1-1 Marche pénible

Dans le premier chapitre d’Au château d’Argol, la description du pays n’a d’autre fonction que de mettre l’accent sur le rôle démoniaque du paysage étrange, surdéterminé par la violence et le maléfice. Le paysage argolien s’avère en réalité comme le prolongement du paysage maléfique du roman noir qui laisse place au tragique. Il se charge des signes avertisseurs qui, en s’adressant à l’âme du personnage, le mettent en état d’attente. Tous les objets de ce lieu délesté ne valent pas comme un simple décor. Au contraire, ils filent la trame du récit, préfigurent et révèlent les actes de trois protagonistes. Or les signes restent de simples virtualités, ils attendent l’intervention des personnages pour se révéler. Leur effet en tant que signes latents apparaît chez Albert qui éprouve d’emblée un sentiment de malaise. Ce sentiment est aggravé par le mouvement d’ascension correspondant à la découverte du château et qui rend la marche plus difficile :

‘« Le château se dressait à l’extrémité de l’éperon rocheux que venait de côtoyer Albert. Un sentier tortueux y conduisait – impraticable à toute voiture – et s’embranchait à gauche de la route. Il serpentait quelque temps dans une étroite prairie marécageuse. […] À l’instant où Albert atteignit le sommet de ces pentes raides, la masse entière du château sortit des derniers buissons qui la cachaient »237.’

Le mouvement ascendant n’indique pas seulement la marche pénible, mais il dessine également les premiers caractères de la région que vient annoncer ce « sentier tortueux », « impraticable à toute voiture ». L’adjectif qualificatif « tortueux », l’emploi du verbe « serpenter », l’italique accentuent le caractère difficile du lieu inconnu, ils créent chez le lecteur une impression de malheur. Durant cette ascension, Albert parcourt visuellement la région au point de la possession. Il jette un regard profond sur elle ; son regard n’est pas fulgurant mais perçant. Chaque lieu naît sous son regard, rarement sous le regard d’autres personnages (Herminien, Heide). Ce regard est rapporté généralement par un narrateur extérieur. La description des lieux s’attache donc aux regards et à la marche du voyageur solitaire. Autrement dit, les deux activités sont simultanément effectuées par lui. La marche détermine plus tard l’objectif du personnage : la découverte d’Argol et le déchiffrage de la nature.

Notes
237.

Au château d’Argol, pp. 10-11.