Travaux des Missionnaires

Notre recherche sur la pénétration missionnaire au Levant, dans l’œuvre de Maurice Barrès, nous invite à l’étude d’un processus de contact prolongé entre la culture occidentale portée par les missionnaires français et une culture orientale.

Nous avons dit qu’en 1922, Barrès est chargé par la commission des Affaires Étrangères de la Chambre de faire un rapport sur les projets de loi tendant à autoriser les congrégations missionnaires. Nous avons vu aussi que son travail d’information a fait l’objet d’une publication : Faut-il autoriser les congrégations ? Les pages de l’enquête sur les établissements français du Levant, devaient sans doute, aider aux succès de ses rapports à la chambre.

Il faut rappeler ici qu’officiellement, son voyage a un but précis : enquêter sur « l’état de notre puissance spirituelle » au Levant. Où en est le protectorat de la France ? Où en est l’apostolat ? Quelles sont les ressources ? Quels sont les besoins des missions d’enseignement, laïques ou congréganistes ? Pour répondre à ces questions, il faut jeter un regard sur les maisons d’enseignements laïques et congréganistes françaises au Levant. Tout au long de son enquête, Barrès ne s’arrête pas de classer et de nommer les Missions françaises au Levant. Ces écoles sont réparties sur l’ensemble de territoire syrien. Barrès montre à ses lecteurs qu’elles sont certes concentrées à Damas et Alep, accessoirement à Homs et Lattaquié, mais elles existent partout ailleurs à Kamichli, Hama, etc. Citons parmi les principales congrégations françaises : les frères maristes, les frères de la Doctrine chrétienne, les lazaristes, les jésuites, les filles de la charité, les dames de Nazareth et les sœurs de Saint Joseph de l’Apparition. Barrès cite à ce sujet : « Les religieux de France, jésuites, lazaristes, maristes, capucins, franciscains, dominicains, Frères des écoles chrétiennes, les soixante-dix congrégations diverses que notre pays entretient au Levant »511.

La place du français est prépondérante dans ces établissements où les jeunes orientaux reçoivent non seulement un enseignement spécifique de la langue française de quelques heures par semaine, mais également un enseignement en français : c’est en effet dans cette langue que sont enseignées les mathématiques, les sciences, l’histoire et la géographie. On peut dire que l’édification et l’éducation de ces jeunes orientaux doit donc commencer par l’apprentissage de la langue française. Il est certain que pour les parents, le français représente surtout un élément de distinction sociale. Dès lors, il faut poser les questions suivantes : Quel est le rôle exact des missions et des missionnaires ? Que veulent exactement ces missionnaires ? En bref, on peut dire qu’ils cherchent à modifier les âmes par l’éducation. Ils créent une élite, mais laquelle ? Sur quel type ? Pour quel objet ? Quel rôle lui assignent-ils dans le monde oriental de demain ? C’est par l’éducation, en effet, par la formation de nouvelle génération, qu’un pays se transforme, qu’il s’élève, se civilise.

Il est clair que le rôle des missions, en Orient, a ici été décisif pour former d’excellents francophones parmi les classes moyennes et dans les couches aisées de la société orientale, sans discrimination religieuse. Ces missionnaires arrivent par une longue série de tâtonnement à introduire en Orient la discipline occidentale, « nous mettons à la disposition des Syriens différentes formes d’enseignement. A eux de choisir »512. De toute façon, instruits à la française, connaissant parfaitement la langue française, ces élèves deviennent des foyers d’influence et répandent l’enseignement qu’ils ont reçu :

‘« Je les ai vu proposer la France en modèle à ces enfants de toutes les religions et de toutes les races, qu’ils accueillent dans leurs écoles. Les musulmans, les juifs, les chrétiens de tous rites et de toutes confessions amènent avec empressement, sans une inquiétude de conscience, leurs enfants à ces maîtres, qui enseignent les lois éternelles et universelles du courage devant les travaux de la vie et du respect devant les choses sacrées. »513

Dès lors, quelles sont les motivations qui poussent la France à la construction de ces établissements d’enseignement ? A l’époque, pour développer le commerce, la France construit des routes, des canaux, des chemins de fer. De même, pour augmenter l’expansion intellectuelle, la France doit propager sa langue. Le rôle des écoles françaises est primordial au milieu des populations lointaines que la France veut civiliser ou simplement gagner à sa sympathie : en éludant les différences de langage, elles suppriment le plus grand obstacle à la diffusion de ses idées. Commencée à l’école primaire, poursuivie au collège, l’œuvre s’achève dans ces établissements d’enseignement supérieur et spécial. Cet enseignement fait plus que vulgariser la langue française et répandre l’idée française, il crée en la personne de chaque étudiant promu avocat, médecin, professeur ou prêtre, un foyer d’influence, un auxiliaire de propagande, un instrument d’action. Savez-vous ce qu’ont fait ces missionnaires ? Barrès nous répond clairement :

‘« Je vous dis ce que j’ai vu sous leur toit, au Caire, à Alexandrie, à Beyrouth, à Tripoli, à Kadi-Keui, et en causant avec leurs anciens élèves : par leur enseignement, donné en français, ils ont créé dans ce monde oriental cette chose toute nouvelle, une classe moyenne, une classe nourrie de notre culture, vivant de nos traditions et qui fournit le personnel de toutes les entreprises commerciales de caractère international »514

Barrès ne s’arrête pas ici à décrire les grands services que les missionnaires français rendent à la science, à la littérature, à l’histoire, etc. Il insiste sur l’idée qu’ils travaillent pour la propagation et le développement de la civilisation française, au double point de vue moral et matériel. Pour lui, ils sont français et comme tels ils empêchent le nom français de tomber dans l’oubli. Ils sont français et ils font aimer la France. Aussi, Quelles sont les premières conséquences ?

‘« Il est impossible, dit-il, de n’être pas ému de plaisir, quand on voit que tout au long du chemin de fer de Constantinople à Bagdad la Compagnie a dû adopter le français comme langue officielle dans les services. C’est là le fait de nos écoles et l’éclatement témoignage de leur envahissement efficace »515

On peut dire que grâce à ces missionnaires français, lazaristes, jésuites, filles de la charité, etc., la langue de commerce et des relations officielles ou mondaines, la langue comprise de tous et parlée par les étrangers et par les hautes classes indigènes, est le français. Après avoir étudié le nombre des missionnaires français en Syrie, leurs résultats, leur utilité, nous étudierons rapidement l’état des missionnaires français, leur avenir et leur recrutement à l’époque de l’Enquête.

Notes
511.

Maurice Barrès, Une enquête aux pays du Levant, t. I., op. cit. p. 302.

512.

Ibid., p. 34.

513.

Maurice Barrès, Faut-il autoriser les congrégations  ?, op. cit, p. 27.

514.

Ibid., p. 26.

515.

Ibid.