3- Géométrisation de la ville

Les villes délimitent l’espace par leurs édifices, leurs rues et leur ensemble de végétaux. Elles n’échappent pas au procédé géométrique, elles se révèlent dans un amalgame de formes et de lignes pour devenir les formes qui se focalisent en cristal. Lignes et volumes jouent un rôle de mesure et de poids, et forment des configurations qui, dans le concret, sont les objets emplissant l’espace et, dans l’abstrait, composent des figures. À l’aide de la géométrie, Gracq annule la distance entre l’abstraction à laquelle aboutissent ces aspects géométriques et l’objet de la représentation :

‘« A ses pieds, on avait la Meuse étroite et molle, engluée sur ses fonds par la distance, et Moriarmé terrée au creux de l’énorme conque des forêts comme le fourmilion au fond de son entonnoir. La ville était faite de trois rues convexes qui suivaient le cintre du méandre et couraient étagées au-dessus de la Meuse à la manière des courbes de niveau ; entre la rue la plus basse et la rivière, un pâté de maison avait sauté, laissant un carré vide que rayait sous le soleil oblique un stylet de cadran solaire : la place de l’Eglise »96

C’est à la faveur du regard optique et géométrique que l’espace est institué. Gracq ne réduit pas l’espace à ses lignes géométriques pour répondre seulement à un choix esthétique. Il lui donne encore une présence par sa soumission à des surfaces, à des lignes qui les composent. Quelque chose de la nature même de l’espace est atteint. Les « courbes de niveau », qui permettent la représentation du relief sur la carte, sont présentées ici comme un trait spécifique de l’espace à représenter. Par là, Gracq annonce la rupture entre l’abstrait et le concret, « tout se passe comme si le second [l’espace théorique] ne faisait que traduire, calquer la forme essentielle du premier [l’espace vécu] »97. Nous voyons agir, dans la géométrie, les instants formateurs en direction de l’essentiel, du fonctionnel, et de l’abstrait, qui est quelque chose en soi et pour soi, à la fois créature et créateur.

Notes
96.

Un balcon en forêt, p. 8.

97.

MONBALLIN, Michèle. op. cit., p. 35.