7.2. Origine et Altérité

Il est d’abord très important de préciser le sens que nous attribuons ici au terme de l’origine. Nous allons donc distinguer entre, dans un premier temps, une origine individuelle ou personnelle qui est en d’autres termes le passé ou plus précisément l’enfance, cet autre que l’on a été. Et, dans un deuxième temps, une origine collective qui serait, elle, ces autres qui ont été, et l’on désigne ici l’Histoire en général. Il est intéressant de noter que, malgré les différences dans le rapport à l’origine chez nos trois poètes, l’origine tient chez tous les trois une place importante et mérite d’être analysée de plus près. Nous nous appliquerons à montrer quelle origine des deux prime chez chacun d’eux à travers son rapport au passé, à son passé, et au présent.

Il s’agira en premier lieu d’étudier la nature du rapport que chaque poète a avec sa propre enfance. Il apparaîtra ainsi clair qu’il existe une tendresse pour l’origine personnelle chez Frénaud et Gaspar, une sorte de retour aux origines, à la source, une remontée du temps, ce qui n’est pas le cas pour Guillevic ou du moins pas de la même façon. Guillevic a, en effet, mené une enfance plutôt douloureuse surtout dans son rapport à sa mère qui ne se gardait pas de rappeler et de souligner les défaillances physiques dont il souffrait. Nous essayerons alors de mettre l’accent sur le paradoxe de l’amour-haine dans son enfance, d’un côté, pour sa relation aux autres, à la société et, d’un autre, sa relation aux objets et aux lieux. Ces derniers étant devenus pour lui un refuge contre l’agression de la société et notamment de sa propre mère. Nous nous pencherons aussi sur son rapport au présent et comment le présent devient pour lui un refuge contre les malheurs et les souffrances du passé, une sorte de dépassement.

En deuxième lieu, nous nous intéresserons au rapport qu’on pourrait appeler passé-présent collectifs, en distinction avec les passé-présent personnels qu’on aura étudiés en premier à travers l’enfance de chaque poète. Certes, la perception du temps collectif n’est pas la même chez nos trois poètes. On peut d’ailleurs saisir la différence déjà au niveau des titres de leurs recueils. Citons par exemple chez Gaspar Sol absolu, Égée Judée, Patmos,… pour ne citer que les recueils de poésie52 et chez Frénaud La Sorcière de Rome, Les Rois mages, Il n’y a pas de paradis, l’Étape dans la clairière, Haeres,… alors que chez Guillevic nous remarquons des titres plus ancrés dans l’ici et le maintenant (le présent, le quotidien ici touché, palpé) comme Terraqué, Présent, Maintenant, Carnac,…Nous remarquons que dès les titres la présence de Rome chez Frénaud alors qu’il n’est pas italien ; de la Palestine et de la Grèce alors que Gaspar est français d’origine hongroise, ce qui suppose déjà chez eux un amour pour l’aventure, le voyage et la découverte d’un ailleurs. Tandis que chez Guillevic, au contraire, c’est une préférence pour l’ici présent et pour un pays natal dont il faut parler. Nous allons montrer, à travers le voyage ou non voyage, comment le poète se situe dans le temps qui passe, et s’il y existe ou non un désir de reconstitution du passé ou d’un passé, chez lui. Sans oublier bien sûr de mentionner en même temps à quel point la présence humaine (personnes, personnages dans les traditions ou mythes) est mise en relief par rapport à un vécu, à un espace qui caractérise chez Guillevic une préférence pour le lieu tel qu’il a été, les choses telles qu’elles ont été. Tandis qu’il s’agit plutôt des autres en tant qu’Hommes qui ont été à travers les mythes surtout chez Frénaud et à travers les mythes et l’histoire des Hommes chez Gaspar.

Notes
52.

Notons ici la fascination de Gaspar pour l’Histoire des peuples, de leurs traditions et cultures (surtout de la Palestine, de l’ « Arabie » en général) qu’il a connue avec l’œil du médecin, du poète, de l’archéologue et du photographe. Cela à travers les ouvrages que l’on cite ici : L’histoire de la Palestine, carnets de Jérusalem, Arabie heureuse et autres journaux de voyage, Carnets de Patmos.