I- La géométrie dans l’espace

‘« Et cependant, de quelque anormale urgence que témoignât la rectitude de cette tranchée où, comme si, dans une planète habitée par des géomètres fous, on eût considéré comme de première nécessité de peindre d’abord les méridiens sur le sol »78.’

Puisque la visée de ce chapitre est de déterminer la structure de l’espace, nous nous trouvons dans la nécessité d’aborder tout d’abord la notion de géométrie. La géométrie est une partie des mathématiques qui s’intéresse à l’étude des formes et à la mesure de l’espace. Un rapport étroit l’attache à la géographie moderne qui conçoit l’espace sous forme de segments juxtaposés. Cependant un lien structurel définit ce rapport. C’est dans ce cadre anthropologique de la pensée moderne, affirment les auteurs du Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, qu’il faut penser le rapport entre la géographie et la géométrie. La science moderne « ne peut plus concevoir le Monde que comme un ensemble de processus réversibles, ce qui donne la part belle à la géométrie »79. Le langage du signe géométrique (flèches, cercles, carrés, courbes…) semble de même le plus pertinent pour la représentation graphique de l’espace. Ainsi Gracq se réfère-t-il au langage géométrique dans la détermination des structures spatiales de son monde imaginaire. Par une étude sur les formes géométriques, nous verrons comment l’écriture gracquienne organise une nomenclature lexicale, une division et un ordre de l’espace. Pour ce faire, nous partons non pas de la forme finale de l’espace, mais du concept créateur, c’est-à-dire de la création sous forme de genèse.

Notes
78.

Au château d’Argol, pp. 73-74.

79.

LEVY, Jacques et Michel LUSSAULT (dir.) Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés. Paris : Belin, 2003, p. 404. Les pages 403-404 montrent bien le développement des sciences et leur influence sur la géographie. Le succès de la géométrie est dû au fait qu’elle se situe dans le domaine du réversible, et donc de l’atemporel ; son deuxième avantage est redevable à son caractère de langage visuel. Composé du grec geos, « la Terre » et du grafein, « écrire », le terme de la géographie ne peut donc être compris que comme un discours écrit à propos de la Terre. L’importance du langage s’inscrit dans le nom de la discipline. L’objectif du géographe consiste à représenter l’espace par le langage. Or la science moderne préfère le langage des signes géométriques à la langue maternelle, jugée non scientifique.