2- Vanessa-Maremma, Vezzano, Selvaggi

C’est d’une manière indirecte qu’Aldo tisse des rapports paragrammatiques avec les lieux du récit. À la faveur des relations onomastiques avec Vanessa Aldobrandi, il s’inscrit dans les toponymes. Celle-ci se trouve préfigurée en différents noms de lieux, par exemple Maremma transcrit parfaitement son prénom. Tandis que la position des voyelles identiques correspond exactement dans les deux noms propres : VAnEssA–MArEmmA, les consonnes du surnom de ville « Venise des Syrtes »69, que sa topographie lui accorde, tracent celles de Vanessa : VeNiSe-VaNeSSa. Maremma semble comme le royaume de Vanessa, son palais est la source des bruits qui troublent la ville. Maremma est une ville de marais d’où proviennent la fièvre et les rumeurs, et dont Vanessa concentre en elle le principe actif : 

‘« Elle était la floraison germée à la fin de cette pourriture et de cette fermentation stagnante – la bulle qui se rassemblait, […] qui rendait son âme exaspérée et close dans un de ces éclatements gluants qui font à la surface des marécages comme un crépitement vénéneux de baisers »70.’

Sagra, où Aldo découvre le bateau de Vanessa, compose aussi partiellement les graphies de cette dernière.

Point noir piqué sur la nappe bleue dans la chambre des cartes, Vezzano, cette minuscule île, anagrammise également le nom de Vanessa. Cependant, l’anagrammatisme est accompagné de quelques modulations : inversion des graphèmes /ss/ en /zz/ ; changement de l’ordre des consonnes de /v. n. s/ à /v. z. n/ ; transformation de /a/ final en /o/, marque de masculin comme dans le prénom d’Aldo. La triple inversion, note M. Murat, s’accorde à la conjonction symbolique et sexuelle d’Aldo et de Vanessa. Vezzano est donc à la fois le lieu du rendez-vous et de leur alliance « qui se consomme dans une ellipse du récit ; elle correspond aussi à l’ambiguïté sexuelle manifestée par la topographie de l’île, à la fois cave, crypte et donjon, falaise, et à sa bi-valence symbolique : de loin blanche […] et euphorique […], de près grise […] et dysphorique »71.

Les jardins Selvaggi sont une autre anagramme partielle du nom Vanessa, les graphèmes S, V, E, A soulignent la parenté graphique entre les deux onomastiques. Ce lieu marque la première rencontre d’Aldo et de Vanessa en Orsenna, il est donc un homologue fonctionnel de l’îlot Vezzano. Remarquons que la contiguïté syntagmatique des jArdins SElvaGGi se préfigure graphiquement en FARGhEStan. Lieux de rencontre des deux amants, Selvaggi, par cette préfiguration graphique, et Vezzano en tant que lieu d’où Aldo voit Tängri, constituent la première provocation vers la transgression du Farghestan. La parenté phonique ou graphique tissée avec le toponyme révèle le rôle que peut jouer la femme dans ce récit. Vanessa paraît la véritable meneuse du jeu, alors qu’Aldo n’est l’agent de l’action que par ses rapports avec elle. Aldo est donc soumis au pouvoir d’Aldobrandi avant le début de l’action proprement dite.

Notes
69.

Le Rivage des Syrtes, p. 624.

70.

Ibid., p. 701.

71.

MURAT, Michel. Le Rivage des Syrtes de Julien Gracq : étude de style I, Le roman des noms propres. op. cit.,p. 17.