Section 2. Le besoin d’une nouvelle intervention policière : la réorganisation de la police antiterroriste de manière plus dynamique

En Turquie, l’organisation actuelle de la police antiterroriste est un résultat de l’empilement successif des unités diverses, décomposées et recomposées selon les besoins. Au début de la République, une seule unité, Birinci Sube (Première Section), s’occupait des actes contre la sécurité de l’Etat et de la société. Suite aux premiers actes terroristes, la police antiterroriste s’est organisée dans une perspective totalement répressive et a été utilisée, pendant ces dernières quarante années, comme le bras armé de l’Etat.

Actuellement, la Police Nationale dispose d’une structure antiterroriste compétente contre le terrorisme. Cependant quelques modifications organisationnelles, techniques et intellectuelles sont indispensables pour mener une lutte efficace à long terme. Ainsi, réorganiser la police antiterroriste de manière plus dynamique, renforcer ses capacités techniques, technologiques et intellectuelles sont des réalités non négligeables.

La réorganisation de la police antiterroriste de manière plus dynamique signifie un renouvellement des unités concernées de haut en bas dans une perspective contemporaine. Elle signifie, tout d’abord, la mise en adaptation des méthodes managériales pour une direction plus efficace, puis la mise en application d’une bonne gestion de ressources humaines pour mieux faire fonctionner l’ensemble de toutes les unités, et enfin, le renforcement technologique et intellectuel de la capacité des unités concernées pour la réorganisation proactive de la police antiterroriste. Dans cette perspective, un nouveau modèle de lutte antiterroriste policière est indispensable pour assurer un meilleur service de sécurité plus dynamique et plus rentable.

Le management de lutte antiterroriste policière signifie la gestion des unités concernées afin de mener une lutte efficace contre la menace terroriste. En fait, la Police Nationale en tant qu’organisation strictement centralisée et chargée d’une mission régalienne de l’Etat, n’est plus ouverte aux modifications et aux renouvellements fondamentaux, car son organisation et sa direction sont, en effet, le résultat de multiples procédures et structures tels que le système central de l’administration, le poids lourd des autorités politico administratives, les relations complexes de la Police Nationale avec les institutions judiciaires et avec les autres services de sécurité, la culture et l’éthique professionnelle 539 etc. Cependant, l’organisation policière, comme toutes les autres organisations publiques ou privées, est faite par des personnes et l’adaptation des méthodes managerielles aura des conséquences positives non seulement sur le fonctionnement de l’organisation mais également sur la satisfaction du personnel concerné.

Selon le commissaire de police turc Adnan Ozdemir, « la police turque n’est pas en mesure de faire un bon diagnostic des problèmes auxquels elle fait face. Chaque manager ou responsable a sa propre solution aux problèmes posés. Cette situation, résultant du manque de communication, dégrade le principe de continuité dans le fonctionnement. Un système créé par l’un peut être détruit par l’autre. Aucune autorité n’a l’air de s’occuper de ces types de dysfonctionnements. » 540

La réorganisation de la police antiterroriste, de manière managerielle, nécessitera une analyse approfondie sur les meilleures pratiques du fonctionnement et de la gestion, et une meilleure organisation du travail antiterroriste. Ces pratiques sont des méthodes et des techniques innovatrices déjà pratiquées par différentes organisations et différents services de sécurité étrangers, qui contribuent à améliorer la performance organisationnelle. L’identification des bons facteurs de performance organisationnelle, l’élaboration d’une stratégie étroitement ciblée et clairement exprimée, l’évaluation de l’environnement organisationnel, le déploiement des meilleures ressources humaines et financières aux endroits stratégiques, la responsabilisation du personnel, l’optimisation de l’efficacité du personnel par l’organisation du travail etc. sont quelques pratiques applicables dans la réorganisation de la police antiterroriste. En fait, il est possible décrire plusieurs méthodes de management, modèles ou théorie d’organisation différents à appliquer dans la police antiterroriste. Cependant il faut faire une recherche scientifique et approfondie selon les besoins de la police antiterroriste. En effet, ce type de réorganisation permettra, d’une part, de reconnaître les principes de bonne gestion tels que la planification, l’organisation, la direction et le contrôle des unités concernées et de leur personnel, et d’autre part, d’optimiser la gestion des ressources humaines.

Selon Adnan Ozdemir, « il faut deux conditions principales pour un meilleur management de la police antiterroriste : premièrement, le personnel antiterroriste doit avoir une bonne formation en matière de son métier et son terrain ; deuxièmement, les dirigeants concernés doivent disposer des méthodes de lutte à court et à long terme. La lutte antiterroriste à court terme doit être menée contre les organisations terroristes actuellement présents. On ne peut pas négliger ce type de lutte, car les terroristes continuent encore à réaliser des attentats et il faut les prévenir et les empêcher. A long terme, il faut, d’une part, lutter contre les terroristes actuellement présents et, d’autre part, développer des nouvelles méthodes de lutte antiterroriste, c’est-à-dire, définir les causes du terrorisme et prendre des mesures pour les empêcher… Il y a aussi d’autres éléments importants pour un meilleur management de la police antiterroriste, notamment la participation de la société et des autres institutions à la lutte antiterroriste, l’amélioration des relations de la police avec les institutions administratives et juridiques et enfin la mesure de la performance des unités antiterroristes concernées…En effet, pour résumer, il faut quatre ou cinq dimensions pour un bon management de la police antiterroriste: la bonne formation du personnel antiterroriste, la mise en place des politiques antiterroristes à court et long terme, la mise en place d’une approche multidisciplinaire, la diminution du processus de prise de décision et la mesure de la performance. » 541

La réorganisation de la police antiterroriste se posera également sur la bonne gestion des ressources humaines . Ce dernier système signifiera l’ensemble de fonctions ou de pratiques ayant pour objectif de mobiliser et de développer les ressources du personnel dans une perspective efficace, pertinente et cohérente. La gestion des ressources humaines de la police antiterroriste couvrira de nombreux domaines dans l’organisation tels que le recrutement, la formation, l’évaluation des performances, la gestion des conflits, la motivation du personnel, la communication, la satisfaction au travail etc.

Dans la gestion des ressources humaines, le processus de recrutement permettra d’évaluer l’adéquation du personnel en matière de qualification tandis que la formation aidera à améliorer le niveau de compétence de ce personnel. Sur ce point, l’évaluation des performances facilitera à mieux évaluer la capacité du personnel pendant son travail et le développement d’une logique rationnelle pour le système du recrutement et de la formation. La gestion de conflits et la communication du personnel sont indispensables pour empêcher les problèmes de relations humaines et organisationnelles. Enfin, la motivation 542 et la satisfaction du personnel sont des points importants pour la réalisation des affaires et des missions de manière régulière, efficace et à long terme. La gestion des ressources humaines signifie également que tout le monde est dans le même bateau dans la lutte antiterroriste. Si quelqu’un fait un trou dans la coque, tout le monde sera écopé, tout le monde sera trinque et, éventuellement, tout le monde coulera. En effet, si un membre du personnel fait mal son travail, ce sont les autres membres des unités concernées qui doivent le refaire à sa place. Ainsi tout le monde en supportera les conséquences.

Le renforcement technologique est un autre point indispensable pour la réorganisation de la police antiterroriste. Actuellement, la Police Nationale dispose d’une section technique au sein de la Direction Centrale des Renseignement Généraux. Cependant cette unité ne constitue pas une structure capable de répondre à tous les besoins technologiques de la police antiterroriste. C’est pour cette raison qu’il faut construire un centre de technologie de la sécurité intérieure et dans lequel un service technique pour gagner la bataille technologique. Ce service sera composé de policiers et de techniciens mais également générera des partenariats avec le secteur privé ou avec les unités militaires concernées. Ce type de mobilisation signifiera une révolution technologique de la Police Nationale et permettra à la police antiterroriste d’entrer dans une nouvelle ère, car il permettra à la police de s’organiser technologiquement au-delà du seul domaine du renseignement.

Quant au renforcement intellectuel , il signifie l’adaptation de la police antiterroriste aux évolutions de la menace terroriste. Ce type d’adaptation se pose, d’une part, sur une mobilisation légale et matérielle de la Police Nationale pour augmenter la capacité intellectuelle de son personnel antiterroriste, et d’autre part, la création d’une école de lutte contre le terrorisme pour unifier et standardiser la formation antiterroriste au sein de la Police Nationale. Les unités policières de lutte antiterroriste sont généralement en contact avec les services de sécurité turcs et étrangers et elles envoient du personnel pour les formations antiterroristes, les programmes scientifiques et professionnels tels que les formations continues, les conférences, les séminaires etc. en Turquie et à l’étranger. Cependant ce type de participation est toujours limité notamment pour les programmes à l’étranger. Dans un monde sans frontières où les terroristes se sont déjà internationalisés et ne connaissent aucune limite géographique, la police antiterroriste doit bien suivre non seulement l’évolution de la menace terroriste ou ses modes opératoires mais également l’évolution de lutte antiterroriste ou encore ses méthodes et techniques. Ainsi la Police Nationale doit se mobiliser légalement et matériellement afin d’assurer une adaptation des unités antiterroristes aux évolutions de la lutte antiterroriste.

La création d’une école de lutte contre le terrorisme sera en fait la conséquence de l’unification de formation continue antiterroriste au sein de la Police Nationale. Actuellement, les trois directions centrales concernées disposent d’unités chargées de la formation continue en matière de lutte contre le terrorisme. Même si chaque direction centrale donne des formations propres dans le cadre de sa mission, il existe également des formations communes relatives à l’augmentation de la capacité intellectuelle. La création d’une école de lutte contre le terrorisme permettra, d’une part, d’unifier les différentes formations de la Police Nationale et, d’autre part, de standardiser ladite formation pour tous les membres des unités antiterroristes policières. De plus, cette école ne sera pas limitée par les membres de la Police Nationale, car elle pourra planifier les différentes formations pour les membres des autres services de sécurité turcs et étrangers.

La réorganisation de la police antiterroriste et le renforcement technique et intellectuel de cette dernière concerne également le développement d’une stratégie proactive de la police antiterroriste. Cette approche signifie ici la mise en place d’une structure préventive mais également active pour que les unités concernées puissent intervenir avant que l’acte terroriste ne soit réalisé. Ce type de réorganisation nécessite de développer une stratégie policière de prévention situationnelle pour protéger des personnes et des biens contre des menaces précises. Dans cette stratégie, c’est une solution situationnelle qu’envisageront spontanément les policiers et les responsables des unités antiterroristes dans les transports publics, les centres commerciaux, les aéroports, les hôpitaux etc. La police consacrera ses efforts à prendre des mesures préventives, à informer la société contre les dangers et les risques terroristes, à intervenir avant que les attentats ne se réalisent pas. Ainsi, l’acte terroriste ne sera pas réalisé, ses dégâts seront empêchés et la société ne sera pas dérangée.

Dans cette perspective, il faut restructurer l’organigramme de la police antiterroriste en considérant cette dernière comme une seule unité opérationnelle 543, c’est-à-dire l’ensemble des unités de renseignement, de lutte contre le terrorisme et des forces spéciales dans une seule unité. Ce type de réorganisation pourra être constitué sous deux formes : la constitution de trois directions centrales concernées dans une seule direction centrale et l’unification de cesdites directions centrales sous la responsabilité d’un directeur général adjoint.

Dans le contexte actuel de la Turquie, la deuxième forme est plus facile que la première, car aucune autorité politico administrative ou policière n’acceptera à amoindrir la taille des unités concernées. Par contre, la création des nouvelles unités ou l’élargissement de leurs tailles est généralement considérée dans le système administratif turc comme la solution définitive des problèmes rencontrés. Cependant, ce type de réorganisation ne permettra pas à la Police Nationale une mobilisation plus pratique et dynamique. De plus, une nouvelle structure entraînera des nouvelles procédures bureaucratiques. Dans cette perspective, la proposition de la première forme, la constitution de toutes les unités concernées dans une seule direction centrale et la liaison directe de cette dernière au directeur général de la Police Nationale paraît plus logique et plus pragmatique.

Dans cette nouvelle configuration, les trois directions centrales concernées seront unifiées sous la Direction Centrale des Renseignements, des Opérations et de la Lutte Contre le Terrorisme (Terorle Mucadele, Istihbarat ve Harekat Dairesi Baskanligi -TEMIH). Cette dernière sera liée directement au directeur général au niveau central et ses unités seront liées au directeur de police dans les départements. Les missions non relatives à la lutte antiterroriste de la Direction Centrale des Renseignements Généraux seront assumées par les différentes directions centrales notamment par la Direction Centrale du Crime Organisé. Huit sous-directions seront constituées au sein de la TEMIH. Trois sous-directions, celles de Renseignements Généraux, des Forces Spéciales et de la Lutte Contre le Terrorisme, seront constituées dans le cadre de la logique de lutte antiterroriste opérationnelle, c’est-à-dire le renseignement, l’opération et l’interrogation. Une quatrième et nouvelle sous direction, celle des Opérations Psychologiques sera ajoutée pour renforcer la bataille des idées à long terme tandis que la Sous-direction Technologique (Centre technologique de lutte contre le terrorisme) sera mise en place afin de mener une lutte efficace pour gagner la bataille technologique. La Sous-direction de Formation (Ecole de lutte contre le terrorisme) permettra d’unifier la formation antiterroriste contenant des programmes générales pour l’ensemble du personnel et des programmes spécifiques selon les missions diverses de cette Direction Centrale. La Sous-direction du Personnel (Centre de gestion des ressources humaines) dirigera toute politique personnelle dans une perspective plus dynamique tandis que la Sous-direction de Recherche et d’Evaluation permettra de développer une logique scientifique et réelle pour une lutte efficace et à long terme. En effet, les unités qui réalisent les mêmes missions, les budgets consacrés pour les mêmes tâches, les programmes de formation et de recherches communes seront unifiés et, de ce fait, les procédures bureaucratiques seront diminués, les tâches répétées seront empêchées, la rivalité parmi les unités concernées sera achevée et enfin la direction et la coordination de lutte antiterroriste policière sera facilitée, unifiée et dynamisée.

Figure 3.6 : La réorganisation de la police antiterroriste (Direction Centrale des Opération, des Renseignement et de la Lutte Contre le Terrorisme)
Figure 3.6 : La réorganisation de la police antiterroriste (Direction Centrale des Opération, des Renseignement et de la Lutte Contre le Terrorisme)

Il nous semble que la réorganisation de la police antiterroriste de manière plus dynamique sera une réponse efficace pour un bon fonctionnement à l’intérieur de l’organisation et permettra de développer une stratégie antiterroriste policière plus efficace. Cependant, ce type de réorganisation devra être soutenu par la résolution de quelques problèmes que les unités concernées ont déjà rencontrées. En dehors de quelques problèmes majeurs - organisationnels, fonctionnels, juridiques et techniques -, la difficulté d’échange d’informations avec les autres services de sécurité, la rivalité entre la police et la gendarmerie, la politisation de l’institution policière etc. restent encore des problèmes à résoudre. Dans ce contexte, la Police Nationale doit, d’une part, assurer une coopération étroite avec les autres services de sécurité, et d’autre part, constituer un mécanisme de protection contre la politisation, afin de mener une lutte efficace.

Notes
539.

Selon Ihsan BAL ve Fatih BEREN, dans les Etats modernes, la police utilise parfois la force afin d’assurer l’ordre public et c’est seulement grâce à l’existence et le bon fonctionnement de l’éthique professionnelle que la police peut intervenir démocratique et contemporaine. Pour les détails voir : BAL Ihsan et BEREN Fatih, Polis Etigi (Ethique policière), Ankara, Siyasal Kitabevi, 2007, 211p.

540.

Entretien réalisé avec Adnan OZDEMIR, le 15 juin 2007, à Istanbul.

541.

Entretien réalisé avec Adnan OZDEMIR, le 15 juin 2007, à Istanbul.

542.

La motivation du personnel peut être sous deux formes : positive et négative, c’est-à-dire la récompense et la sanction. La motivation positive notamment la félicitation, la prime et la formation sont les manières les plus utilisées dans la police antiterroriste.

543.

Il est possible de proposer également l’unification de ces trois directions centrales sous une nouvelle direction générale de lutte contre le terrorisme. Ce type de proposition ne sera possible qu’en cas de transformation de la DGPN à un Sous-secrétariat de la Sécurité Intérieure. Il est évident que ce type de transformation ne sera pas possible dans la conjoncture politico administrative en Turquie.