II- Un symbole de l’invisible : le Farghestan 

Inconnu, inconnaissable et lointain : tels sont les caractères singuliers du Farghestan qui font de ce pays un lieu tabou. Pour cette raison, son nom disparaît de la parole, son évocation reste attachée à des bribes. Dans Le Rivage des Syrtes, le Farghestan, qui n’est jamais désigné par son vrai nom, est présenté comme l’ennemi séculaire d’Orsenna. Les habitants du pays évitent d’en parler, ils l’appellent souvent « là-bas »431. Ils le métaphorisent encore en au-delà invisible. Malgré les caractères agressifs du tabou, le Farghestan obsède Aldo. Il représente pour lui un excellent objet de rêverie, une tentation sans remède ou plutôt un objet désiré. Son importance vient du rôle que l’écrivain lui assigne dans ce récit : « rôle vaguement apocalyptique, une bizarre mission de providence à rebours »432. Quant à son image, elle reste encore vague pour le lecteur, le Farghestan n’est jamais décrit par Gracq. Ce que le lecteur connaît de ce lointain mystérieux, c’est qu’il est situé au-delà de la mer des Syrtes. Il est appelé plusieurs fois par l’« au-delà fabuleux d’une mer interdite »433 ou par la ligne rouge séparant les deux pays combattants :

‘« Très au-delà, prodigieux d’éloignement derrière cet interdit magique, s’étendaient les espaces inconnus du Farghestan, serrés comme une terre sainte à l’ombre du volcan Tängri »434.’

Par sa situation au-delà de la mer, par sa désignation de l’« au-delà » inconnu, le Farghestan devient le symbole du monde supraterrestre. Dès l’incipit, le narrateur ne manque pas de rappeler à ses lecteurs qu’il s’agit d’une « terre sainte » ou d’un pays interdit situé hors des frontières franchissables. Un pays qu’une mer morte sépare de la terre habitable d’Orsenna. Un pays qu’on ignore parfaitement et sur lequel aucun renseignement n’est disponible. Tout ce qui est connu de ce lieu est dû aux renseignements scolaires et aux récits du folklore cités par les poètes d’Orsenna. Les halos qui entourent ce pays énigmatique en font un vrai monde ambigu, l’équivalent de l’au-delà inconnu.

La découverte de ce lieu merveilleux correspond à trois moments décisifs du récit qui déterminent le rapport du héros à l’inconnu et que nous allons étudier à présent.

Notes
431.

Le Rivage des Syrtes, p. 633.

432.

Ibid., p. 689.

433.

Le Rivage des Syrtes, p. 729.

434.

Ibid., p. 577.