Annexe 4 Réponses de Lorand Gaspar à nos questions par courriel

1- Il est clair que vous connaissez la Bible : elle est très présente dans votre œuvre. Mais je me pose la question concernant le Coran car en vous lisant j’ai la forte impression que vous ne pouvez pas ne pas le connaître. Dans mon mémoire, je cite le Coran et mon professeur m’avait posé la question mais je n’avais aucune certitude. Vous parlez de Balqis, la reine de Saba mais elle existe dans la Bible, dans les mythes et traditions orales, il y a aussi l’image de la « lumière sur lumière »… Tout cela indique-t-il que vous avez connu le Coran ? En arabe peut-être, puisque vous avez vécu à peu près seize ans au Proche-Orient ?

Gaspar : Oui, je connais le Coran. Désireux de connaître le mieux possible l’histoire et la littérature qui pouvaient m’aider à mieux comprendre le Proche Orient ancien depuis l’âge de Bronze, je ne pouvais pas faire l’impasse sur le Coran, après avoir étudié les écrits suméro-akkadiens, égyptiens, la Bible et la si belle poésie préislamique.

2- Que signifie l’Autre pour vous ? Qui est-il ? Y a-t-il une frontière nette entre « nous » et l’ « Autre » ? Qu’est-ce qui fait évoluer d’un miroir qui exclut l’étranger (selon Lacan), et à travers lequel on cherche celui à qui on s’identifie, au miroir gasparien qui aspire à embrasser tout l’univers autour de nous ? Lacan parle d’un passage à l’acte (une sorte de défoulement de notre agressivité) pour résoudre la tension qui existe entre nous et l’autre. Comment s’effectue pour vous ce passage à l’acte sachant que votre lecteur se sent malgré la présence du mal que vous n’excluez pas dans une ambiance plutôt calme.

G. : L’autre, en tant qu’humain, est tout simplement un autre être humain, qui, sauf accident génétique ou pathologique, possède fondamentalement la même organisation bio-physiologique, les mêmes organes, et surtout, les mêmes structures cérébrales. Ce qui fait les différences, ce sont l’empreinte épigénétique dans notre système limbique, entre environ moins trois mois et plus trois mois (avant et après la naissance). Cette empreinte est très probablement constituée sur la base de nos réactions émotives en réponse à notre environnement humain. Elle semble constituer notre « personnalité » émotivo-affective, dite primaire, pour toute notre vie. A cette marque indélébile viendront s’ajouter des « personnalités » secondaires déterminées par notre éducation, la ou les cultures environnantes, nos apprentissages par conditionnement pavlovien ou skinnerien. Voilà les éléments-événements qui nous différencieront des autres. Ensuite, celles et ceux d’entre nous qui grâce à toutes sortes de rencontres et d’apprentissages favorables (question de chance, de personnalité primaire créée par l’empreinte, de curiosité, d’ouverture, d’adaptabilité, de désir d’apprendre et de comprendre jamais épuisés pour certains types de personnalités), arrivant à mieux accéder que d’autres aux informations élaborées dans nos structures préfrontales, seront plus ouverts, plus tolérants, plus relativistes, plus créatifs que d’autres. Ces différences, pour l’essentiel, ne sont donc pas génétiques, mais acquises par l’empreinte, ensuite par l’éducation et les « rencontres », les événements que nous traversons…

Mon opinion sur les travaux de Lacan que vous citez souvent, est plutôt négative. Ce n’est pas un jugement, simplement une opinion personnelle, que je partage avec tous les neuro-scientifiques, dont la majorité ne s’est même pas donné la peine d’essayer de le lire (pour ma part j’ai essayé)…Il faut dire que c’est souvent « fumeux ». La vision freudienne n’est pas moins dépassée, mais Freud au moins avait quelques bases neuro-scientifiques, bien modestes à l’époque. Et quand on lit son rapport fait à son Université à Vienne en rentrant de son stage à Paris et sur ce qu’il a appris chez Charcot, « c’est du solide ».)

3- Pour vous, le passage du passif : perception originaire à l’actif : création artistique est quantitatif non qualitatif. On est tous égaux devant la possibilité de créer, de devenir poète. Or on peut se demander comment s’opère alors le passage du besoin au désir ou entre eux. Le désir, dans un lieu si dénudé que le désert et où le besoin est réduit au minimum, serait-il incarné dans l’attente, l’écoute, le silence ? Mais comment ces notions-là deviennent-elles une sorte de désir ?

G. : Oui, selon nos connaissances actuelles en neurosciences, nous naissons tous avec les mêmes structures cérébrales, les mêmes capacités d’apprentissage. On peut être à la fois excellent mathématicien et poète remarquable (cf. Jacques Roubaud…) Quand j’avais treize ans, le jour où mon père m’a demandé ce que je voulais faire dans l’avenir, j’avais déclaré sans hésitation que je voulais être physicien et écrivain.

La perception correspond à la capacité de nos sens à capter des informations du milieu environnant. Ces informations sont immédiatement transmises à travers les voies nerveuses de la moelle, du tronc cérébral et du vaste réseau thalamo-cortical, vers les aires corticales correspondant à nos sens, à nos fonctions sensori-motrices, où ces informations seront élaborées et transmises vers d’autres structures (comme celles des lobes frontaux) pour être intégrées en vue de fonctions plus proprement humaines : compréhension, prise de décision, créativité dans divers domaines, etc..

Spinoza(qui est le philosophe que je respecte le plus après Socrate [ le peu que Platon nous dit sur la pensée de Socrate]), disait que le désir est l’essence de l’homme. En effet, il est enraciné dans notre biologie : le désir de survivre (faire tout ce qui est dans nos moyens pour..) et de vivre, c'est-à-dire faire tout ce qui est dans nos moyens pour mieux vivre ; et trouver la façon la plus adéquate pour y parvenir : accéder à notre intelligence ouverte, créatrice, adaptable, relativiste.

4- Comment voyez-vous l’avenir de la poésie ? Y a-t-il aujourd’hui quelques facteurs qui nous laissent deviner ce qu’il en serait de la poésie positivement et ou négativement ?

G. : Dans la mesure où il est clair que la Réalité est inépuisable (ma propre pensée, limitée comme toute pensée humaine, ne peut la concevoir autrement qu’INFINIE, mais toute réflexion vraiment « mature » sait clairement qu’il nous faut, en tant qu’êtres finis, renoncer à toute certitude), nos connaissances resteront toujours sur leur « faim ». A tort ou à raison il me semble que c’est cette limitation insurmontable qui me pousse vers l’expression dite artistique, qu’il s’agisse de poésie, de musique, de peintures, de sculpture, de danse, etc. La photographie que je pratique également depuis l’ â ge de douze ans, fait, pour moi et pour quelques autres, partie des arts. Le cinéma aussi. Oui, je partage votre espoir quant à l’avenir, que vous exprimez très bien en disant : « j’espère que l’avenir ne privera pas la poésie de cette universalité, de cet humanisme et de cette volonté d’ouverture et de compréhension… » Oui, je pense qu’il y a une autre sorte de « compréhension » que celle scientifique et qui est celle des arts qui s’adressent à notre perception de la complexité et des nuances infinies de la réalité, consciente de la relativité inévitable de toutes nos connaissances…Cette relativité n’exclut pas le fait que ces connaissances puissent être utiles pour mieux vivre, mais aussi très dangereuses quand nous nous laissons aveugler par les progrès de la technologie, qui peuvent très bien parvenir à détruire notre environnement planétaire et l’humanité avec…