Entretien avec Adnan OZDEMIR

Commissaire de police, Direction Centrale du Développement de Stratégie de la DGPN

Entretien réalisé le 15 juin 2007, à Istanbul.

Question 1 : Est-ce qu’il y a un style de management qui est plus utilisable et bénéfique pour les organisations ? En effet, la Police Nationale, en tant qu’organisation géante, elle est l’une des institutions premières qui ont besoin de ce type de style.

Réponse 1 : Cette question n’a pas une réponse définitive, car les études autour de cette corrélation continuent et le nombre important de styles managériaux est une preuve qu’il n’y en a pas encore un qui assure à lui seul la performance de l’organisation. Au cours de nombreuses années, les discours sur les styles de management sont abordés par les milieux académiques et professionnels, alimentant les polémiques, controverses, tentatives de justifications théoriques et pratiques. Les chercheurs et les professionnels essayent de démontrer l’existence des rapports entre les styles de management et la performance de l’organisation.

Question 2 : Qu’est-ce que la mesure de la performance signifie pour les institutions publiques ? Est-ce qu’il y a même perception de mesure de la performance comme dans le secteur privé ?

Réponse 2 : Les institutions publiques ne sont pas toujours bien armées pour développer des méthodologies de mesure de la performance. En général, la performance dans le secteur public se définit en s’inspirant des méthodes de mesure du secteur privé. On retrouve souvent les représentants des divers intérêts, qui sont tentés de privilégier la défense de ces intérêts. La performance devient alors un mécanisme de recherche d’un consensus minimal, agrémenté de déclarations ayant pour objet de présenter la thèse de chacune des parties ; l’ensemble ne permet pas de porter un jugement sérieux sur la définition de la performance. La performance est devenue aujourd’hui un mot-clef dans le vocable de la gestion. Il est repris aussi bien dans le secteur privé que dans le secteur public, mais prend un sens différent, comme ‘l’intérêt économique’ pour le secteur privé et le ‘meilleur service’ pour le secteur public.

Question 3 : Quelle est la perception de mesure de la performance dans la Police Nationale turque ? Existe-il vraiment un système pour ladite mesure ?

Réponse 3 : Il n’existe aucun système apte à mesurer les performances des équipes du personnel. Cette évaluation se base exclusivement sur l’opinion du supérieur hiérarchique. Mais un critère valable pour un supérieur ne peut cependant pas l’être pour un autre. En Turquie, l’existence de quatre-vingt-un départements différents pourrait signifier l’existence de quatre-vingt-un critères différents pour mesurer les performances de l’organisation et du personnel. Les comportements et les styles de travail du personnel changent selon les attentes de chaque supérieur hiérarchique. Dans cette perspective il manque une approche managériale institutionnalisée.

Question 4 : .Quelles sont les variables qui influencent la performance de la police ?

Réponse 4 : Plusieurs variables peuvent avoir une influence sur la performance de la police. Mais il n’existe pas d’indicateurs idéaux utilisables dans toutes les organisations de la police. Au contraire, les recherches indiquent très souvent les inconvénients de certaines méthodes en la matière. Pour mesurer la performance de la police, chaque organisation crée ses propres indicateurs en prenant en compte des réalités de son environnement, du système politique où elle vit, des caractéristiques de la population, des objectifs fixés et du budget réservé.

Question 5 : Qu’est-ce que vous pensez sur le management de la police turque ?

Réponse 5 : La police n’est pas en mesure de faire un bon diagnostic des problèmes auxquels elle fait face. Chaque manager ou responsable a sa propre solution aux problèmes posés. Cette situation, résultant du manque de communication, dégrade le principe de continuité dans le fonctionnement. Un système créé par l’un peut être détruit par l’autre. Aucune autorité n’a l’air de s’occuper de ces types de dysfonctionnements.

Question 6 : Dans cette perspective, qu’est ce que vous pensez sur le management de la police antiterroriste ? Qu’est-ce que vous conseillez pour un meilleur management de la police antiterroriste ?

Réponse 6 : Je pense qu’il faut deux conditions pour un meilleur management de la police antiterroriste : premièrement, le personnel antiterroriste doit avoir une bonne formation en matière de son métier et de son terrain ; deuxièmement, les dirigeants concernés doivent disposer des méthodes de lutte à court et à long terme. La lutte antiterroriste à court terme doit être menée contre les organisations terroristes actuellement présents. Vous ne pouvez pas négliger ce type de lutte, car les terroristes continuent encore à réaliser des attentats et il faut les prévenir et les empêcher. A long terme, il faut, d’une part, lutter contre les terroristes actuellement présents et, d’autre part, développer des nouvelles méthodes de lutte antiterroriste, c’est-à-dire, définir les causes du terrorisme et prendre des mesures pour les empêcher.

Je peux vous dire que ces deux types luttes, à court et à long terme, nécessitent des différents instruments et méthodes de management. Le management à court terme nécessite un mécanisme hiérarchique et une chaîne rigide de commandement / ordre tandis que le management à long terme se pose sur un système moins hiérarchique et flexible. Dans le management à long terme il faut produire des idées et développer des méthodes. Ce dernier est une activité mentale et nécessite également une approche multidisciplinaire. Il faut que les gens de différentes disciplines telles que les sociologues, les psychologues, les politistes ou les juristes doivent travailler ensemble. Il faut également une coopération étroite avec la société et les institutions différentes, c'est-à-dire le partenariat comme vous le savez. Comme il n’est pas très facile de manager en même temps ces deux combats, il faut bien contrôler les mécanismes de décision pendant la mise en place et l’application des politiques antiterroristes. Une hiérarchie flexible est plus importante sur ce point.

Question 7 : Qu’est-ce que signifie ici une hiérarchie flexible ?

Réponse 7 : L’hiérarchie flexible est ici l’inexistence d’un autre mécanisme entre les décideurs et les évaluateurs, c’est-à-dire la nécessité d’alimentation directe des dirigeants par le terrain et la participation de ces derniers au processus des décisions.

Question 8 : Est-ce qu’il y a d’autres éléments importants pour un meilleur management de la police antiterroriste ?

Réponse 8 : Bine sûr que oui. Un troisième enjeu est la participation de la société et des autres institutions à la lutte antiterroriste. Cette participation est en fait l’une des principaux objectifs des dirigeants. Un quatrième est la relation de la police avec les institutions administratives et juridiques. Comme les relations policières en la matière ne sont pas bien organisées il y a généralement des problèmes. C’est pour cette raison que les dirigeants doivent être communicationnels.

Je peux vous préciser la mesure de la performance comme l’enjeu dernier. Cette dernière est possible avec les contrôles réguliers par l’opinion publique. S’il y a un changement négatif sur la perception de la société alors il faut chercher les causes, si le changement est positif alors il faut continuer et accélérer ce changement. Le management antiterroriste sans le soutien de la société sera échec. On a vécu cet échec à l’est de la Turquie, car les politiques antiterroristes étaient sécuritaires, ont été mises en places sous l’égard des yeux des quelques-uns mais pas selon les besoins de la société.

En effet, pour résumer, je peux vous dire qu’il faut quatre ou cinq dimensions pour un bon management de la police antiterroriste: la bonne formation du personnel antiterroriste, la mise en place des politiques antiterroristes à court et à long terme, la mise en place d’une approche multidisciplinaire, la diminution du processus de prise de décision et la mesure de la performance.

Je vous remercie pour cet entretien éclairant.

C’est moi qui vous remercie et souhaite bonne chance.