Conclusion de la troisième partie

L’évaluation récente des politiques de sécurité contre le terrorisme religieux nous a montré que la Turquie ne dispose pas d’une bonne politique de sécurité en la matière. En fait, il existe plusieurs institutions, qui interviennent dans le domaine concerné en consacrant beaucoup d’effort, de ressources humaines et financières, et multiples politiques de sécurité mises en places depuis des années. Par contre, il n’existe pas une vraie politique de sécurité exclusivement réservée à la menace concernée. Comme la lutte contre le terrorisme est, en effet, un amalgame de lutte contre le terrorisme et la réaction, toutes les institutions – politico administratives, juridiques et opérationnelles – ne disposent pas d’une approche commune. De plus, comme les institutions politico administratives ne sont pas compétentes dans le domaine concerné, les institutions opérationnelles, notamment les services de sécurité, sont les acteurs majeurs pendant la mise en œuvre et la mise en application des politiques antiterroristes. Ce type d’approche donne un caractère sécuritaire aux politiques antiterroristes et dans cette perspective, ces dernières ne sont ni pertinentes, ni efficaces et ni efficientes.

La Turquie, comme tous les Etats menacés, a besoin d’une stratégie antiterroriste à court et à long terme. Pour que les institutions concernées, notamment opérationnelles, gardent toujours un temps d’avance sur les organisations terroristes, il faut que l’Etat adapte en permanence ses outils et son dispositif selon l’évolution de la menace. En effet, considérer la lutte contre le terrorisme comme « un combat purement opérationnel contre les terroristes » est comme « écoperez avec des seaux lorsque le bateau coule ». C’est pour cette raison que l’Etat turc doit développer une nouvelle stratégie à court et à long terme afin de lutter contre le terrorisme religieux dans une perspective de vaincre la malaria non seulement en également les moustiques mais plutôt en asséchant les marécages.

La lutte contre le terroriste est l’affaire des institutions opérationnelles et juridiques, car une action terroriste, elle-même, joue un rôle pendant la définition de la stratégie antiterroriste. Bien sûr que ce sont des unités policières qui suivront les terroristes, et des unités de renseignements qui chercheront les terroristes qui produisent des bombes dans des cellules terroristes. En plus, les terroristes interpellés seront envoyés en prison après des processus juridiques. Jusqu’ici, c’est une lutte contre le terroriste et les unités opérationnelles et juridiques sont des acteurs de ce processus. Quant à la lutte contre le terrorisme, elle est un domaine de lutte où les autorités et institutions politiques sont les principaux acteurs. Le critère qui renforce l’Etat dans ce domaine est l’augmentation d’une forme de substitution à la lutte contre le terrorisme. Le milieu intellectuel et la société doivent participer à ce domaine, car la lutte contre le terrorisme est en effet un domaine de politique et de sociologie. Ce type de coordination ou de partage assurera une réussite en matière de lutte contre le terrorisme religieux.

La participation active à la lutte antiterroriste internationale est indispensable pour la Turquie qui veut lutter efficacement contre le terrorisme religieux. Mais cette dernière doit suivre une politique étrangère stable en évitant la politique américaine, « guerre contre le terrorisme  », qui accentue les motivations du terrorisme en provoquant un choc global des civilisations. Il ne faut pas oublier que la Turquie mène une lutte contre le terrorisme religieux mais pas une guerre préventive. Dans cette perspective, la Turquie doit assurer un soutien efficace pour l’effort opérationnel antiterroriste de la communauté internationale mais elle doit également développer une stratégie politique afin d’être plus efficace au niveau international.

En matière de lutte contre le terrorisme religieux, la Police Nationale dispose d’un background de quinze ans seulement. Cependant, elle est plus efficace dans le domaine concerné par rapport aux autres services de sécurité. La réussite policière peut s’expliquer en se basant sur deux dimensions : une organisation centrale bien structurée et un fonctionnement bien coordonné sur une capacité opérationnelle importante alimentée par une approche intellectuelle et démocratique. Comme l’organisation de la Police Nationale se caractérise par une centralisation rigide, les unités antiterroristes se composent aussi dans un même schéma organisationnel.

En effet, le système central, dans une telle organisation géante, entraîne quelques difficultés pendant la réalisation de toute mission policière, mais il facilite également les tâches de renseignements et de lutte antiterroriste. Ainsi, la centralisation renforce les unités antiterroristes et leur permet de se mobiliser rapidement pendant les opérations actives. En plus, en dépendant directement du directeur général au niveau central et du directeur de la police dans les départements, les unités antiterroristes disposent également d’un privilège et d’une importance par rapport aux autres unités policières. Cependant la Police Nationale a encore besoin d’une réorganisation plus dynamique posée sur l’unification des unités chargées de la lutte antiterroriste, et d’une nouvelle stratégie vis-à-vis du terrorisme religieux dans le cadre de son évolution.

La nouvelle stratégie que nous avons proposée a également des limites. Ces dernières peuvent s’expliquer par les limites liées au temps, à l’espace et à la structure. Les limites liées au temps peuvent se résumer par la difficulté d’un changement de la stratégie dans un délai très court, car la lutte antiterroriste en Turquie est le résultat d’une intervention de cinquante ans à peu près: Les activités séparatistes et religieuses font l’objet de l’intervention de l’Etat depuis 1923, la lutte contre le terrorisme a débuté à partir des années 1970 et la menace du terrorisme religieux est sur l’agenda politique depuis vingt ans. De plus, la lutte contre le terrorisme dans son ensemble est un enjeu crucial dans l’actualité en Turquie et le gouvernement cherche des mesures pragmatiques et à court terme. C’est pour cette raison qu’il est difficile de changer la routine des institutions concernées. De l’autre côté, la mise en place d’une politique de la ville signifie une période d’au moins 15 ans et aucun parti politique n’a ni assez de courage ni assez de patience pour une telle politique.

Les limites liées à l’espace et à la structure sont des contraintes qui empêchent de mettre en place la nouvelle stratégie que j’ai proposée. La Turquie se trouve dans une région difficile et complexe, et malgré toutes les mesures je crois que la menace sera encore présente à l’avenir. Le système bureaucratique a encore une influence considérable sur les institutions concernées. Chaque institution, en se considérant elle-même comme plus importante que les autres, a un rôle à jouer et a une place à occuper. Les services de sécurité, en se considérant eux-mêmes comme les principaux et seuls responsables des politiques antiterroristes, n’ont pas assez confiance dans les autres institutions civiles et sociales.