2- Du dedans au dehors : la fenêtre

Œil du lieu clos, la fenêtre est une ouverture offrant un accès au monde extérieur. Elle est le relais qui permet d’observer depuis l’intérieur l’univers extérieur. Ainsi, cette ouverture occupe-t-elle une place non négligeable dans l’œuvre romanesque de Gracq. Son personnage se trouve souvent accoudé ou perché à ce lieu qui le laisse s’évader momentanément dans le paysage du dehors et s’éloigner mentalement du lieu où il se trouve. Être sur un lieu élevé est aussi la posture de l’écrivain qui affirme dans Lettrines 2 posséder à Sion un « petit appartement perché au-dessus de la mer » lui permettant de parcourir l’horizon :

‘« […] c’est en avançant jusqu’au balcon seulement, à marée haute, qu’on découvre à ses pieds une étroite lisière de terre qui plonge vers l’eau en falaise courte. Devant soi, on a l’île d’Yeu, qu’on aperçoit à l’horizon par temps très clair, un jour sur trois »368.’

L’écrivain et les personnages s’attachent donc à la même posture. La fenêtre ouvre le chemin de la contemplation de l’horizon et de l’au-delà inconnu. Autrement dit, elle autorise la communication avec le cosmos, car elle offre à l’esprit la possibilité d’embrasser le monde à travers un panorama extérieur. Puisqu’elle met le personnage en rapport direct avec l’univers, cette fonction lui assigne un rôle central dans la structure du roman.

En général, les architectures de Gracq sont spacieuses et ouvertes. L’ouverture sur l’extérieur est assurée par les fenêtres et leurs équivalents. Rares sont les fenêtres fermées dans les châteaux gracquiens. Elles donnent toujours sur la mer, la forêt ou l’horizon, parfois elles sont dépourvues de volets. Cette ouverture accorde à la construction, comme le note Michel Murat, « des valeurs positives de mouvement vital, de respiration, de disponibilité, de remise en jeu : bref, l’attente anxieuse et exaltée d’une explosion des possibles »369. La fenêtre joue donc un rôle dans l’attente du guetteur fixant l’horizon d’un œil aigu. Elle donne naissance à un autre monde d’où proviennent les possibles virtualités. L’espace imaginé ou regardé depuis la fenêtre promet quelque chose, c’est un espace de liberté, de rencontre ou d’action. La valeur réelle de la fenêtre, elle l’acquiert de ce fait. Outre qu’elle atténue l’obscurité et l’odeur du lieu verrouillé, elle reste avant tout une échappée vers l’extérieur. C’est le lieu de la contemplation passive à partir duquel l’ouverture au monde se réalise.

Notes
368.

GRACQ, Julien. Lettrines 2. op. cit., p. 329.

369.

MURAT, Michel. L’Enchanteur réticent : essai sur Julien Gracq. op. cit., p. 42.