Conclusion

La description met sous nos yeux les composantes essentielles qui constituent l’univers romanesque de Gracq. L’espace et ses objets s’avèrent être l’élément principal qui appartient à la théorie du récit. C’est de lui que proviennent les actes. Chaque élément spatial remplit en effet un rôle sur le plan diégétique du récit. Raison pour laquelle Gracq en donne une description détaillée. La priorité de l’espace sur les personnages et sur l’intrigue se montre clairement. Celle-ci se construit depuis la tension qui naît entre l’espace et le héros. La tension qui prend plusieurs aspects trace à la fois les premiers fils de la trame et les rapports de connaissance de l’être et du cosmos. L’être gracquien est en général implanté dans un lieu naturel mais étrange. Ce qui augmente par conséquent la tension entre eux. Des rapports de types différents le lient à son univers sont l’origine de chaque récit dont le développement est conditionné par cette relation. La lecture de Gracq permet aussi de révéler l’essentiel de son projet poétique visant à renouer le rapport entre l’homme et le monde extérieur. Dans son œuvre romanesque, ce rapport se fonde à partir des perceptions sensorielles. Son être manifeste une fois le besoin d’être au monde et de le sentir avec les organes des sens, une autre fois il aspire à l’union avec lui. D’ailleurs, ce lien varie selon la position du personnage (en marche ou en contemplation). C’est pour cela que nous avons pu distinguer plusieurs types de lieux.

La manière de vivre que l’écrivain accorde à ses personnages est aussi la sienne. Gracq préfère toujours la vie en plein paysage. Dans un sens, créateur et créature adoptent la même façon de vivre. Pourtant, l’isolement ne signifie pas l’enfermement sur soi, au contraire c’est une manière d’éprouver sa propre existence. L’isolement le met en rapport direct avec l’univers et le pousse à s’inspirer profondément de la nature. Julien Gracq trouve dans le paysage de la Bretagne une matière inépuisable enrichissant son écriture de l’espace. Pour lui, être au monde consiste à reconstruire la subjectivité en lien avec le lieu et le temps. Être devient, dans le dictionnaire romanesque de Gracq, l’équivalent de s’isoler dans une relation intérieure qui implique la solitude. La qualité de la présence au monde se caractérise donc chez lui par la distanciation. Ainsi, son être romanesque préfère-t-il se retirer ailleurs dans l’objectif d’interroger son rapport avec l’univers. Pour Jean-Yves Magdelaine, « se resserre ce qui ne peut être échangé entre les êtres : l’exister, un exister incommunicable qui fait du moi une monade »527. La solitude, qui demeure le cas presque commun de tous les personnages de Julien Gracq, devient un motif essentiel de la recherche d’une altérité fécondante située dans un ailleurs qui efface l’ici et le maintenant. Elle implique pourtant une relation avec autrui, à condition qu’il soit lointain. Un rapport d’échange, dû à la dilatation et à l’expansion du Moi en quête, s’effectue immédiatement entre l’intérieur et l’extérieur. Grâce à cet échange, Gracq dénie la séparation de l’homme et du monde et célèbre leur union. Ses personnages manifestent un attachement très fort à l’appel d’un ailleurs ou de ce qui échappe par essence au donné. Une fois que l’horizon apparaît comme une métaphore de l’au-delà inconnu, ils se laissent volontairement à la contemplation. Mais contempler l’horizon veut dire se diriger vers l’ouverture de l’espace lointain. Nous nous demandons si la quête gracquienne est une quête d’infini.

Notes
527.

MAGDELAINE, Jean-Yves. Figures de la polarité et pensée mythique dans les deux premiers récits de Julien Gracq I. Presses Universitaires de Septentrion, 1997, p. 260.