1- La terrasse d’Argol

1-1 Vue panoramique

Lieu d’attirance, le toit de l’édifice façonné en terrasse dans Au château d’Argol est l’objet du regard. Il force le voyageur à l’examiner et à révéler ensuite ses traits distinctifs. Nous pouvons dire que le toit-terrasse impose d’emblée son caractère étrange sur l’esprit du visiteur. En raison de sa situation en surplomb, il devient plus tard le lieu d’élection. Ses vertus optiques sont confirmées dès la première journée : Albert ne hâte de monter pour jouir d’une vision globale. Les pages 15-19 offrent une description détaillée de la région depuis cet endroit élevé. Du haut de la terrasse, Albert laisse volontairement son œil plonger sur les alentours du château, en appréciant la fête du soleil. Cette vue lui permet également de mener jusqu’au bout sa quête :

‘« Au sortir de l’escalier sur les terrasses du château, comme sur le pont d’un haut navire engagé dans les houles, les splendeurs du soleil […] se déployaient dans leur farouche liberté »358.’

Après avoir été englobé et dominé par le paysage au cours de l’ascension vers le château, Albert se trouve maintenant en position surplombante. C’est lui qui domine cette fois-ci Argol par ses regards. Aucun obstacle ne vient barrer ses regards parcourant librement l’horizon selon l’orientation des quatre points cardinaux. Ses facultés visuelles sont renforcées au point qu’il parvient à distinguer sans efforts les détails lointains :

‘« A une distance qui paraissait à l’œil infinie, la vallée en s’élargissant venait percer le revers d’une ligne de falaise qui dessinait l’horizon, et par cette échancrure triangulaire on apercevait une anse marine ourlée d’écume, et bordée de grève blanche et désertes »359. ’

Outre qu’elle permet de révéler le paysage argolien, où vont se dérouler les différents épisodes du drame, cette vue offre à l’observateur la possibilité d’être présent à soi-même et au monde. C’est au cours de l’observation du monde extérieur que s’effectue la correspondance entre l’homme et l’espace. La correspondance gracquienne est manifestée à partir d’un réseau de sensations hétérogènes où la dysphorie trouble l’euphorie, le calme côtoie la violence, le dynamique frise le statique. La découverte du paysage inconnu perturbe la sensibilité d’Albert qui manifeste des émotions contradictoires dues à l’aura mystérieuse d’Argol. Le héros devient victime de l’alternance brutale de l’atmosphère, ses sentiments varient entre l’exaltation et l’effroi. Sans mouvement, il contemple de la terrasse les différents aspects du paysage argolien et se sent pris par la contemplation. L’expérience sensorielle de l’espace est donc partagée entre la stabilité et le parcours, la joie et l’angoisse. De même, le récit semble construite à partir de la contemplation fascinée et non pas seulement du mouvement. En sondant l’univers extérieur, Albert tente de déchiffrer les signes avertisseurs.

Notes
358.

Au château d’Argol, p. 15.

359.

Ibid., pp. 15-16.