I- Intertexte explicite

1- Références onomastiques

Enchaînement de mots et des phrases, tout passage écrit est considéré comme la « jonction de plusieurs textes dont il est à la fois la relecture, l’accentuation, la condensation, le déplacement et la profondeur »661. En en sens, il est intertexte ou plutôt lieu où se présentent les travaux des auteurs différents. Quel qu’il soit, le texte devient cette surface où se croisent et se neutralisent des énoncés des textes extérieurs. L’intertextualité le conditionne : plusieurs types d’énoncés appartenant aux autres le constitue, de sorte qu’il s’avère comme « un tissu nouveau de citation révolues »662. Il est donc le champ de la permutation des textes ; il n’apporte rien de nouveau, car le langage existe toujours avant lui et autour de lui. Or il ne s’agit pas toujours d’une imitation consciente ou des citations données avec des guillemets, mais plutôt d’une dissémination des signifiants qui lui assurent le statut de la « productivité »663. Notre attention se focalise ici sur des noms des personnages considérés comme des indices de leurs sources littéraires (Romantisme anglais) ou religieuses (la Bible) : Albert, Carlo, Christel. Le recours explicite à des noms propres met l’accent sur le rapport intertextuel que peut tisser l’œuvre de Gracq avec la source. Ce rapport dit « idéologème » se définit comme une « fonction intertextuelle »664. Du point de vue de la sémiotique, l’idéologème qui peut se concrétiser dans les différents niveaux de la structure du texte permet de le situer aussi dans la société et de l’histoire. En lisant attentivement Au château d’Argol et Un beau ténébreux, nous trouvons que le discours textuel de ces deux récits ne contredit pas trop celui de la référence. Au contraire, il porte tous les germes qui renforcent son lien avec elle. Par là, le texte gracquien affirme son inscription dans le contexte historique et social. Selon Julia Kristeva, accepter le texte comme un « idéologème » signifie le penser dans le texte de la société et de l’histoire :

‘« L’idéologème d’un texte est le foyer dans lequel la rationalité connaissante saisit la transformation des énoncés (auxquels le texte est irréductible) en un tout (le texte), de même que les insertions de cette totalité dans le texte historique et social »665. ’

La volonté de mettre son discours sous le signe de l’intertexte se montre claire chez Gracq, lorsqu’il décide d’emprunter aux textes d’origine ses signifiants. Par là, il exprime le désir d’entreprendre un dialogue de type linguistique avec eux. Outre qu’ils sont éléments d’inspiration, les intertextes deviennent aussi des éléments d’éclaircissement. C’est donc tout à fait évident que la lecture et l’écriture se rencontrent chez l’écrivain lors de la production d’un livre.

Nous essayons dans la présente étude de confronter les deux textes et de suivre le changement opéré sur la source pendant sa transposition dans le texte étudié. Nous nous interrogeons aussi sur l’importance que le nom propre accorde aux personnages dans leur univers romanesque. Est-ce que c’est le prénom qui leur donne un poids social ? Ou l’acquièrent-ils de leur monde propre au récit ? La réponse à ces questions se décèle au fur et à mesure de l’avancement de ce travail. Mais arrêtons dans un premier temps sur chaque prénom dans l’objectif de justifier ce lien intertextuel dû à un emprunt onomastique et de déterminer ensuite sa fonction dans l’économie intérieure de chaque récit.

Notes
661.

DE BIASI, Pierre-Marc. « Intertextualité, (théorie de l’), in Encyclopædia universalis. Encyclopædia universalis France S. A, 2002, corpus 12, p. 323.

662.

BARTHES, Roland. « Texte (théorie du), in Encyclopædia universalis. Encyclopædia universalis France S. A, 2002, corpus 22, p. 463.

663.

KRISTEVA, Julia. op. cit., p. 113.

664.

KRISTEVA, Julia. op. cit., p. 114.

665.

Ibid.