Chapitre IV. Quête intérieure et paradoxes

‘Je reprends sans cesse cette piste qui se perd, qui me perd.  (App.P., p.30)

La quête, c’est de tourner autour
du lieu inabordable.  (H., p.178)’

L’univers et la vie sont constamment maintenus dans l’évolution par le paradoxe, et la différence qui crée le même et le différent, le nous et l’Autre, est au cœur du Tout et contribue à le garder en mouvement. Les rapports réciproques, mutuels, entre des entités différentes ne sont pas simples ; déjà au niveau de notre entourage et propre milieu dans lesquels nous restons dans le registre du même au même, c’est loin d’être sans confrontations ou frictions. Nous appellerions l’entourage avec lequel nous avons beaucoup d’aspects en commun l’autre proche quant à ceux qui sont différents culturellement, séparés de nous géographiquement, l’autre lointain. Notre rapport au lointain et proche n’est pas le même ; par contre, tous deux nous invitent à entreprendre un voyage à leur rencontre.

Dans notre longue quête, nous rencontrons et affrontons des réalités contradictoires et notre rapport à l’Autre évolue d’un état à un autre, vacillant entre des sentiments qui s’opposent. Comprendre la logique de la vie comme évolution et comme un tissu fait de réalités paradoxales nous aide dans notre quête intérieure à assumer des paradoxes comme la solitude et la compagnie, l’amour et la haine, les surfaces et les profondeurs, et nous aide également à réussir une renaissance avec l’Autre.

Nous verrons dans ce chapitre comment chez Guillevic la solitude que son entourage a provoquée chez lui, à commencer par sa mère, alors qu’il était encore petit, l’a mené à la rencontre des choses et, à travers celles-ci, à la rencontre de lui-même. Du rapport et de l’approche intimes entre Guillevic et les choses est alors née une agréable compagnie pour Guillevic. Il a su, grâce à son rapport sain et simple avec les choses, éviter et chasser de son univers la haine, optant ainsi pour l’amour qui a changé son propre regard sur lui-même. Il a su percer les surfaces et les façades simples, anodines, et atteindre les secrets et la beauté des profondeurs. Dans sa quête intérieure de l’Autre, il est bien question d’une véritable renaissance avec l’Autre ; il pénétra le monde des choses, altérité très riche, et en fut récompensé.

Chez Gaspar, fasciné par le désert et le vivant, il y a une conscience aiguë et claire de la logique et essence de la vie ; le paradoxe selon lui n’est pas contraire à la vie, il en est le fondement même. Les composantes de tout paradoxe sont les deux faces d’une seule et même pièce. Chez lui, il y a une remarquable pulsion positive pour la vie, pour toute forme du vivant, notons que pour lui le désert, considéré en général comme le lieu de la mort par excellence, est vivant. Pensons à son recueil sur le désert, Sol absolu, et son livre intitulé Le désert vivant. C’est en cheminant seul dans sa quête que Gaspar connaît la compagnie. L’amour pour la vie prend le dessus, en dépit de tout ce qui semblerait lui tenir tête ou chercherait à le supprimer. Quant au thème de la profondeur, c’est dans le sable qu’il trouve la vie (dans les microflores), c’est en creusant que nous sont révélés certains secrets de l’Autre. Signalons ici l’importance aussi de la source comme figure récurrente dans son univers poétique.

Concernant Frénaud chez qui le rapport à de tels paradoxes n’est pas gagné d’avance cela étant dû, dirions-nous, à une certaine fissure d’ordre métaphysique en lui. Une fissure qui s’est méritée le fameux vers suivant : « je me suis inacceptable » et qui a valu à sa poésie d’être considérée une poésie du « non-espoir ». Or, ce qui est intéressant c’est que malgré tout, l’espoir reste aussi fort que le désespoir, et que malgré sa solitude, la fraternité tient au cœur de son rapport à l’Autre. L’amour, bien que mêlé de haine, de non amour, arrive toutefois à changer le regard que le poète se fait de lui-même. Le vrai est de l’autre côté des façades ; les profondeurs nous éclairent, le secret et le rêve font apparaître leur visage pour disparaître. La quête est ainsi toujours à recommencer et la renaissance à jamais renouvelée.

Nous proposons maintenant de nous consacrer à notre premier paradoxe qui est la solitude et la compagnie.