2-2 Lieu clos-cœur

L’importance attribuée à la chambre des cartes dans Le Rivage des Syrtes nécessite que nous nous attardions sur ce lieu clos métaphorisé en « cœur » :

‘« La porte refermée, tout le froid de l’hiver et de la solitude reflua sur moi de ce cœur glacé et pourtant, malgré l’accueil hostile de cette réclusion grelottante et hargneuse, une fois encore tout s’abolissait dans le sentiment toujours écrasant et toujours neuf qu’elle était – plus qu’aucune chose qui fût au monde – chargée jusqu’à la voûte de cette existence imminente qui distingue un piège aux mâchoires tendues d’un caillou. Le ricanement de ce bariolage de grotte me faisait peur »212.’

Dans ce paragraphe, l’analogie métaphorique consiste en l’apparition unique du terme comparant « cœur ». Le comparé « chambre des cartes » est remplacé par d’autres indications : « porte », « voûte » ou par un pronom anaphorique « elle ». La force de la figure vient de la comparaison avec l’organe central de l’appareil circulatoire de l’homme. L’analogie fait de cette pièce le centre cardinal de la forteresse à partir de laquelle se bâtit le mouvement du récit. La chambre-cœur semble investie par d’autres caractéristiques humaines. Le texte s’organise autour d’une série d’adjectifs et de substantifs qui illustre cette image : « accueil », « hostile », « réclusion », « grelottante », « hargneuse », « mâchoires », « ricanement » ou « existence imminente ». Tous ces termes qui décrivent le sentiment et l’attitude de l’être humain se prêtent mutuellement à la chambre. Ainsi, le passage finit-il par la crainte de ce lieu présenté sous un aspect anthropomorphique, ce qui renforce le rapprochement du récit gracquien du récit fantastique. Nous nous intéressons à relever cette métaphore trouvée dans Un balcon en forêt, qui peut donner au lieu clos une potentialité d’action ou une dynamique comparable à celle d’un homme :

‘« La clef du blockhaus accrochée à la tête de son lit, il se plaisait à sentir la maison forte autour de lui dériver à travers la nuit en ordre de marche, étanche, toute close sur elle-même, comme un navire qui ferme ses écoutilles »213. ’

La citation met sous nos yeux deux métaphores organiques : la première concerne la métaphorisation du lit en « tête », tandis que dans la deuxième, caractérisée par l’absence du comparant, le blockhaus, identifié à un navire, s’approche par son mouvement de la figure organique.

Notes
212.

Ibid., p. 723.

213.

Un balcon en forêt, p. 75.