Annexe 2 à propos de Georges Séféris

‘« Dans ce monde qui va se rétrécissant, chacun de nous a besoin de tous les autres. Nous devons chercher l’homme partout où il se trouve 160

Témoignage du poète Lorand Gaspar sur son ami l'autre poète (grec) Georges Séféris: « Un des sujets auxquels il aime revenir est sa langue, la plus vieille et la plus jeune de toutes. 'Elle porte les empreintes de gestes et d'attitudes répétés à travers les âges jusqu'à nous', dit Georges. Je l'ai souvent écouté parler aux chauffeurs de taxi, aux villageois. Il palpait cette langue parlée comme on palpe un caillou ou un fruit. Il était à l'affût d'expressions, d'images qui venaient de très loin, en route peut-être depuis Homère ou les évangélistes. A l'affût aussi de toute tradition orale. Ainsi à Delphes un paysan lui dit près de la source de Castalia : « Ces platanes là-bas sont ceux qu'a plantés Agamemnon lui-même. -- Agamemnon?' demanda Georges stupéfait et ravi. Le paysan jeta un regard condescendant sur cet ignare qui se trouvait sur son chemin. 'Bien sûr que c'est Agamemnon, reprit-il, qui voulez-vous que ce soit? »(E.J., p.100) » 

À propos du même Georges Séféris : « J'ai fait un rêve étrange, me dit-il un matin en regardant du haut de la terrasse vers l'Acropole. Je revenais d'un long voyage et je suis arrivé à l'Acropole au milieu d'une foule où je ne connaissais personne et où personne ne me connaissait. Pourquoi cet attroupement? demandai-je aux gens autour. Alors quelqu'un m'explique qu'il y a une vente aux enchères et que si la firme américaine de dentifrice l'emporte, la Grèce va pouvoir émerger pour des décennies de ses difficultés économiques. Et effectivement, j'aperçois entre les colonnes une table couverte d'un tissu vert et, derrière la table, un homme barbu, à lunettes, vêtu d'un complet noir, un marteau d'ivoire à la main. Il avait l'air d'un chirurgien... Mais qu'est-ce qui est mis aux enchères? demandai-je. Alors le même bonhomme de m'expliquer que le gouvernement, pour sortir de l'impasse, a eu l'idée de mettre en vente le Parthénon. Ces vieilles pierres, disait-il, à quoi peuvent-elles bien nous servir? E t à l'instant même le marteau s'est abattu et les gens criaient tout autour: Adjugé! Adjugé! -- Les Américains l'ont eu, criait mon voisin hors de lui. Puis la foule s'est dispersée et je me suis retrouvé seul. J'ai vu le Parthénon horriblement mutilé, sans fronton et sans corniches, ses colonnes sculptées en forme de tubes de dentifrice aux couleurs criardes. Je me suis dressé sur mon lit en hurlant. » (E.J., pp.100-101) »

Notes
160.

Extraits du discours prononcé par Georges Séféris à Stockholm en novembre 1963, cités par Jacques Lacarrière. http://www.arte.tv/fr/accueil/Portraits-citations/413014.html