Section 1. Le besoin d’une nouvelle approche antiterroriste : la redéfinition de la sécurité de manière préventive

En matière de lutte contre le terrorisme à long terme, les efforts des institutions doivent être soutenus et renforcés par quelques mesures indirectes. Ce type de soutien et de renforcement se posera, d’abord, sur le respect des principes de l’Etat de droit, ensuite, sur la mise en place de la politique de la ville et, enfin, sur la mise en place de police de proximité. Une lutte antiterroriste dans le cadre de l’Etat de droit signifie la soumission de tout mécanisme de la lutte concernée au droit tandis que la politique de la ville permet à l’administration de réduire les problèmes sociaux urbains qui entraînent à l’insécurité. Quant à la police de proximité, elle est plutôt un processus relatif à avoir plus de contact avec la population dans la lutte contre toute criminalité. En effet, ces trois axes sont les mesures indirectes mais utiles pour une lutte antiterroriste efficace à long terme.

Le principal critère d’un effort indirect est la mise en place des politiques antiterroristes dans le cadre de la démocratie et de l’Etat de droit. En principe, l’Etat de droit522 signifie un système institutionnel dans lequel la puissance publique est soumise au droit. Dans un tel Etat, selon Hans Kelsen523, les normes juridiques sont hiérarchisées de telle sorte que la puissance de l’Etat s’en trouve limitée. Ainsi, la puissance publique doit être limitée par le droit dans toutes ses actions. En constituant les conditions d’un Etat de droit, le respect de la hiérarchie des normes et l’égalité des sujets de droit permettent une conformité des actes de l’administration aux normes supérieures tandis que l’indépendance de la justice assure des juridictions indépendantes en assurant son indépendance à l’égard des pouvoirs législatif et exécutif. En effet, ce type de critère garantis une limitation définitive de l’intervention illégale de l’administration et de ses institutions.

Il faut rappeler que l’Etat de droit est « avant tout un modèle théorique, mais il est également devenu un thème politique puisqu’il est aujourd’hui considéré comme la principale caractéristique des régimes démocratiques. En faisant du droit un instrument privilégié de régulation de l’organisation politique et sociale, il subordonne le principe de légitimité au respect de la légalité. 524 Selon Ertan Bese, le succès de la lutte antiterroriste dans les démocraties occidentales est lié au respect des critères de la démocratie et de l’Etat de droit525. Ainsi, ce type d’expériences nous montre la nécessité d’une estimation des applications, des conséquences et des impacts des politiques antiterroristes dans le cadre du respect des principes de droit, de droit de l’homme et des libertés individuelles.

En Turquie, la mission de la sécurité intérieure, et de ce fait de la lutte contre le terrorisme, est sous la responsabilité des civils, c’est-à-dire, du Conseil des ministres et du ministère de l’Intérieur. Toutes les institutions antiterroristes assument leurs missions et réalisent leurs tâches antiterroristes sous la responsabilité des civils. Cependant, la Gendarmerie Nationale et le Commandement de Garde des Côtes, qui ont assumé des rôles importants, sont en même temps des institutions militaires. De plus, la sécurité des frontières est également assurée par les forces armées et, pendant les opérations nécessitant la participation des militaires, le commandant des unités militaires prenne la responsabilité des forces de sécurité. Ce type d’organisation et de pratiques constitue, d’une part, un bon partage de la mission antiterroriste parmi les unités opérationnelles, mais d’autre part, entraîne des critiques sévères des défenseurs des libertés aux niveaux interne et international, comme la mise en application de politiques antiterroristes turques par une logique militaire.

Selon Ihsan Bal, « si le terrorisme continue encore dans un pays, la première chose à faire est la prise de l’initiative antiterroriste par des autorités concernées compétentes. Ces dernières doivent mieux savoir les stratégies des organisations terroristes et mieux répondre aux arguments et propagandes terroristes. Le principal critère qui assure une réussite antiterroriste dans un Etat de droit, est de suivre une stratégie antiterroriste dans le cadre de la démocratie et des libertés individuelles. L’un des principales fautes est la perte de légitimité des institutions concernées par l’éloignement des critères démocratiques et légitimes » 526 .

En effet, l’utilisation des unités militaires dans la lutte antiterroriste est actuellement une réalité de plusieurs Etats démocratiques et occidentaux, et ne pose pas un problème dans cesdits Etats. Ainsi, le plus important est d’assurer l’autorité des civils sur toutes les institutions pour que les mesures antiterroristes ne résultent pas à long terme des mauvaises conséquences pour la vie démocratique et les libertés individuelles. Ce type de compréhension assure également un nouveau souci à développer pour l’administration et les institutions concernées, une approche fondée sur la sécurité des personnes par rapport au maintien de l’ordre.

Une politique de la ville consiste en « un ensemble d’actions de l’Etat visant à revaloriser certains quartiers urbains et à réduire les inégalités sociales entre territoires. Elle comprend des mesures législatives et réglementaires dans le domaine de l’action sociale et de l’urbanisme, dans un partenariat avec les collectivités reposant souvent sur une relation contractuelle ».527 Ce type de politique permet à l’administration de prendre des mesures non seulement sur le plan socio-économique mais également sur celui de la sécurité.

En effet, en matière de lutte contre le terrorisme, la politique de la ville signifie une réponse pour faire face à la montée de la menace, car il est possible par laquelle de résoudre une grande partie des problèmes et des facteurs majeurs, notamment socio-économiques, qui poussent les individus aux activités terroristes. La mise en place d’une politique de la ville bien organisée selon les conditions socio-économiques de la Turquie peut renforcer non seulement les services de sécurité mais également tout mécanisme de lutte contre le terrorisme.

La politique de la ville nécessite « une approche globale, à la fois sociale et urbanistique, des problèmes spécifiques aux villes » 528 . Ce type de politique consistera en un large ensemble d’actions menées par plusieurs ministères et institutions différents dans le cadre de leurs politiques propres. Il faudra peut-être, comme dans le cas français, créer un ministère de la ville chargé de mener toute politique. Elle obligera les différents départements ministériels à coopérer entre eux, à réaliser un travail de fond, mais elle impliquera aussi un partenariat entre l’Etat et les unités administratives concernées aux niveaux central et local.

En fait, la mise en place d’une telle politique suscite de multiples questions, car elle est, en effet, une politique extrêmement difficile à appliquer, plus coûteuse à rembourser et de longue durée. De plus, quelques exemples étrangers, notamment le cas français 529, nous ont montré clairement qu’il était difficile d’atteindre les résultats escomptés, de contrôler suffisamment son application, de restaurer l’autorité de l’Etat etc., notamment en matière de violence. Ainsi, plusieurs questions sont déjà présentes à répondre en la matière. Dans ce contexte, l’administration et les institutions doivent réaliser, avant tout, une évaluation très sérieuse afin de mieux voir s’il sera possible de la mettre en place et de l’appliquer pour une période de longue durée en Turquie. A partir d’une découverte de la capacité et la maîtrise des institutions concernées, une telle politique pourra être appliquée comme une des mesures importantes de la stratégie antiterroriste à long terme.

La lutte contre le terrorisme ne peut pas constituer l’unique raison pour une telle politique de grande ampleur. Aucun Etat ne peut consacrer un travail administratif aussi lourd ou un budget aussi grand pour seulement lutter contre le terrorisme. Ainsi, les mesures en faveur du développement socio-économique des quartiers, de l’enseignement scolaire, de l’emploi, etc. et, bien sûr, de la sécurité et la prévention de la délinquance sont quelques autres raisons pour la prise de conscience d’une telle politique. Dans cette perspective, la politique de la ville aura, en effet, beaucoup de conséquences non seulement en matière de lutte antiterroriste mais également de la vie sociale et économique et toutes les améliorations vont renforcer en retour l’Etat et ses institutions concernées dans la lutte contre le terrorisme.

Le troisième axe indirect d’une stratégie antiterroriste à long terme est la mise en place d’une police de proximité afin d’élaborer une police plus efficace et plus démocratique. Ce type de mobilisation est associée plutôt à la prévention que la répression et a pour but principal de restaurer l’ordre dans une perspective de proximité. Ces dernières années, la police de proximité est devenue une des grandes priorités des politiques de sécurité intérieure et a été entamée par les décideurs politiques dans plusieurs Etats comme le remède miracle à la délinquance, au sentiment d’insécurité et aux problèmes de sécurité au sens large.

Dès le milieu des années 1990, la plupart des Etats, notamment les européens, ont cherché à mettre en place une police de proximité. Deux modèles, celui des anglo-saxons, community policing, et celui des français, la police de proximité, ont été mis en place comme une nouvelle forme de sécurité. Malgré les avancés du modèle anglo-saxon, le modèle français n’a pas été une adaptation du premier, car le modèle français a été fondé sur l’idée de conserver une police républicaine.

Community policing est, en effet, un nouveau paradigme de maintien de l’ordre dans laquelle la police et ses unités sont vues comme des membres de la communauté. Cette approche exige des responsables d’être occupés, impartiaux, et sensibles aux soucis et aux problèmes de la communauté. La police devrait montrer l’empathie et la compassion avec la sincérité. La police doit également développer sa compétence dans la planification, la résolution des problèmes, l’organisation, les communications interpersonnelles, et peut-être d’une manière plus importante, la pensée critique. Le principal critère de ce type d’approche est d’identifier et de fournir le service de haute qualité à la communauté. De cette façon, la police devient plus sensible aux besoins de la communauté et a également un meilleur arrangement de la façon dont leur travail affecte l’environnement social.

Quant à la police de proximité, elle représente pour la sécurité publique « une nouvelle approche de la fonction policière, autour de cinq grands axes : la territorialisation de l’action policière, la responsabilisation des agents à tous les niveaux, la polyvalence des agents, le contact permanent avec les autres acteurs locaux et une relation privilégiée avec la population. » 530 Par cette « vrai stratégie élaborée » 531 , l’administration française, par exemple, a visé à fournir un meilleur service rendu au public et une identification des besoins de la population et une communication sur les actions menées.532

L’organisation actuelle de la police turque est le produit d’une multitude de textes et de pratiques découlant à partir du milieu de XIXe siècle. Son organisation n’est pas pensée comme un ensemble cohérent, car aucune réforme globale n’est venue ordonner l’ensemble. Malgré l’existence de plusieurs missions préventives précisées dans les textes et pratiquées auparavant, les administrations de ces dernières décennies n’ont pas hésité à organiser la police de manière répressive dans une perspective de police d’ordre. Ainsi, la Police Nationale a gagné un caractère répressif en réalisant ses missions dans le cadre de force légitime de l’Etat. Ce type d’organisation policière a rendu difficile la mise en place des politiques et des mesures préventives et cesdites politiques ont suscité un grand intérêt dans la conception moderne du service de police, notamment en Europe.

Les deux modèles précisés ci-dessus disposaient de points forts et de points faibles, et le modèle français533 a été plus critiqué que le modèle anglo-saxon. Selon le sociologue turc Halil Ibrahim Bahar534, le community policing ne constitue pas un modèle à adapter pour la Turquie dans sa recherche d’une politique de proximité. Selon le commissaire de police turc Ahmet Polat535, la Police Nationale turque peut s’inspirer de l’exemple français, la police de proximité, car cette dernière est plus proche à appliquer pour le système policier en Turquie. En effet, quelques exemples sont déjà présents à retirer ses conséquences pour la réorganisation de la police turque de manière préventive. Cependant il ne faut pas oublier que les modèles précisés ci-dessus n’ont pas été une réponse efficace pour la résolution des problèmes de sécurité.

En effet, la redéfinition de la sécurité de manière préventive nécessite un changement concret dans l’organisation de la police turque comme une évolution de police d’ordre à la police de proximité. Il faudra mettre en place une police de proximité 536 en définissant clairement ses objectifs et ses applications afin d’améliorer la relation entre la police et la population, et prendre plusieurs mesures politico administratives, juridiques et opérationnelles. Ce type de politique permettra non seulement de satisfaire à la demande de sécurité et de diminuer le taux de crimes et de délit 537 mais également d’assurer la participation de la société à la lutte contre le terrorisme. Par ce type de politique, la police pourra également offrir un service démocratique 538 .

Figure 3.5 : La redéfinition de la sécurité de manière préventive
Figure 3.5 : La redéfinition de la sécurité de manière préventive

Notes
522.

Pour les details voir, CHEVALLIER Jacques, L’Etat de droit, Paris, Montchrestien, 2003, 160p.

523.

Citée de l’article de Vie Publique, « Qu’est-ce que l’Etat de droit ? », Pour les détails, voir : www.vie-publique.fr

524.

Anonyme, « Etat de droit », sur le site d’Internet d’Encyclopédie libre Wikipédia, www.wikipedia.org.fr

525.

BESE Ertan, Terorizm, Avrupa Birligi ve Insan Haklari (Le Terrorisme, l’Union Européenne et les Droits de l’homme), Ankara, Seckin Yayincilik, 2001, 212p.

526.

Entretien avec Ihsan BAL, le 16 novembre 2005 à Ankara.

527.

Anonyme, « Politique de la vile en France  », sur le site d’Internet d’Encyclopédie libre Wikipédia, www.wikipedia.org.fr

528.

Anonyme, « Etat de droit », sur le site d’Internet d’Encyclopédie libre Wikipédia, www.wikipedia.org.fr

529.

Pour les conséquences d’une telle politique en France, voir, DIEU François, Politiques publiques de sécurité, op.cit., p.93 et suite ; les Violences Urbaines, p.132 et suite ; BAUER Alain et RAUFER Xavier, Violences et insécurités urbaines, Paris, PUF, 2002, p.51 et suite ; FELKAY Michel, Les interventions de la police dans lez zones de cités urbaines, Paris, L’Harmattan, 1991, 98p.

530.

Citée de l’article de Vie Publique, « La Police de proximité », Pour les détails, voir : www.vie-publique.fr

531.

RUDOLPH Luc et SOULEZ Christophe, Les stratégies de la sécurité, Paris, PUF, 2007, p.1.

532.

Pour les détails voir le rapport de l’ENA, la Police de proximité : une révolution culturelle ?, Paris, 2000.

533.

Selon Sébastian Roché, l’échec de la police de proximité en France peut être expliquer par cinq causes : l’absence d’objectifs préalablement définis à cette nouvelle forme de police, les faiblesses de doctrine sous tenant ce projet, le bilan mitigé de sa généralisation, les aléas politique qui ont freiné son épanouissement et une conduite du changement laborieuse. Pour les détails voir, ROCHE Sébastian, Police de proximité : nos politiques de sécurité, Paris, Seuil, 2005, 305p.

534.

BAHAR Halil Ibrahim, « Toplum destekli polislik » (Community policing), art.pp. …, in CEVIK Hasan Huseyin et GOKSU Turkut (dir.), Turkiye’de devlet toplum ve polis (L’Etat, la société et la police en Turquie), Ankara, Seckin Yayinevi, 2002.

535.

POLAT Ahmet, De police d’ordre à la police de proximité, Thèse de doctorat non publiée, Université Jean Moulin Lyon-3, 2006.

536.

Ces dernières années, la Police Nationale a débuté un programme pour la mise en place de police de proximité. Par ce programme, elle a visé non seulement à mener une lutte policière efficace et moderne mais également à assurer la participation de la société à la lutte contre toute la délinquance. Pendant la mise en police de proximité, les unités concernées de la Police Nationale, notamment la Direction Centrale de l’Ordre Public, ont constitué des groupes de travail et ont examiné les expériences occidentales. Le programme a été soutenu également par l’Union européenne. Plusieurs universitaires, chercheurs et professionnels européens ont été invités aux travaux de la Police Nationale et la Police espagnol a participé activement à quelques projets. Actuellement, le programme de police de proximité est en application dans vingt-cinq départements. Après la première évaluation qui sera réalisée à la fin de 2008, la Police Nationale prendra sa décision sur la possibilité de l’application d’un tel programme dans toute la Turquie. Pour les détails voir : Anonyme, Toplum Destekli Polislik : Hizmet standardi ve kilavuz belgeleri (Police de Proximité : Le standard de service et les documents guides), EGM, Ankara, 2007, 229p.

537.

ROCHE Sébastian, Police de proximité : nos politiques de sécurité, op.cit. 305p.

538.

KAVGACI Halil Ibrahim, Demokratik polislik : temel yaklasimlar (Le service démocratique de la police : les approches fondamentales), Ankara, Maset, 1997, 160p.