3- Allan

Dans Un beau ténébreux, le rapport onomastique permet aux personnages de se réunir en couple. Par exemple les graphèmes partagés E, N, R, I entre Henri et Irène les identifient comme un couple marié ; la lettre R doublement figurée et le G motivent le rapport paragrammatique entre le narrateur Gérard et Gregory, l’ami d’enfance d’Allan. Quant à Allan Patrich Murchison, il est le seul héros gracquien doté d’un nom de famille. Gracq le distingue par cette attribution en raison de l’accomplissement de sa recherche. Ce qui l’intéresse n’est plus la recherche d’un espace idéal, mais l’achèvement de la quête. Il est le seul parmi les personnages centraux de Gracq qui réalise ce qu’il veut : le passage de l’autre côté du monde. Il franchit les frontières au moment où il le décide. Par contre, Aldo les dépasse mais sans atteindre l’objectif. Allan entre en scène, en acquérant déjà le secret de la vie. Pour cela, il fascine les autres personnages, sa chambre est un lieu de transgression. En se suicidant avec sa compagne Dolorès61, Allan couronne sa quête, c’est-à-dire qu’il tire les conséquences de sa connaissance. La lettre commune L fait de Dolorès le double féminin d’Allan, sa complice et son alliée, alors que la syllabe [zõ] de Murchison trouve son écho au « poison » qu’il a pris. Porteur de l’espoir de changement et de la vérité, Allan paraît comme une synthèse d’Albert et d’Herminien, car ce dernier achève aussi la quête du double. Cette hypothèse est renforcée par les lettres communes : les AL initiaux et le N final qui l’unissent respectivement aux personnages d’Argol. La répétition des mêmes graphèmes AL dans Albert et Allan souligne une alliance d’anthroponymie. Ce qui nous amène à dire que la parenté phonique rend ce dernier un double complémentaire d’Albert.

Christel, la femme la plus importante du récit, semble attachée graphiquement à Allan Patrich par la lettre L et phonétiquement par la consonne sèche [k]. Mais celui-ci l’a refusée, car elle craint la mort et préfère l’attente. La crainte de la mort la rapproche de Jacques, son admirateur et qui tisse déjà avec elle un rapport onomastique à la faveur du phonème [k]. Christel forme encore à partir de ce phonème des rapports paragrammatiques avec la croix qu’elle porte :

‘« Je remarquai à son cou, pour la première fois, une petite croix d’or suspendu à un collier, avec laquelle, en parlant, parfois elle [Christel] joue »62.’

L’apparition de ce signe dès le début prend signification à la fin, la croix se dessine sur le lit d’Allan tout en annonçant la scène finale du récit : la mort du héros. La motivation entre les différents termes dans ce récit, remarquons-nous, est à la base de la consonne [k].

Notes
61.

Le prénom est d’origine espagnol du latin « dolor », désigne les sept douleurs traditionnelles de la vierge Marie. Son choix n’est pas sans valeur et se rapporte encore à la fin tragique du récit : Dolorès choisit librement mourir le même jour avec Allan. Les références bibliques s’y multiplient comme nous le verrons plus tard.

62.

Un beau ténébreux, p. 107.