Références historiques et politiques

Contexte Historique et politique de la Syrie 

Délivrée en octobre 1918 de la domination turque dès le lendemain de la Première Guerre mondiale, la Syrie se voit, de nouveau, occupée par les troupes anglaises. A la suite de cette occupation étrangère, les comités syriens protestent, et des troubles éclatent dans le pays. Emu par ces clameurs, le Président des Etats-Unis Wilson envoie une commission d’enquête en Orient. Des négociations s’engagent entre la France et l’Angleterre sur l’avenir de la Syrie. Enfin, au mois de novembre 1919, la Grande-Bretagne évacue ses troupes, laissant la place aux Français. La Syrie proclame son indépendance, et Fayçal 1er est choisi comme roi le 8 mars 1920. Des incidents éclatent entre l’armée de Fayçal et les troupes françaises. Des pourparlers s’ouvrent alors entre les parties concernées. Le 14 juillet 1920, le général Gouraud envoie un ultimatum au roi de Damas ; Fayçal résiste, les forces françaises bousculent son armée et entrent à Damas, puis à Alep le 20 juillet de la même année. Ce fait inaugure une nouvelle ère, celle de la mise en œuvre du mandat, décidé en juillet 1922, et qui prendra effet en septembre 1923.

Le 22 avril, 1923, le général Gouraud, auquel fait allusion Pierre Benoit dans La Châtelaine du Liban, cède la place au général Weygand. A la fin de 1924, ce dernier quitte ses fonctions de Haut-commissaire où il est remplacé par le général Sarrail. Comme nous venons de le constater, Pierre Benoit témoigne une grande sympathie pour le général Gouraud. Dans la Châtelaine du Liban, il le décrit lors d’une soirée à la Résidence :

‘« A neuf heures et demie, je gravissais, en grande tenue, le perron de la Résidence. Le Général Gouraud se tenait devant la porte du salon de gauche, accueillant la foule de ses invités. Quand il m’aperçut, il eut un geste de satisfaction. - Le colonel Prieur est-il de retour ?- Non mon général. Il vous prie de l’excuser. Une affaire de service l’a retenu à Raiak. Il sera revenu demain matin. - Bien, j’aurai à vous parler ce soir même. Affaire grave, murmura-t-il. Venez me retrouver d’ici une heure. Nous nous mettrons quelques instants à l’écart… - A votre disposition mon général. - Pour le moment, c’est à la disposition de mes invitées qu’il faut vous mettre. Les danseurs font prime, ce soir. A bientôt » 632

Dès lors, qui est le général Gouraud ? Quel est son rôle en Syrie dans les années 20 ? Comment justifier sa mission en Syrie ?

Henri Joseph Eugène Gouraud « 1867-1946 » est un général français qui s’illustra aux colonies « Soudan français ‘actuel Mali’, Mauritanie, Tchad, Maroc », puis, pendant la Grande Guerre en Argonne, aux Dardanelles et en Champagne. Haut-commissaire du Gouvernement français au Levant de 1919 à 1923. Paradoxalement, il est davantage connu pour sa mission en Syrie et au Liban que pour ses vingt années passées en Afrique. Le général Gouraud est envoyé par Clémenceau comme « Haut Commissaire de la République en Syrie et chef de l'Armée du Levant »633. Gouraud débarque à Beyrouth en 1919 ; il y reçoit un accueil chaleureux. En 1921, il tombe dans une embuscade sur la route de Damas, il en sort indemne. Il entreprend la réorganisation du pays. Chaque année le général Gouraud se rend à Paris pour pousser le Gouvernement à s’intéresser davantage à la situation de la Syrie :

‘« Or, la situation s’avérait vraiment sérieuse. Dûment averti, le gouvernement français invitait le général Gouraud à s’embarquer pour le Levant au plus vite. Dans une notification adressée aux postes diplomatiques majeurs, le Département les informait de ce départ, prévu pour le 11 novembre. Le nouveau Haut-Commissaire militaire devait arriver à Beyrouth vers le 20 du mois »634

Les Syriens protestent alors contre cette occupation étrangère qu’ils considèrent comme illégale, et le mouvement nationaliste arabe se constitue. A partir de ce moment, la présence française va donner lieu à des hostilités ouvertes et violentes. Damas devient le centre politique le plus fervent du monde arabo-musulman, appuyé par le Wafd, le mouvement nationaliste égyptien, lui-même porté à l’excitation par la fièvre qui gagne, d’une manière générale, tout le monde arabe atteint dans sa liberté et son unité. Cette excitation se précise bientôt dans les manifestations que provoque, en avril 1925, le passage de lord Balfour au Liban, et, quelques temps plus tard, par l’éclatement de la « révolte druse »635 - un des événements les plus sanglants de l’histoire du nationalisme syrien - qui rallie la majorité des Syriens, et dont la répression, en octobre et novembre 1925, est menée par le général Sarrail. Dès les premières semaines de l’insurrection druse, la répression de l’armée française se concrétise par le bombardement de Damas.

Ces événements suscitent dans le monde arabe, et plus particulièrement en Egypte, un énorme écho. La presse s’en empare et les débats divisent désormais les intervenants en deux clans ; d’un côté les sympathisants orientaux du mandat français sur la Syrie-Alaouites, maronites et autres minorités, de l’autre, les nationalistes syriens et égyptiens auxquels se rallient certains auteurs français comme Valentine de Saint-Point. Cette dernière est par ascendance maternelle arrière-petite-nièce du poète Alphonse de Lamartine. Le pseudonyme de Saint-Point qu'elle prit lors de son entrée dans le monde littéraire fait référence au château de son célèbre ancêtre. A la fin de 1925, en Egypte, elle lance la publication du Phoenix, revue de la renaissance orientale qui porte un regard critique sur les politiques occidentales au Proche et Moyen-Orient. Elle prend fait et cause pour le monde musulman et soutient le nationalisme arabe, contestant l'impérialisme européen et l'hégémonie culturelle de l'occident. En 1927, elle rédige la préface d'un ouvrage sur Saad Zaghloul, et en 1928, La vérité sur la Syrie par un témoin qui sera publié l'année suivante en France. Ses écrits politiques lui valent des inimitiés farouches au sein de la communauté francophone. On l'accuse d'œuvrer contre les intérêts de la France.

La presse européenne condamne les émeutes de Damas et l’ « action barbare des Druses » et certains journaux accusent directement l’Angleterre d’exagérer les faits. De leur côté, la presse arabe et quelques journaux français, dont la Liberté qui passe pour être le seul journal français franchement opposé à la politique de la France dans la région, et la Vérité de Port-Said, prennent fait et cause pour la révolte des Druses et déclenchent une véritable campagne anti-française. Ils évoquent en effet la « boucherie de Damas » et consacrent leurs colonnes aux détails des atrocités commises en Syrie par les troupes du général Sarrail. En étudiant de plus près le contexte politique relatif à la Syrie chez Pierre Benoit et de nombreux auteurs français, on ne peut négliger la position anti-coloniale de Valentine de Saint-Point636.

En effet, la Syrie devient, depuis la révolte druse, le centre de rassemblement des nationalistes de différents pays arabes. Dans La châtelaine du Liban, ce que Pierre Benoit appelle « brigands Druses » et « assassins » ne sont en réalité que les chefs de la résistance druse.

Notes
632.

Pierre Benoit, La Châtelaine du Liban, op. cit., p. 98-99.

633.

Dominique Chevallier, Villes et travail en Syrie du XIX au XX siécle, Paris Maisonneuve et Larose, 1982, p. 78.

634.

Joseph Hajjar, Moustapha Tlass, L’Histoire politique de la Syrie contemporaine, op. cit., p. 222.

635.

Voir Pascal le Pautremat, La Politique musulmane de la France au XXème siècle. De l’Hexagone aux terres d’Islam. Espoirs, réussites, échecs, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, p. 65.

636.

Valentine de Saint-Point, La Vérité sur la Syrie, Paris, Cahiers de France, 1929.