3. « Je » et l’Autre

‘Le toi et le moi se tiennent confondus un instant
avant de s’opposer à nouveau et derechef de se confondre. Alternance et concomitance d’une décomposition et d’une réinvention du monde et
de l’homme…  (IPP., p.241)

Avant de nous intéresser plus directement à nos trois poètes dans leur rapport à la question de l’identité et de l’altérité, il nous semble nécessaire de revenir un peu en arrière pour reprendre à la source, si l’on puit dire, l’émergence de la modernité dans la poésie. Dès Rimbaud, la poésie a commencé à connaître quelque nouvelle tendance. Cela au niveau de la conception de la poésie, du rôle du poème et de ce qu’il apporte, de la véritable place du poète dans son poème…C’est à Rimbaud qu’appartient la fameuse formule du paradoxe cher à la poésie moderne « Je est un autre ». La question de l’identité/altérité chez le sujet s’est ainsi franchement et directement vue posée dans la poésie moderne, comparée à ce qu’elle fut jadis :

‘ A l’encontre de nombreuses théories anciennes ou récentes, qui placent la poésie sous le signe du principe d’identité, voyant en elle, par exemple, une représentation mimétique ou analogique de l’Univers, l’expression fidèle du moi toujours semblable à lui-même, ou le fonctionnement autonome d’un langage replié sur lui-même, les poètes contemporains semblent privilégier le plus souvent dans leur pratique et dans leur réflexion le pôle de l’altérité : pour eux la poésie se définit notamment comme interrogation de l’énigme du monde, exploration de l’intime étrangeté du moi, confrontation du langage
à ce qui le conteste, dialogue avec autrui… 8 ’

Ce qui explique bien que le rapport que connaît le poète avec le langage à travers ses poèmes est plus complexe que nous ne le croyions. Ce n’est plus la relation d’un sujet face à un objet, ni d’un savant à un communiqué qu’il délivre. C’est un rapport de paradoxe qu’effectue le poète entre la référence et la différence, entre un « je » et un autre, entre l’identité et l’altérité. La poésie subjective a été de ce fait rejetée par Rimbaud comme bon nombre de poètes parce que, pour eux, le sujet n’est pas prisonnier d’une identité stable, préalablement et à jamais définie. Le sujet fait partie d’un monde qui change et évolue constamment. Il n’est pas observateur extérieur ou étranger au monde, bien au contraire, il y participe pleinement, il y reçoit, subit et agit. Citons ici les propos de J. Sermet qui exprime joliment la nature du rapport du sujet avec l’Autre : « Celui qui parle et celui à qui l’on parle, « je » et « tu », ne sont jamais exactement ceux que l’on serait tenté d’identifier d’emblée, parce qu’ils sont les figures- tremblées, tremblantes- du mouvement qui les pousse l’un vers l’autre.9 »

Nous verrons dans le passage qui suit sur Frénaud qu’au sein du « je » chez notre poète se trouve un conflit intérieur qui va s’annoncer, se dénoncer ou bien être changé, apaisé par l’Autre. Regardons de près ce qu’est ce conflit et comment l’Autre dans des contextes différents, grâce à sa joie ou à son amour, arrive à amener le changement.

Notes
8.

M. Collot, Poésie et altérité, « Avant-propos », Actes recueillis du colloque de Juin 1988, PENS Littérature, 1990, p.7.

9.

Joëlle de Sermet, « L’adresse lyrique » in Figures du sujet lyrique, PUF, 1996, p.97.