A) Une enquête aux pays du Levant 

Nous avons déjà fait remarquer que Barrès a fait plusieurs voyages en Orient dont il a rêvé depuis l’enfance. Lorsqu’il y va en 1914, avant la guerre, il poursuit une mission précise : enquêter sur la présence française au Levant pour obtenir un soutien de l’Etat aux congrégations religieuses qui y sont installées. Dès lors, il veut vérifier l’état de la puissance spirituelle de la France en Orient :

‘« Un des articles les plus clairs de mon programme, c’est que je vais mener sur place, de ville en ville, une enquête sur la situation de nos maisons d’enseignements laïques et congréganistes, spécialement sur ces dernières dont je sais qu’elles risquent de mourir dans un bref délai, faute de recrutement »505

On peut dire qu’au Levant, Barrès avait pour mission officielle de visiter les établissements français et de porter aux maîtres et aux élèves le salut de la mère patrie. Il allait aussi, cédant au charme qui l’attirait depuis l’enfance, chercher les traces des religions les plus étrangères et les plus mystérieuses. Tel est son programme, telle est son ambition, tandis que le Lotus des Messageries maritimes, sur lequel il s’est embarqué le 1er mai, l’emporte vers la Syrie. Dès lors, il faut poser la question suivante : que va-t-il chercher ? Quelle est la véritable motivation de son voyage en Syrie ? Certaines motivations du voyage en Orient de Barrès sont résumées par Barrès lui-même dans les premiers pages de l’Enquête aux pays du Levant : « J’allais là-bas plein de curiosités multiples, dispersé entre vingt dessins, dont le principal était de me rendre utile à nos maîtres qui y propagent la civilisation de l’Occident »506.

La seconde raison invoquée par Barrès est d’ordre spirituel, mystique. Partir en Orient en 1914 pour Barrès, c’est se régénérer sur différents plans : les terres orientales doivent d’abord aider à un renouveau spirituel, un retour aux sources de l’humanité et simultanément un retour au paradis de son enfance pieuse :

‘« Je suis né pour aimer l’Asie, au point qu’enfant je la respirais dans les fleurs d’un jardin de Lorraine ; et maintenant encore, la tulipe, le jasmin, le narcisse, le lilas, la jacinthe et les roses me plaisent pour une grande part parce qu’ils viennent de Chiraz, d’Arabie, de l’Inde, de Constantinople et de Tartarie »507

Il est clair que Barrès va vers une terre qui lui propose des manières de sentir qui ne sont pas les siens et dont il peut cependant faire quelque chose. La question des puissances secrètes de l’âme n’a cessé d’occuper Barrès. Encore et toujours, il médite sur cette question qu’il a constamment unie à son intérêt pour l’Orient et à laquelle il va revenir avec l’Enquête. Il n’a jamais cessé de chercher en lui la « source cachée », persuadé depuis toujours que seuls les orientaux sont capables de la découvrir et de s’en inspirer. S’il se rend en Asie, c’est pour se mettre à l’école des plus anciennes traditions spirituelles de l’humanité. Ces réflexions, qui l’attirent vers l’Orient, nous amènent à étudier attentivement l’Orient comme une école d’énergie spirituelle.

Laissons de côté maintenant le mystère et l’Orient comme une école d’énergie spirituelle, et revenons aux missionnaires français à l’étranger : A quel point l’esprit français domine-t-il  dans ces pays ? Comment procèdent les diverses nations qui cherchent à ravir le privilège français ? Telles sont les premières questions que nous aurons à nous poser dans notre étude sur une Enquête aux pays du Levant. Il faut, dès lors, chercher quels étaient les besoins des maisons françaises d’enseignement au Levant, qu’elles soient laïques ou congréganistes.

Notes
505.

Maurice Barrès, Une enquête aux pays du Levant, t. I, op.cit., p. 6.

506.

Ibid., p. II.

507.

Ibid.