A) L'occurrence du mot Orient 6

« Orient » est issu de l’étymon oriens, orientis, participe présent du verbe orir : se lever, surgir, naître. Le Dictionnaire universel de Pierre Larousse est le plus complet à propos de l’étymologie du mot : « o-ri-an- lat. oriens, de orir, surgir, se lever, qui se rapporte à la racine sanscrite ar dont le sens primitif est celui de mouvement en général, mais surtout de mouvement de bas en haut ». Mais, le premier sens, relevé par tous les dictionnaires consultés, est celui qui définit l’orient comme : « le point du ciel où le soleil se lève sur l’horizon ».

Etymologiquement, rien de plus simple que de définir l’Orient : c’est la direction dans laquelle on voit le soleil se lever. C’est un exact synonyme de « Levant ». Mais le mot a eu une étonnante fortune historique, géographique, littéraire et mythique, qui l’a rendu fascinant. Dès lors, qu’est ce que l’Orient ?

Géographiquement, l'Orient est un espace difficile à définir parce qu'il s'articule sur trois continents : l'Europe, l'Afrique et l'Asie. L'encyclopédie de 1874 avertit : « rien n'est plus mal défini que la contrée à laquelle on applique ce nom ». En France, la distinction entre Orient et Levant commence à paraître dans les dictionnaires de la fin du XVIIème et du début du XVIIIème siècle.

Pour commencer, le Richelet de 1680 ne fait pas clairement la différence entre Orient et Levant, mais il essaie de définir l’Orient selon la nécessité économique de l’époque, la navigation par exemple : « Le mot Levant en parlant de notre marine, veut dire la mer Méditerranée». Le Furetière de 1691 précise le terme oriental : « On appelle langues orientales l’Hébreu, le Chaldéen, le Syriaque et l’Arabe », et à le terme « Levantin » : « qui est né au Levant. Les levantins sont la plupart des Mahométans ». Le dictionnaire de l’Académie de 1694, ne fait intervenir, lui non plus, aucune modification substantielle, encore qu’il considère les deux termes Orient et Levant comme synonymes, mais il note : « Orient se prend aussi pour les provinces de la grande Asie, comme l’Empire du Mogol et le royaume de Siam, de la Chine, etc ». En 1718, date de seconde édition, le dictionnaire en question, fait intervenir pour la première fois une nette distinction en ajoutant à la phrase précédemment citée : « Et en parlant de ces Régions, on les appelle les Régions d’Orient, à la différence de celles de l’Asie, comme la Perse, l’Anatolie, la Syrie, etc ». Ce même dictionnaire ne s’arrête pas là, car il ajoute un peu plus loin en 1762 : « On appelle commerce d’Orient, le commerce qui se fait dans l’Asie orientale par l’Océan, et commerce du Levant, celui qui se fait dans l’Asie occidentale par la Méditerranée ». En effet, personne ne peut ignorer que le dictionnaire de l’Académie de 1718, puis de 1762, fait la nette démarcation entre les deux Orients : l’Orient de l’Asie orientale bordé par un océan, et l’Orient de l’Asie occidentale, appelé Levant et qui est à proximité d’une mer nommément désignée, la Méditerranée.

Quant aux populations de ces régions, ce même dictionnaire sous la rubrique Orientaux, écrit à leur sujet : « on le dit des peuples de l’Asie les plus voisins de nous et plus communément des Turcs, des Persans, des Arabes ». Il définit aussi les langues orientales comme « les langues de l’Asie ». La confusion règne donc au XVIIIème siècle, entre Orient et Levant, en dépit d’une certaine volonté de clarifier ces deux termes.

La guerre des mots et des définitions relatifs à l’Orient n’est pas finie. On remarque que le dictionnaire de Laveaux de 1820 reproduit dans ses pages, le même texte que celui du dictionnaire de l’Académie, mais en ajoutant : « On dit plus généralement oriental de tout ce qui a rapport aux pays situés à l’Orient par rapport à nous ». Bescherelle de 1863, n’apporte aucun élément nouveau.

Mais quelle est la position du dictionnaire de l’Académie ? Le dictionnaire de l’Académie, qui est le premier à avoir déjà apporté dans sa deuxième édition de 1718 une définition assez satisfaisante de l’Orient et du Levant, comme nous venons de le voir, n’apporte plus aucune modification, ni dans l’édition de 1835, ni dans celle de 1878, et il reproduit textuellement les mêmes définitions que celles de 1762.

La confusion est presque générale, le dictionnaire le Littré de 1863, estimant qu’il faut mettre un terme à cet atermoiement, donne un avertissement pour que la lexicologie s’efforce, au moins une fois pour toutes de fixer le sens du mot, d’abord après avoir défini l’Orient comme : « l’ensemble des grands Etats, des provinces de l’Asie ». Le Littré ajoute la remarque suivante : « Orient et Oriental s’étendent souvent par abus au-delà de leurs limites : on entend plus d’une fois appeler de ce nom les pays d’Afrique, leurs habitants et les choses qui s’y rapportent. Il est bon de prévenir contre cette faute ». Quand aux questions relatives aux langues et aux habitants, le Littré définit les langues comme : « Les langues de l’Asie », et les orientaux comme : « Les peuples de l’Asie ». A ce propos, Véronique Magri affirme que :

‘« Littré, quand à lui, cite, de manière absolue, l’ensemble des grand Etats des provinces de l’Asie et dénonce l’usage abusif qui fait ranger les pays d’Afrique sous la dénomination d’Orient,’….’, Il établit une distinction entre :
Le Levant : la côte occidentale de l’Asie.
L’Orient : la partie de l’Asie qui est au-delà «la Perse, l’Inde, la Chine, le Japon». Il est usage d’affecter le terme majuscule quand il est lié au sens géographique, comme s’il s’agissait d’un nom propre »7

Cependant, un tournant décisif intervient dans l’histoire du mot. Au fur et à mesure que l’Asie sera connue dans sa diversité, le mot « Orient » se verra qualifier d’adjectifs : Proche, Moyen, Extrême :

‘« L’expression ‘Extrême Orient’ est la plus ancienne puisqu’elle est la seule attestée par Littré qui la définit comme s’appliquant aux ‘parties de l’Asie qui sont le plus à l’Orient, telle que la Chine et le Japon’. A ces deux pays Le Grand Robert rajoute le sud-est asiatique. L’expression ‘Moyen-Orient’ date du début du XIXème siècle alors que ‘Proche-Orient’ est attesté seulement en 1949 »8

Selon le Grand Robert, la répartition se fait de la façon suivante : « Moyen-Orient donné comme synonyme de Levant : Nord-est de l’Afrique et Ouest de l’Asie ‘Egypte, Syrie, Israël, Jordanie, Arabie, Perse, Irak, Turquie’. Proche Orient : Europe sud-orientale ‘Albanie, Yougoslavie, Bulgarie, Romanie’ ».

La raison profonde de ce vagabondage terminologique est que le terme d’Orient est un concept politique, et comme tel, il varie au gré des conceptions géopolitiques, lesquelles sont nécessairement changeantes.

Mais ce n’est pas qu’un concept géopolitique. L’Orient est aussi un mythe, un puissant mythe littéraire, artistique et fantasmé, un parcours initiatique, une jungle de fantasmes, qui va du rêve lascif des harems aux chemins des philosophies « orientales », au péril jaune, de l’Oriental impassible à l’Orient compliqué. Dès lors, « Orient » perd son sens strict de localisation pour désigner un univers particulier, déterminé par des critères d’ordre physique, climatique, certes, mais aussi humains.

Larousse, dans son Dictionnaire Universel, prenant en compte des critères de civilisation, fait de l’Orient l’équivalent de l’Asie en exceptant la partie sibérienne et en rajoutant l’Egypte :

‘« ‘...’ nous comprendrons sous le nom d’Orient l’Asie tout entière, en en détachant la partie sibérienne, qui se distingue de tout le reste de la contrée par ses origines, ses mœurs et son histoire, et en y ajoutant l’Egypte, qui se rattache par ses mœurs, son histoire et sa civilisation aux contrées asiatiques »’

Pour notre travail, nous adopterons ces limites territoriales. Qu'en est-il de l'usage de nos quatre écrivains ? Les titres des œuvres de Lamartine et de Nerval contiennent explicitement le terme « Orient », comme si les écrivains voulaient s'inscrire dans une tradition ; trois autres titres : Une Enquête au pays de Levant, Un Jardin sur l'Oronte et La Châtelaine du Liban énumèrent les régions traversées.

Cette mise au point préalable nous permet d'esquisser l'histoire des relations qui ont lié Orient et Occident au fil des siècles.

Notes
6.

Les principaux dictionnaires consultés sont les suivants :
- Antoine Furetière, Dictionnaire Universel Contenant généralement tous les mots François tant vieux que moderns et les termes de toutes les Sciences et des Arts, Amesterdam, Arnout et Reinier Leers, 1691, 2 Vol.
- Pierre Larousse, Grand Dictionnaire Universel du XIXème siècle, français, historique, mythologique, bibliographique, littéraire, artistique, scientifique, etc., Paris, 17 vol.
- Grand Robert de la langue française , Paris, 2ème éd., entièrement revue et enrichie par Alain Rey, 1991, 9 vol.
- Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, Paris, 1863-73, 5 vol.
- Pierre Richelet , Dictionnaire François contenant les mots et les choses, plusieurs nouvelles remarques sur la langue françoise, Genève, Jean Herman Widerhold, 1680.
- Dictionnaire de l'Académie française: 1. Paris, Vve de Jean-Baptiste Coignard, 1694; 2. Paris, Jean-Baptiste Coignard, 1718; 4. Paris, Vve de Bernard Brunet, 1762; 6. Paris, Firmin-Didot, 1835; 7. Paris, Firmin-Didot, 1878; Chaque édition = 2 vols.
- Jean-Charles Laveaux, Nouveau Dictionnaire de la langue française de Laveaux de 1820, Paris, Deterville, 1820.
- Bescherelle, Dictionnaire national ou dictionnaire universel de la langue Française, Paris, Garnier Frères, .1863.

7.

Véronique Magri, Le discours sur l’autre à travers quatre récits de voyage en Orient, Paris, Champion, 1995, p. 9.

8.

Ibid.