriste. Ce type de doctrine n’exige pas de créer de nouvelles institutions mais, par contre, accroître le rendement et l’efficacité des structures déjà existantes. Il faut, en effet, un cadre stable à la communication publique en cas de crise terroriste afin de conforter la confiance de l’opinion publique et de garantir la crédibilité de la communication dans la durée. La mise en place d’un cadre stable permettra de préparer un plan de communication et de montrer les rôles des institutions concernées.

Le renforcement des capacités de réparation et de sanction est une autre mesure à prendre pour une lutte antiterroriste à court terme. La réparation des dommages des victimes des actes terroristes permettra d’assurer la confiance des individus et de la société après les attentats terroristes tandis que la sanction des coupables terroristes affichera la détermination de l’Etat dans sa lutte antiterroriste. En effet, une telle réparation assurera à la société un sentiment de confiance et de sécurité pour les futurs attentats terroristes possibles.

L’indemnisation des victimes d’actes terroristes494 est l’un des éléments non négligeable pour la solidarité nationale. L’administration doit faciliter les conditions du système d’indemnisation en faveur des victimes et de leurs familles. Au niveau administratif, l’utilisation de fonds sociaux doit être libérée des contraintes bureaucratiques. Au niveau juridique, la victime doit être soutenue juridiquement dès le moment de l’attentat et tout au long de la procédure. Au niveau social, un mécanisme de réinsertion professionnelle et sociale doit être développé afin d’assurer les meilleures conditions lorsque la victime a perdu son travail à cause de l’attentat terroriste. En effet, ce type de réparation est plus important en Turquie où continuent à vivre plusieurs victimes des actes terroristes.

En matière de sanction des terroristes, le système juridique turc prévoit que les actes à caractère terroriste obéissent à une logique d’aggravation par rapport au droit commun. Si un acte est commis par un motif terroriste ou pour des objectifs terroristes, le législateur autorise le juge à qualifier l’acte comme terroriste et à pénaliser gravement les coupables. Avec les modifications de 2006, la loi antiterroriste turque a aggravé et complété les sanctions pénales pour certaines infractions en matière de terrorisme. Ce type d’approche est, d’une part, la représentation de la détermination des autorités responsables à l’égard de la lutte contre le terrorisme et, d’autre part, une prévention du mécanisme de sécurité de l’Etat afin de montrer les mauvaises conséquences d’un choix du terrorisme par les coupables comme méthode. En effet, le législateur considère le terrorisme comme la menace la plus dangereuse pour la sécurité de l’Etat et de la société et prévoit des mesures sévères et des peines aggravées pour sanctionner les coupables. Ainsi, l’approche du législateur renforce l’intervention des institutions opérationnelles, notamment les services de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme.

Figure 3.3 : La stratégie de la lutte contre le terrorisme à court terme
Figure 3.3 : La stratégie de la lutte contre le terrorisme à court terme

Quant au combat à long terme , il signifie la mise en place d’une série de mesures relatives à adapter le dispositif antiterroriste. Ces mesures peuvent s’expliquer par « une action de fond contre le terrorisme en gagnant les batailles du quotidien, de la technologie et des idées » 495 . La bataille quotidienne contient plutôt la prévention du risque, l’amélioration de dispositifs, le renforcement de capacité opérationnelle, de gestion de crises, de réparations et de sanctions etc. tandis que la bataille technologique nécessite une mobilisation très large des institutions de lutte antiterroriste avec les entreprises contre les organisations terroristes, qui utilisent les technologies les plus modernes. Quant à la bataille des idées, elle est plutôt la confortation de l’adhésion de la société et l’isolation des terroristes. Cette dernière stratégie a pour but de constituer un rempart contre la propagation du terrorisme religieux. En effet, un tel combat nécessite une mobilisation non seulement de toutes les institutions concernées mais également de la société et des entreprises, afin de parer à toutes les attaques terroristes envisageables.

La bataille du quotidien signifie « la mise en place des mesures relatives à favoriser la détection précoce des activités terroristes par la vigilance et le renseignement ». 496 Ce type de bataille est, en effet, une posture de vigilance au quotidien en invitant non seulement les unités antiterroristes mais également les services de sécurité non spécialisés en la matière. La prévention de la délinquance, par les termes de Maurice Cusson, consiste en « l’ensemble des actions non coercitives sur les causes des délits dans le but spécifique d’en réduire la probabilité ou la gravité » 497 . Comme le terrorisme est une des menaces croissantes et inquiétantes de ces dernières années, la prévention du crime et la recherche du renseignement opérationnel en la matière font parties des missions de l’ensemble des unités de services de sécurité intérieure.

La bataille du quotidien se pose sur une série de mobilisations de toutes les institutions concernées. Par exemple, l’augmentation de la vigilance des services de sécurité publique, le renforcement de la sécurité privée et la mise en conscience des acteurs sociaux et du citoyen à la lutte contre le terrorisme sont les axes principaux d’une telle mobilisation. En effet, une telle bataille nécessitera d’achever un processus complexe et dur.

L’augmentation de la vigilance des services de sécurité publique est l’une des principales mesures d’une bataille au quotidien contre le terrorisme, car le rôle des forces de sécurité intérieure non spécialisées n’est pas négligeable. La recherche du renseignement opérationnel fait partie des missions premières de toutes les unités de sécurité, actuellement sur le terrain. Le nombre des agents des unités antiterroristes et de renseignement est limité, cependant les services de sécurité intérieure comptent plus de 400.000 agents. Comme la lutte antiterroriste n’est pas seulement l’affaire des unités antiterroristes, les autres agents de sécurité doivent contribuer à la détection et à la remontée du renseignement à destination des services spécialisés. De plus, les agents de toutes les institutions concernées doivent être informés pendant les formations initiales et continues en matière de vigilance contre la menace terroriste. Les agents des unités antiterroristes doivent assurer un contact ponctuel et régulier avec les autorités administratives et judiciaires.

Le renforcement de la sécurité privée en matière de lutte contre la menace terroriste est l’un des enjeux majeurs de ces dernières années en Turquie comme dans plusieurs Etats.498 Ce secteur s’est développé afin de résoudre la question de la protection des barrages dans les années 1970, a pris une grande importance après l’attentat effectué par les membres de l’organisation terroriste DHKP/C contre l’homme d’affaire Ozdemir Sabanci en 1996, et a été acquis une dimension internationale après le 11 septembre 2001.499 Ces dernières années, le secteur de sécurité privée est monté en puissance notamment pour protéger les personnes et les entreprises et sécuriser leurs biens et investissements.

Actuellement en Turquie, il y a une forte demande d’agents de sécurité et le nombre de personnel qui travaillent dans ce secteur, est d’environ 320.000. Outre les multinationales et les banques, les entreprises ou les petits commerces sollicitent également les services de ce type de mécanisme de sécurité, car ces derniers « ne se content plus désormais que de la sécurité offerte par l’Etat » 500 . Selon le directeur de police turc Harun Bozkurt501 « la menace terroriste est l’une des principales raisons, pour les solliciteurs de sécurité privée ». C’est pour cette raison qu’il faut s’efforcer d’augmenter la vigilance des agents de ce secteur par des formations régulières. Ce type de formation permettra, d’une part, d’augmenter la vigilance des agents du secteur et, d’autre part, de renforcer la main des institutions concernées dans leur bataille au quotidien. La vigilance du secteur de la sécurité privée augmentera la capacité de prévention des services de sécurité publique.

La mise en conscience des acteurs sociaux et du citoyen signifie un processus d’information pour augmenter la vigilance de ces derniers en matière de menace du terrorisme. Des actions de communication rappelant la réalité et la permanence du risque telles que la publication d’un livre blanc sur le terrorisme, la réalisation des conférences pour les enseignants dans des établissements publics, la sensibilisation des élèves 502 par les enseignants, la signalisation des réseaux de transports en commun etc. Par exemple, la publication d’un livre blanc permettra d’informer au public le dispositif national de lutte antiterroriste tandis que la sensibilisation des élèves assurera une conscience d’un engagement individuel et du respect des valeurs communes pour ces futurs adultes. Ainsi, ce type d’actions doit être régulièrement menée directement ou par l’intermédiaire des acteurs sociaux pour assurer une bonne conscience de la population.

Chaque mobilisation précisée ci-dessus, nécessitera également la mise en place de nouvelles modifications et l’amélioration de certaines procédures déjà existantes. Par exemple, il faudra améliorer la surveillance des communications électroniques ou autoriser l’accès des services de renseignements et de sécurité à certains fichiers informatiques comme des nouvelles mesures à prendre. De l’autre côté, il faudra développer un système plus efficace afin d’assurer la meilleure et étroite coordination possible des services de renseignements et de sécurité. De plus, une coordination étroite avec le secteur de la sécurité privée, qui recouvre aujourd’hui près de 320.000 emplois, sera indispensable. L’information régulière de l’opinion publique par des responsables concernés n’est pas négligeable. En effet, toutes ces mesures ne seront possibles que par une mobilisation complète des institutions concernées.

En luttant contre le terrorisme, les institutions antiterroristes doivent avoir une stratégie afin de gagner la bataille technologique . Il est évident que les organisations terroristes disposent d’une capacité à utiliser les technologies les plus modernes tant pour l’organisation de leurs différentes cellules que pour leurs modes opératoires. La plupart de ces organisations disposent également d’une capacité riche à acheter facilement les derniers produits technologiques disponibles sur le marché. Ce type de capacité leur permet de passer à un rythme d’évolution technologique permettant de mener une lutte efficace contre les autorités étatiques.

De nos jours, la mobilisation et le développement de la menace technologique nécessitent pour les institutions antiterroristes concernées, de développer une nouvelle stratégie relative à la lutte technologique. Cette dernière, en effet, ne signifie pas simplement ou seulement l’achat de produits disponibles sur le marché mais également de développer des programmes de recherche capable de parer aux menaces futures probables. Dans cette perspective, il faut, tout d’abord, mettre en place une nouvelle politique de recherche et de développement, ensuite, collaborer entre l’Etat et les entreprises, et enfin, mobiliser les institutions concernées afin de mieux assurer l’adaptation des unités antiterroristes à cedite lutte.

La politique de recherche et de développement signifie la constitution d’un mécanisme de recherche scientifique afin d’assurer une approche globale et mutualisée des efforts relatives au renforcement de la lutte technologique antiterroriste. Ce type de politique se posera sur trois domaines de recherche : d’abord, une recherche multidisciplinaire centrée sur les expériences des institutions opérationnelles antiterroristes afin de mieux comprendre l’évolution des modes opératoires des organisations terroristes ; ensuite, une réorganisation technique et technologique dans les secteurs à investir ; enfin, le développement industriel et la réalisation d’équipements dans les domaines techniques et technologiques. En effet, ce type politique de la sécurité intérieure sera constitué sur une perspective de quelques années. Par contre, une telle politique pourra également être développée dans une perspective de la défense qui nécessitera une mobilisation plus complexe et dure. Dans cette perspective, une telle stratégie devra être planifiée pour une période d’au moins vingt ans.

La collaboration entre l’Etat et les entreprises est le deuxième facteur important pour une bataille technologique, car ces derniers disposent d’une capacité plus développée en matière de production technologique. L’Etat doit assurer un dialogue étroit avec les entreprises et soutenir leurs efforts de recherche et de développement en matière de nouveaux produits utilisables dans la lutte contre le terrorisme. Dans cette perspective, il faut que les autorités politico administratives facilitent les procédures et les normes juridiques et administratives en faveur de cesdites entreprises.

Quant à l’adaptation des institutions antiterroristes, elle s’agit plutôt de réformer le système éducatif et de formation du personnel concerné pour une bataille technologique efficace. Ce type de mobilisation a pour but, en effet, de développer une logique de formation susceptible de répondre à la connaissance et à l’apprentissage du personnel en matière de nouvelles technologies. Ces dernières années, le monde a changé, les organisations terroristes et leurs modes opératoires se sont évolués. Ainsi, l’adaptation de cesdites institutions et l’actualisation de leurs capacités techniques et technologiques seront obligatoires, car ceux qui gagneront la bataille de demain sont ceux qui agiront vite technologiquement.

La bataille des idées est la dernière composante nécessaire d’un combat à long terme. Ce type de bataille exige d’une mobilisation des institutions concernées au moins en trois domaines : d’abord refuser l’amalgame entre l’Islam et le terrorisme, ensuite assurer la participation de la société à la lutte contre le terrorisme, et enfin suivre une stratégie des opérations psychologiques.

Dans cette bataille, l’Etat et ses institutions concernées doivent tout d’abord montrer que leur lutte contre le terrorisme religieux n’est pas un combat contre l’Islam ou les croyants musulmans. De plus, ce combat a pour but d’assurer la sécurité de tous les citoyens, musulmans ou non, contre la menace terroriste religieuse, car les organisations terroristes instrumentalisent l’islam pour leurs objectifs idéologiques et politiques. Ainsi, une telle lutte est également une garantie pour que les citoyens musulmans puissent pratiquer leurs croyances. Sur ce point, le soutien de la Présidence des affaires religieuses est important pour les institutions antiterroristes, car cette Présidence est la seule autorité en matière de compétence relative aux affaires religieuses.

La participation de la société à la lutte contre le terrorisme est une autre manière pour gagner la bataille des idées contre les organisations terroristes. La considération d’une telle lutte comme la mission de tout le monde et l’invitation de la société à l’action de l’Etat sont des pratiques de plus en plus présentes dans la stratégie des démocraties occidentales. L’évolution et la croissance de la menace terroriste et la mise en place des politiques de proximité dans le cadre de la démocratie sont des facteurs favorisant une telle participation de la société. Non seulement les services de sécurité mais également toutes les institutions concernées doivent suivre une stratégie de proximité afin d’assurer le soutien de la société.

Quant à l’opération psychologique, elle est l’un des instruments les plus importants dans la bataille des idées. Ce type de stratégie a déjà été utilisé notamment par les institutions opérationnelles, afin de soutenir leurs opérations armées contre les organisations terroristes. Ces dernières années, les services de sécurité ont saisi l’importance d’une telle lutte et se sont efforcés de développer une stratégie opérationnelle. Il nous semble que cette dernière stratégie opérationnelle s’est posée sur une logique sécuritaire et ne sera pas efficace pour les années prochaines, car si la lutte contre le terrorisme est / sera l’affaire de tous, il faudra coordonner avec la société et quitter la logique sécuritaire pour une stratégie commune de longue durée. En effet, le déchiffrement des vrais visages des organisations terroristes et l’intervention légitime de l’Etat et des institutions concernées dans le cadre de l’Etat de droit et des libertés individuelles sont les principales clés de ce type de lutte.

Figure 3.4 : La stratégie de la lutte contre le terrorisme à long terme
Figure 3.4 : La stratégie de la lutte contre le terrorisme à long terme

En effet, les institutions concernées doivent mener en même temps les deux combats indispensables. De plus, une telle lutte doit être soutenue par les mesures indirectes, car la lutte à long terme exige de souligner une série de critères importants tels que le respect des principes de la démocratie, de l’Etat de droit et des libertés individuelles, et la participation de la société à la lutte antiterroriste. Ainsi, un esprit de lutte doit être largement diffusé et partagé dans les institutions concernées et la société afin d’assurer un service démocratique, économique, rentable, de bonne qualité et de long terme. Ce dernier permettra, non seulement, d’augmenter la capacité, la qualité et la motivation du mécanisme opérationnel de l’Etat, mais également, de développer une stratégie centrée sur la sécurité des personnes. Ce type d’approche aidera à mettre en place non seulement un mécanisme opérationnel plus efficace et plus rationnel mais également plus démocratique et économique.

Notes
483.

FALLETTI François et DEBOVE Frédéric, Planète criminelle : le crime, phénomène social du siècle ?, op.cit., p.247 et suite.

484.

CASONI Dianne et BRUNET Louis (sous la dir.), Comprendre l’acte terroriste, Québec, Presses Universitaires de Québec, 2003, 148p.

485.

CUSSON Maurice, Prévenir la délinquance : les méthodes efficaces, Paris, PUF, 2002, p16.

486.

En proposant une nouvelle politique de sécurité contre le terrorisme religieux, nous nous sommes plus inspirés de la stratégie française que celles des autres Etats occidentales cités dans notre travail.

487.

Anoyme, La France face au terrorisme : Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, op.cit., p.39-94.

488.

Le POLNET est en effet un système complexe et contient 39 différents projets. Plus de 65.000 policiers ont suivi des différentes formations techniques relatives à l’utilisation de cedit système. Pour les détails, voir : Turkish Institute for Police Studies (TIPS), II. Istanbul Conference on Democracy and Global Security, op.cit., p.12-13.

489.

Sur ce point, il est intéressant d’examiner le cas français, les plans gouvernementaux d’action de la famille PIRATE qui comporte des mesures d’alerte, d’organisation, de protection et de neutralisation de la menace etc.

490.

WIEVIORKA Michel, « Terrorisme et démocratie », p.179-180, in Stratégique, no : 66-67, décembre 1997.

491.

Anoyme, La France face au terrorisme : Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, op.cit., p.86.

492.

Le gouvernement britannique dispose d’une qualité actuelle en matière de communication publique. Ce type de qualité est largement lié aux leçons tirées de la lutte contre le terrorisme d’IRA.

493.

En Turquie, les responsables de services de sécurité sont considérés comme le porte-parole de leur institution. La Police Nationale a adopté un système de porte parole en 2002 et le directeur général adjoint, chargé de la lutte contre le terrorisme, informe l’opinion publique chaque semaine pendant la conférence de presse de vendredi. Ce système a été quitté en avril 2007.

494.

Il est important de préciser qu’il y a des exemples de mécanisme relatif à l’indemnisation des victimes des actes terroristes dans les différents Etats. Par exemple en France, l’Inavem (Institut national d’aide aux victimes et de médiation) prend des mesures en la matière. Cedit Institut a pour objet de regrouper les diverses associations d’aide aux victimes afin d’évaluer les besoins de cette aide et de coordonner l’action des associations. Pour les détails, voir le site officiel de l’Inavem, www.inavem.org

495.

Anoyme, La France face au terrorisme : Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, op.cit., pp.97-127.

496.

Anoyme, La France face au terrorisme : Livre blanc du Gouvernement sur la sécurité intérieure face au terrorisme, op.cit., pp.99-107.

497.

CUSSON Maurice, Prévenir la délinquance : les méthodes efficaces, op.cit., p10.

498.

Il est intéressant de noter qu’il y a une tendance de certains Etats et municipalités états-uniens à concéder à des entreprises de sécurité privée les mêmes pouvoirs d’arrestation que ceux auparavant réservés à la police. Certains spécialistes définissent la nouvelle forme de sécurité privée comme les entreprises de « para-police », car ces derniers opèrent dans les espaces publics et entreprennent des enquêtes parfois complexes dans le contexte post 11 septembre. Pour les détails GOLDSTEIN Amy, « The private arm of the law », Washington Post, le 2 janvier 2006.

499.

CALIS Kadir, « Le secteur de la sécurité privée en Turquie », art.pp.15-18, La Lettre Stratégique Franco-Turque Se Comprendre / Anlasmak, no : 1, Janvier – Avril 2007.

500.

Idem p.15.

501.

Entretien avec Harun Bozkurt, directeur de police turc, Responsable de l’unité qui est chargé de la sécurité privée au sein de la Direction Centrale de la Sécurité Publique, entretien réalisé par l’Internet, le 15 mai 2007.

502.

Il est intéressant de noter que les autorités turques et françaises disposent un point commun sur la sensibilisation des élèves, car l’école est un lieu privilégié pour sensibiliser aux risques et aux menaces qui pèsent sur la société dans son ensemble et sur les moyens d’y faire face de manière préventive. Pour les détails français voir, Anonyme, Le livre blanc face eu terrorisme, p.106-107.