Section 3. Le besoin d’une nouvelle mobilisation policière vis-à-vis du terrorisme religieux : le renouvellement de la stratégie policière

En matière de lutte contre le terrorisme religieux, la nouvelle stratégie policière doit se poser sur des modifications organisationnelles, intellectuelles et fonctionnelles des unités concernées. Les modifications organisationnelles signifient le renforcement des unités concernées en matière de ressources humaines et financières tandis que les modifications fonctionnelles sont plutôt l’invitation des différentes institutions, notamment les milieux scientifiques et la Présidence des affaires religieuses, aux activités antiterroristes. Quant à la mobilisation opérationnelle, elle met en place une démarche à suivre pour l’intervention de la police en matière de menace du terrorisme religieux.

La mobilisation organisationnelle de la police antiterroriste signifie, tout d’abord, le renforcement humain et financier des unités concernées. Comme les organisations terroristes révolutionnaires et séparatistes étaient déjà en activité en Turquie, les institutions antiterroristes se sont organisées afin de contrer les activités de cesdites organisations. A partir du début des années 2000, la Police Nationale a renforcé ses unités contre le terrorisme religieux, cependant le renforcement policier a été marqué par augmentation quantitative mais pas qualitative du personnel de ces unités concernées. C’est pour cette raison que la police antiterroriste doit réaliser un deuxième renforcement humain et financier afin de mener une lutte efficace dans la conjoncture actuelle.

Le renforcement humain de la police signifie, d’une part, le développement qualitatif de la capacité du personnel, et d’autre part, l’augmentation de nombre du personnel des unités concernées. Comme le terrorisme international d’aujourd’hui repose plutôt sur l’idéologie religieuse et les organisations terroristes religieuses, notamment Al-Qaida, qui élargissent leur terrain d’activités en dépit des Etats et des services de sécurité, les unités antiterroristes policières turques doivent s’adapter à l’évolution de la menace religieuse. Ainsi, la Police Nationale a besoin d’un personnel suffisamment compétent qualitativement et quantitativement en matière de terrorisme religieux. Le personnel qui sait et comprend la réalité de la menace religieuse, qui peut suivre l’évolution de la menace non seulement au niveau interne mais également international, et qui est plus ouvert à la formation et le développement personnel, sera l’enjeu d’un deuxième renforcement humain de la police antiterroriste.

La Police Nationale doit renforcer également ses unités antiterroristes sur le plan financier. Il s’agit de consacrer un budget assez suffisant non seulement pour mieux faire fonctionner les unités concernées mais également pour renforcer le développement personnel. En fait, les dépenses budgétaires des unités policières ne sont pas divisées pour n’importe quelle unité, cependant les directeurs de police, au niveau central et au niveau local, sont les responsables desdites dépenses, et disposent d’une autonomie à consacrer plus de budget pour le renforcement de capacité personnelle. Ces derniers doivent faire une bonne analyse des dépenses et les unités de lutte contre le terrorisme religieux doivent être renforcées.

Il est évident que les formations antiterroristes continuent généralement des informations classiques et le développement personnel d’aujourd’hui exige de suivre différentes et nouvelles formations. Par exemple, un policier antiterroriste devait suivre une formation classique des méthodes d’interrogation organisée par les Directions Centrales concernées. Auparavant, ce type de formation était considéré généralement suffisant pendant l’interrogation et l’enquête des terroristes religieux, mais aujourd’hui, le policier antiterroriste a besoin de nouvelles formations, par exemple la formation sur le langage corporel, la formation électronique sur l’analyse du crime ou la formation en langue anglaise et arabe. Ainsi, comme les techniques d’interrogation sont de plus en plus compliquées selon l’évolution de la menace, la police antiterroriste doit modifier et renforcer sa base de formation par de nouvelles formes de formation et doit consacrer plus de budget afin de renouveler cette dernière.

En matière de lutte contre le terrorisme religieux, l’invitation des différentes institutions, notamment les milieux scientifiques et la Présidence des affaires religieuses, est une stratégie importante pour la mobilisation intellectuelle des unités policières. Comme le terrorisme n’est pas seulement un problème de sécurité, la Police Nationale, en tant que service de sécurité, ne peut pas suffisamment répondre seul contre ce type de menace. Ainsi, il faut inviter cesdites institutions aux travaux policiers pour une lutte efficace à long terme.

En luttant contre le terrorisme religieux, la police doit utiliser également la capacité des milieux scientifiques, car la lutte antiterroriste exige également d’une recherche approfondie sur les causes - politique, socio-économique, culturelle et religieuse - du terrorisme. La capacité intellectuelle des universités et des centres de recherches n’est pas négligeable en matière de recherches scientifiques et la sécurité est un domaine encore vierge. Selon Ihsan Bal, « la lutte contre le terrorisme se pose sur deux cibles, le terrorisme et le terroriste. C’est pour cette raison qu’il est important de bénéficier des conséauences des travaux scientifiques. Pour une telle utilisation, d’abord, il faut faire des débats clairs pour mieux comprendre le problème, car l’enjeu de lutte antiterroriste ne doit pas être considérée comme un tabou. Ensuite, les chercheurs qui travaillent scientifiquement et systématiquement sur la question doivent être encouragés sensiblement. Enfin, les autorités et institutions concernées doivent prendre des mesures à partir des travaux, des analyses et des statistiques scientifiques mais pas des slogans ni des complots de théories. Et la Police Nationale, notamment ses unités concernées, doit mieux suivre les conséquences de ces travaux scientifiques. » 544

Ces dernières années, les universités se sont de plus en plus intéressées aux questions de sécurité et les centres de recherches scientifiques et stratégiques ont consacré un grand effort pour une mobilisation importante en la matière.545 Ainsi, l’intérêt de ces institutions pour les travaux de sécurité est évident. Par ailleurs, l’incitation des policiers antiterroristes à suivre des programmes scientifiques et des études supérieures est un autre point important pour la mobilisation intellectuelle des unités concernées.

Quant à la Présidence des affaires religieuses, cette dernière peut offrir une base fondamentale pour l’interprétation des sources religieuses et l’impact de ces dernières sur la vie des musulmans. Il est évident que ce type d’information renforcera la main de la police antiterroriste pendant les interrogations et les enquêtes des terroristes à court terme et la bataille des idées à long terme. En effet, l’invitation à la lutte antiterroriste de ces derniers pour la lutte policière ne constituera pas un problème ni pour la police antiterroriste ni pour les institutions concernées.

L’invitation des différentes institutions signifiera également la participation de l’initiative civile dans la lutte antiterroriste. De ce fait, les groupes de travail ne se constitueront pas seulement par les membres des services de sécurité, et les universitaires, les intellectuels, les enseignants, les fonctionnaires de la Présidence des affaires religieuses, les spécialistes du terrain etc. seront les participants d’une telle lutte policière. En effet, la Police Nationale doit développer une logique de coopération afin de bénéficier des compétences de ces milieux scientifiques et doit inviter les institutions concernées par l’intermédiaire des protocoles afin d’assurer une coordination étroite et à long terme.

A partir d’une mobilisation organisationnelle et intellectuelle, la Police Nationale doit renforcer sa stratégie antiterroriste par une mobilisation opérationnelle . La démarche à suivre pour ce type de mobilisation repose sur trois axes : l’utilisation d’une terminologie commune du terrorisme religieux ; le refus d’un amalgame entre l’Islam et le terrorisme ; la distinction des pratiquants et des croyants sincères avec les organisations terroristes et les groupes radicaux.

L’utilisation d’une terminologie commune est la principale démarche pour une mobilisation opérationnelle de la police antiterroriste, car à partir d’une telle terminologie la Police Nationale pourra mettre en place une stratégie commune. Sur ce point, le commissaire divisionnaire de police turc Umit Yurdakul546, propose l’utilisation du « terrorisme à motif religieux » pour définir les actes des terroristes religieux. En fait, la Police Nationale a toujours utilisé le même terme dans ses documents officiels, cependant quelques termes différents sont encore utilisés dans le langage quotidien de la police et des différents services de sécurité. Ce type de différence, ou plutôt l’utilisation de quelques termes rappelant un amalgame entre l’Islam et le terrorisme tels que « terrorisme islamique » ou « terrorisme islamiste », entraîne des difficultés pour le soutien des citoyens et forcent la main des organisations terroristes pendant leur propagande en dépit de l’Etat et des institutions. C’est pour cette raison que l’utilisation d’une terminologie commune est indispensable non seulement pour la police antiterroriste mais également pour toutes les institutions concernées.

La terminologie commune nécessite également une définition commune des groupes radicaux religieux. Selon le commissaire divisionnaire de police turc, Umit Yurdakul, ces derniers sont « les groupes qui n’ont pas encore recours à la violence, mais également qui sont fermés au dialogue, qui considèrent « l’autre » comme l’ennemi, qui grandissent par la propagation des idées de la haine et de la peur, et qui disposent de membres psychologiquement présents pour les actes violents ». Ainsi, un groupe radical est un candidat potentiel pour devenir une organisation terroriste. De plus, il est complètement différent non seulement des pratiquants ou des citoyens sincères mais également et notamment des communautés religieuses et des confréries. Dans cette perspective, la police antiterroriste doit préciser les démarches à suivre de son intervention opérationnelle à partir d’une telle terminologie. Sinon, la considération des croyants, en tant qu’individus ou communautés comme des radicaux entraînera à une catastrophe de lutte antiterroriste dont les conséquences ne seront jamais estimables.

La nouvelle stratégie policière nécessite également le refus d’un amalgame entre l’Islam et le terrorisme, car la lutte contre le terrorisme religieux n’est pas un combat contre l’Islam ou les musulmans. Elle est dirigée contre les organisations terroristes qui instrumentalisent l’Islam pour leurs propres intérêts et leurs actes violents, et qui dévoient la tradition et la synthèse humaniste de l’Islam turc. Dans cette perspective, il ne faut pas utiliser les termes comme le terrorisme islamique, juif, chrétien ou salafiste, car l’amalgame des actes violents avec les croyances causera des problèmes inestimables, par exemple la provocation de choc des civilisations. Si la police ne fait pas attention en utilisant les termes, son intervention pourra être considérée par les personnes appartenants à n’importe quel religion ou mouvement religieux, comme une répression. Par exemple, si la police parle des mesures en termes de « terrorisme islamique », quelques groupes et individus pratiquants pourront considérer une répression étatique sur leur croyance. Ce type de perception pourra empêcher l’efficacité de la lutte policière menée.

En Turquie, selon le sociologue turc Serif Mardin, il y a une société qui est vient de sortir d’une façon de vie communautaire et l’Islam en tant que religion de société, assure encore une vision du monde et un équilibre individuel pour des gens croyants et pratiquants. C’est pour cette raison que la religion est encore plus respectée et est considérée importante.547 Dans la lutte contre le terrorisme religieux, la police antiterroriste doit distinguer les pratiquants et les croyants sincères des organisations terroristes, des groupes radicaux et des groupes d’intérêt qui instrumentalisent la religion. La police antiterroriste doit également éviter des interventions opérationnelles qui nuiront à ces pratiquants et croyants. Sinon, la mise en place de mesures opérationnelles sans faire une distinction évidente sera un meilleur instrument pour les organisations terroristes et les groupes radicaux, qui font la propagande en dépit de l’Etat et de ses institutions, considérant les derniers comme ennemis de l’Islam.

Selon Umit Yurdakul, l’un des points essentiels pour la propagande des organisations terroristes et des groupes radicaux est de s’efforcer de ne pas distinguer des pratiquants sincères et conservateurs. De plus, les organisations terroristes et les groupes radicaux font la propagande que les unités antiterroristes visent tous les musulmans sous le masque de lutte antiterroriste.548 C’est pour cette raison que la police antiterroriste doit être sensible pour la protection des croyants et des pratiquants sincères, et doit clairement montrer que son intervention ne vise que les organisations terroristes et les groupes radicaux.

En effet, comme la menace du terrorisme religieux est montée en puissance en Turquie et les seules mesures policières ne sont pas suffisantes pour une lutte efficace et à long terme, il faut mettre en place une politique de sécurité contenant des mesures politiques, socio-économiques, religieuses et culturelles, et la Police Nationale, en tant que principal garant de la sécurité intérieure, doit développer une stratégie exclusivement réservée au terrorisme religieux, c’est-à-dire une mobilisation organisationnelle, intellectuelle et opérationnelle précisée ci-dessus et convenable à ladite politique de sécurité.

Figure 3.7 : La nouvelle stratégie policière vis-à-vis du terrorisme religieux
Figure 3.7 : La nouvelle stratégie policière vis-à-vis du terrorisme religieux
Notes
544.

Entretien avec Ihsan BAL, le 16 novembre 2005 à Ankara.

545.

Il est intéressant de noter sur ce point que quelques universités ont créé des nouveaux instituts de sécurité et quelques nouveaux centres de recherches stratégiques ont été créés pour les recherches scientifiques en matière de sécurité. Par exemple, plusieurs universités ont créé des instituts sur les travaux de sécurité, notamment sur la sécurité privée, et quelques universités ont débuté des programmes sur le terrorisme. De l’autre côté, les centres de recherche, par exemple, le Centre International de Recherche Stratégique (Uluslararasi Stratejik Arastirma Kurumu - USAK), ont débuté leurs travaux à partir de 2002.

546.

YURDAKUL Umit, « The important points on fighting radicalism and religious terrorism » art.pp. 402-410, in Turkish National Police, Istanbul Conference on Democracy & Global Security 2005, Ankara, Oncu Press, 2006, 821p.

547.

MARDIN Serif, Din ve ideoloji (La religion et l’idéologie), Istanbul, Iletisim, 1997, 188p.

548.

YURDAKUL Umit, « The important points on fighting radicalism and religious terrorism » art.cit., p. 402.