Chapitre II
Pierre Benoit une vision romanesque dans le contexte du mandat Français

L’Orient, ouvert à toutes les ethnies et confessions, s’inscrit tout naturellement, par la richesse de son patrimoine culturel et la beauté de ses sites, dans l’itinéraire des écrivains voyageurs: « une joie secrète et profonde remplit mon cœur, je ne puis détacher mes yeux du Mont Liban », écrit Lamartine dans son voyage en Orient, en 1830. Un siècle plus tard, Pierre Benoit lui fait écho. En effet, Pierre Benoit manifeste à maintes reprises son attachement aux pays du Proche Orient :

‘« Terres Saintes ! Jordanie, Liban, Syrie, pour leur donner leurs noms d’aujourd’hui, qui ne sont pas si éloignés que cela des anciens ! Près de deux années vécues au sein de ces contrées bien-aimées ne m’ont pas empêché de souhaiter les revoir, au contraire. A sept ou huit reprises, j’y suis revenu. Le voyage s’est, peu à peu, mué en pèlerinage, voilà tout. La seul façon d’éviter le risque de ne point retourner là-bas ne serait-elle point de s’y  fixer, définitivement. On peut me croire que c’est une solution que ma raison et mon cœur n’ont pas été sans envisager, plus d’une fois »623

Cette volonté de résider définitivement au Moyen-Orient n’est pas toute nouvelle. On l’a déjà montré que c’est également celle de plusieurs écrivains voyageurs, comme Lamartine, Nerval. On dirait qu’une force étrange les captive et les attire vers ce pays. L’espace oriental est un lieu de séduction pour les écrivains voyageurs, si l’on en croit les propres paroles de Pierre Benoit :

‘« Et Maurice Barrès  ? Avec celui là, le conseil est encore plus impératif  : ‘Suivez le guide’. Accompagnons-le à travers ce chaos de pics qui se dressent entre la Méditerranée et l’Oronte. Ici, les amateurs de sensations fortes seront servis. C’était le domaine du terrible Rachid ed-Din-Sinan, plus connu dans les fastes infernaux sous le nom de Vieux de la Montagne. Il a été le chef de la secte des mangeurs de haschich, les hachischiyyin, d’où notre langue a tiré le mot ‘assassin’. Massyaf, Qadmous, le Khaf, Kawabi, furent les tragiques châteaux d’où sont partis les fanatiques qui poignardèrent Raymond de Toulouse et attentèrent à la vie de Saint Louis. Quoi de plus obsédant encore que les ruines de ces repaires où, la nuit, ‘le chat sauvage vient frotter son dos hideux’, où, le jour, s’enfuient précipitamment degrands lézards couleur turquoise ? On dirait que l’isolement de ces lieux ténébreux continue à être protégé par des puissances maléfiques. L’auteur de L’enquête au Pays du Levant n’est-il pas mort en 1923, dans la semaine même où son livre était publié »624

L’Orient apparaît dans les écrits de Pierre Benoit, comme étant le plus décrit. Dans La châtelaine du Liban, comme dans les autres romans et articles, l’auteur porte son attention plus d’une fois sur la beauté de cette région. L’attachement de l’auteur à l’Orient, peut s’expliquer en partie par les liens historiques et religieux existant entre cette région et la France. Benoit, qui a beaucoup de mal à se trouver bien là où il est, accorde à cette région un intérêt particulier. Lors d’une interview accordée à Paul Guimard, il livre ses sentiments à cet égard :

‘« Paul Guimard : il vous est arrivé tout de même de descendre à terre  ?
Pierre Benoit : oui, mais alors si le pays me plait, je laisse repartir le bateau. C’est ce qui m’est arrivé en Syrie, où je suis resté, consécutivement, près de deux années »625

L’auteur découvre dans le Proche-Orient l’endroit idéal pour exprimer ses sentiments les plus chers. S’il aime tant les pays du Proche-Orient, c’est justement à cause de leurs richesses historiques. Dans cette même interview accordée à Paul Guimard, Benoit avoue sa préférence pour cette partie du monde dans les termes suivants : « j’aime les pays qui ont un passé, une histoire »626. L’Orient séduit tellement l’auteur, qu’il pense y rester définitivement :

‘« C’est à vingt kilomètres au nord de Beyrouth, près du collège Antoura, devant la splendide mer phénicienne, que je me demande, depuis trente années, si ma tombe ne sera pas un jour creusée. Mais j’ajoute tout de suite que je n’ai pas encore fait de choix véritablement définitif »627

Dès lors, quelle image de l’Orient nous renvoie ce type d’écrivain voyageur ? Pierre Benoit est un grand voyageur. S’il a coutume de ne pas rester longtemps dans les pays qu’il visite, il faut dire ici qu’il fait une exception pour le Levant. Il part pour un voyage de vingt deux mois. Il visite Alexandrie, ensuite comme on l’a déjà dit il visite la Syrie où il passe deux années, et de là, il gagne la Palestine où il séjourne chez les lazaristes, avec un seul guide en main Le Jardin de Bérénice de Maurice Barrès(84). Durant son séjour en Syrie et au Liban, Benoit se rend au monastère d’Antoura où il rédige, de mai 1923 à avril 1924, La châtelaine du Liban. Dans ce roman historique, transposé dans le présent, il décrit la lente déchéance d’un officier de l’armée française auprès d’une femme équivoque, la comtesse Athelstane Orlof. Lors de ce même séjour dans la région, Pierre Benoit prépare Notre Dame de Tortose et Le Puits de Jacob.

Pour ce qui est de La châtelaine du Liban, le livre raconte l’histoire transposée de la vie de lady Stanhope, dont les gens de la région appellent la demeure : « Dahr el Sitt, la demeure de la Dame », termes utilisés par Lamartine dans son Voyage en Orient, et ensuite par Maurice Barrès dans Une enquête aux pays du Levant. L’histoire de la dame en question, suscite une vive polémique entre Pierre Benoit et Paul Souday. En effet, Benoit arrive au Liban avec la ferme promesse d’indiquer l’endroit où se trouve la tombe de Lady Stanhope, que Barrès n’avait pas trouvée lors de son voyage au Liban. Barrès publie son livre sans avoir pu obtenir de Benoit, qui se trouve alors au Liban, le moindre renseignement. Souday628 accuse Benoit de garder le secret, pour faire de sa Châtelaine « la nouveauté ». Celui-ci use à l’époque du droit de réponse dans le journal Le Temps, en précisant qu’il n’avait trouvé la tombe qu’après la publication d’Une Enquête aux pays du Levant, de Barrès. Il est vrai que des recherches ont été faites aux environs de la maison en ruine. Elles ont finalement abouti : le tombe a été retrouvée et reconstruite629.

Du Liban, une correspondance régulière s’établit entre Benoit qui se trouve sur place, et Barrès qui attend avec beaucoup d’intérêt les pourparlers concernant l’avenir du Liban. Benoit envoie en effet documents sur documents à Barrès. Cependant Barrès demande à Benoit d’autres renseignements : « Et la vieille Dame  ? N’avez-Vous rien trouvé sur elle ? » Et il ajoute en post-scriptum, en parlant de l’Enquête aux pays du Levant qu’il prépare : « j’ai grand peur qu’elle n’y figure pas »630.

Notes
623.

Pierre Benoit, dans sa « Préface » à Terre Saintes, Israël, Jordanie, Syrie, Liban, par André Ogrizek Paris, Odé, 1965, p. 9.

624.

Ibid., p. 11.

625.

Pierre Benoit, Paul Guimard, De Koenigsmark à Montsalvat Quarante années quarante romans, Paris, Albin Michel, 1958, p. 132.

626.

Ibid., p. 133.

627.

Ibid.

628.

Voir Pierre Henri Simon, « Peut-on encore lire Pierre Benoit ? », dans le Monde des livres, 4 mars 1962, p. 2.

629.

Pour avoir plus de détails:
- Pierre Benoit, « Lady Stanhope », dans la revue Lecture pour tous, septembre 1924.
- Paule Henry-Bordeaux, La Circé du désert: Lady Stanhope en Orient, t. I, Paris, Plon, 1926.
- Paule Henry-Bordeaux, La Sourcière de Djoun, Lady Hester Stanhope, t. II, Paris, Plon, 1926.

630.

Pierre Benoit, « la Capture d’un fantôme », dans la revue Des Deux Mondes, 1er novembre 1926, p. 203.