A) Nerval et les traditions de l'Orient

Le narrateur du Voyage en Orient, n’est pas un solitaire, mais quelqu’un qui cherche le contact humain, qui veut connaître la vie orientale. Le premier pas vers la compréhension consiste à reconnaître la réalité orientale en la confrontant avec l’Orient imaginaire. C’est pour cela, peut-on dire, que Nerval recourt souvent aux clichés de son époque, puis tente de les détourner pour affirmer sa propre création. On a assez remarqué que Nerval ne s’intéresse guère aux trésors des musées, aux chefs-d’œuvres admirés sur commande ; par contre il est « avide du spectacle de la rue ! Il est d’abord à la poursuite du vivant pittoresque qui le dépayse complètement »323.

En effet, le voyageur nervalien entend bien connaître les pays visités en se mêlant à la foule ; pour cela il se déguise à l’orientale, il essaie de s’adapter à tout ce qui lui est étranger ; il nous dit à ce sujet : « j’aime mieux, pour moi, essayer de la vie orientale tout à fait »324. Là, le voyageur prend décision de perdre sa « chevelure européenne »325 : il se fait raser la tête en laissant une seule mèche au sommet, coutume du pays. Puis on lui taille la barbe à la mode de Stamboul, on s’occupe de la coiffer, on lui cherche une culotte de coton bleu et un gilet rouge. Ainsi, la transformation est accomplie, le Français passe pour « un montagnard Syrien venu de Saïde ou de Taraboulos »326. Ce volontaire changement d’apparence révèle l’attitude du voyageur nervalien envers la civilisation orientale, et son désir de s’y assimiler par ses propres expériences. Selon Todorov, on peut dire que Nerval est un voyageur assimilé, il veut connaître les autres pour devenir comme eux  : « il veut leur ressembler, parce qu’il souhaite être accepté par eux. Son comportement est donc exactement à l’opposé de celui de l’assimilateur  : il va chez les autres, non pour les rendre semblable à soi, mais pour devenir comme eux »327, mais on remarque que c’est une transgression symbolique : renoncer à soi, pour se faire autre.

Il nous a semblé nécessaire pour rendre compte avec plus de clarté des réactions de Gérard de Nerval en face du pittoresque, du caractère et des traditions de l’Orient, de diviser ce chapitre en quelques points. Nous nous proposons d’étudier d’abord l’idée du mariage, ensuite l'esclavage, puis les conditions de la femme orientale, la caravane de la Mecque et le retour des Pèlerins, enfin le Ramazan et le Baïram.

Notes
323.

HenryBouiller, « Homo viator Gérard de Nerval et l’exotisme », dans Gérard de Nerval par Jean Richer, Paris, l’Herne, coll. Cahiers de l’Herne, 1980, N.37, p. 132.

324.

Nerval, Voyage en Orient, t. I, op. cit., p. 101.

325.

Ibid., p. 171.

326.

Nerval, Voyage en Orient, t.I, op. cit., p. 172.

327.

Tzvetan Todorov, Nous et les autres, op. cit., p. 456.