Chapitre 3
Poétique de l’analogie

L’un des moyens gracquiens favoris qui s’intéressent à la représentation de l’espace est le recours aux figures de l’analogie. Nombreuses sont ces figures qui remplissent l’espace blanc de la page par leurs multiples occurrences. Notre étude sera consacrée aux figures corporelles, c’est-à-dire à celles qui tendent à faire une similitude entre le corps humain et le monde. Nous avons vu plus haut que la préférence donnée aux termes classiques de la géographie est une tentative de la part de l’écrivain pour représenter l’espace de la fiction et annoncer en même temps la fusion des champs lexicaux de ces deux parties séparées de l’univers. L’un des résultats de ce mélange est la reprise des relations interrompues entre eux. Cette tentative ne s’arrête pas à cela. Elle le dépasse pour comprendre toutes les figures d’analogie qui mettent en valeur la correspondance entre l’homme et le monde. Obsédé par des idées issues de l’Antiquité145, Gracq bâtit son univers romanesque sur la ressemblance de l’image du macrocosme à celle du microcosme. L’écrivain cherche à façonner l’image de son univers à celle de l’homme. La création de l’espace se fonde essentiellement chez lui sur cette idée. Principe d’organisation, le corps humain est d’emblée appliqué à l’espace gracquien, et des images anthropomorphiques se multiplient dans toute son œuvre. L’analogie monde/corps apparaît comme un trait rhétorique récurrent et profond. Gracq accorde à son paysage un « âme » et un « esprit ». Il ne est donc pas surprenant que son monde revête aussi une image du corps humain.

L’analogie devient le socle de l’écriture gracquienne visant à anthropomorphiser le cosmos. Elle assure non seulement un merveilleux affrontement des ressemblances à travers l’espace, mais son pouvoir est encore immense. Elle offre, comme nous le verrons, un nombre indéfini de parentés.

Notes
145.

D’après les Anciens, le corps humain est le meilleur outil pour mesurer les territoires. Pour cela, il est appliqué à l’espace : le pouce, le pas, la coudée deviennent des unités de mesure. L’analogie ne s’applique pas seulement à la mesure. La carte géographique peut apparaître également comme une projection du corps propre. La tentative de saisir l’unité du monde, pour en reconstituer l’organisation, passe par l’application du corps humain sur l’espace.