Introduction générale

1- Problématique

L’économie algérienne est marquée par une forte dépendance alimentaire. Le recours à l’importation des produits de première nécessité est indispensable pour satisfaire les besoins de sa population. La facture alimentaire constitue le second poste d’importations, après celui les biens d’équipements1. La question de la satisfaction des besoins alimentaires de la population est donc stratégique. Avec 479 000 personnes supplémentaires à nourrir chaque année et une croissance relativement faible de la production agricole, se profile la crainte d’un décalage important entre les besoins et la production agricole. Sur fond d’une crise mondiale qui entraîne de sérieuses perturbations du cours du pétrole, ressource principale du pays, cette situation est au cœur des préoccupations de tous les acteurs en rapport avec l’agriculture, qu’ils soient décideurs, scientifiques ou producteurs.

Ce secteur a connu plusieurs restructurations : réorganisation de la recherche, création des exploitations agricoles individuelles et collectives, organisation de la production par filière, mise en place d’un programme national de développement agricole PNDA… Ce dernier dont l’objectif principal est d’assurer la sécurité alimentaire du pays est porteur d’une dynamique nouvelle dans l’économie algérienne; sa mise en œuvre doit mobiliser des structures d’appui, dont celle d’un système d’information destiné à fédérer l’ensemble des composantes de ce secteur névralgique, et à créer de nouveaux rapports de travail : décloisonnement, gestion et partage des savoirs, travail collaboratif.

En effet, les programmes de développement agricole des pays développés s’appuient dans une large mesure sur une stratégie et des procédures de collecte et d’analyse d’informations pertinentes communiquées aux agriculteurs. La mise en place de systèmes d’information performants a fortement contribué à la modernisation de leur agriculture et à l’amélioration de leur productivité agricole. Aujourd’hui, les technologies de l’information associées aux formes traditionnelles de transmission de l’information pourraient offrir des réponses adaptées aux besoins d’information des agriculteurs algériens.

Cependant, il ne s’agit plus de travailler sur un simple modèle de transmission de l’information (émetteur/récepteur), le second volet auquel nous nous intéressons dans le cadre de ce travail concerne tout le processus de gestion et d’appropriation de la connaissance dans le développement. On évolue dans des écosystèmes très complexes, où il ne suffit plus d’accumuler les connaissances pour réussir, il faut pouvoir transformer celles-ci en savoir faire, en méthodes et en procédés. Dans ce contexte où l’organisation de la connaissance s’affirme comme source de performance, le secteur agricole algérien, est fortement interpellé par les exigences d’amélioration de sa productivité. Dans sa stratégie de développement, l’Algérie doit en effet, intégrer une valeur jusqu’ici marginalisée et que les spécialistes appellent « le capital intellectuel »2. Source fondamentale de développement économique des entreprises, ce capital génère de la valeur à partir de leurs actifs intellectuels et des acquis fondés sur la connaissance3. Dans cette approche, le capital intellectuel est composé de deux éléments complémentaires, à savoir le « capital humain et le capital organisationnel et structurel»4.

A son tour, ce capital connaissance ne peut irriguer l’innovation et la compétitivité qui en découlent, que s’il est soutenu par un processus cohérent de communication qui véhicule les connaissances5. L’interaction chercheur/vulgarisateur/agriculteur favorise une connaissance approfondie des problématiques de production agricole. Cette synergie permet à la recherche d’apporter des réponses aux besoins de l’agriculteur et à la vulgarisation d’adapter les solutions préconisées à son contexte économique et socioculturel. Un système de communication ne peut donc être efficace et efficient que s’il associe ses usagers. La communication devenant un outil de socialisation : dans le cas du secteur agricole, objet de notre étude, la communication peut être un moyen de créer l’échange et de fédérer les initiatives. Elle apporte l’information qui est à la base du changement social ainsi que le savoir et les compétences nécessaires. Dans ce sens la FAO, la perçoit bien comme un moyen de faire « reculer les obstacles que sont l’analphabétisme, les différences de langues et de culture et l’isolement géographique. » (FAO, 1996 a).

Partant de ce constat, la vulgarisation agricole, interface entre la recherche et l’agriculteur, est reconnue comme élément d’appui au développement agricole. Pour cela, « elle doit s’appuyer sur un préalable qui permet de connaître et de définir les attentes des agriculteurs… l’efficacité des actions de vulgarisation est liée à la spécificité inhérente à chaque milieu en référence à son histoire, à sa culture de production et à ses croyances et conditions naturelles et climatique ».6 Ainsi, la vulgarisation agricole dépend de l’environnement, de la conception des méthodes et approches, des moyens humains qui lui sont affectés et de l’organisation des structures socio politiques du pays.

Dans le cadre de ce travail, nous avons voulu savoir comment le secteur agricole, vital pour l’économie algérienne, intègre la connaissance dans sa stratégie de développement. Le monde des agriculteurs a son propre savoir faire (acquis traditionnel) ; il s’appuie sur ses propres réseaux de communication pour accéder ou transférer les savoirs, il utilise plusieurs formes propres à son patrimoine culturel7 . De même qu’il peut accéder à un dispositif informationnel institutionnel organisé : informations techniques, mécanismes de financements et de subventions, régime foncier…Comment intègre t-il ces deux formes d’information complémentaires ?, on sait qu’ « une nouvelle information n’est reçue et assimilée, ne devient appropriable et mémorisable, que lorsque son destinataire est parvenu à la mettre en forme à sa manière»8 .

Par ailleurs, le dispositif institutionnel prend t-il en compte les différentes facettes du processus de transfert de savoirs faire et/ou d’information : réponse à la demande individuelle, création de réseaux sociaux, mutualisation et intelligence collective. Dans ce sens, les spécialistes soulignent à quel point la vulgarisation ne doit pas être perçue comme une action limitée « à la décomposition du paquet technique en un ensemble de thèmes sur lesquels il faut sensibiliser l’agriculteur. Lui-même considéré comme un récepteur passif par lequel se déverse les infirmations jugées assimilables »9 .

A ce dispositif d’information institutionnel, organisé autour des services de vulgarisation agricole10 , s’ajoute toute la base de connaissances générées par la recherche scientifique. Aussi, la question fondamentale que l’on se pose consiste à savoir comment transformer des représentations de la science et de la technique et amener à avoir une vision plus étendue et plus claire d’un certain nombre de principes. Il s’agit donc, de gérer ce capital scientifique, pour en assurer le transfert vers le secteur agricole et en faire un outil d’innovation. Le conseiller agricole, acteur intermédiaire, alimente t-il le secteur de la production en information adaptée aux besoins ? Dans sa position d’interface entre deux secteurs, il doit faire un travail de « reconditionnement » des résultats de recherche, en vue de les intégrer dans l’industrie.

A travers nos questionnements, se pose donc la problématique du décloisonnement institutionnel, en vue de créer un environnement favorable au travail collaboratif et à la mutualisation des connaissances, dans un cadre organisé. Dans ce secteur névralgique pour l’économie algérienne, les relations de synergies et la notion de fertilisation croisée sont indéniablement source de développement.

Par rapport à ces besoins, le concept de « communication » a beaucoup évolué depuis une vingtaine d’années dans le monde. La communication ne se limite plus à un simple transfert de l’information et les vulgarisateurs ne sont plus des « courroies » de transmission de l’information. Actuellement, « elle s’appuie sur l’expression, l’interactivité, la négociation, l’échange et (pourquoi pas) la confrontation des logiques économiques, sociales et culturelles des différents acteurs en présence »11. Le rôle du vulgarisateur consiste désormais à intervenir comme médiateur porteur de changement.

Tout cela nous conduit à nous interroger sur la place de la vulgarisation agricole en Algérie, est-elle un simple processus de communication visant à améliorer les pratiques agricoles ou constitue- t’elle un élément du système de connaissance du monde agricole ?

Pour y répondre nous partons d’un constat qui fait l’unanimité à propos du système de vulgarisation agricole algérien considéré comme étant sans objectifs clairs et, avec des méthodologies qui sont en marge des grands bouleversements que connaît la communication agricole au plan international. L’adoption d’un schéma de communication de type vertical, donc linéaire, où l’agriculteur intervient juste pour appliquer soigneusement les recommandations des vulgarisateurs, le choix de méthodes et supports de communication décidé unilatéralement par les vulgarisateurs sont autant d’insuffisances relevées dans la littérature que nous avons consultée sur cette question.

Partant de ce constat, nous avons donc posé comme hypothèse, que la réponse aux besoins et attentes en information des agriculteurs, le renforcement des capacités d’appui à la production exigent une réflexion et une vision intégrée de l’ensemble du dispositif, associant la production des savoirs par la recherche ainsi que la gestion de ces savoirs et leur transformation par le système de vulgarisation agricole, en vue de leur transfert vers l’utilisateur final.

Nous avons donc cherché à analyser les schémas de l’offre en information à travers les processus de conception et d’organisation de la communication pour connaître les approches mises en œuvre actuellement et apprécier la place de l’usager dans le système d’information agricole algérien. Ensuite, nous questionnons l’impact des nouveaux paradigmes informationnels en terme de vision de l’offre : le degré d’adéquation offre/usage. Des approches quantitatives ont été déjà initiées par les étudiants en sciences agronomiques (INA, Alger) dans leurs travaux de recherche sur la vulgarisation agricole pour évaluer le taux d’utilisation des informations diffusées. Les résultats obtenus ont été utiles pour quantifier les actions de communication. Néanmoins, aucune étude sérieuse n’a été initiée pour mesurer l’impact des outils de communication sur les pratiques des agriculteurs, son évolution sociale... Certains domaines n’ont pas été abordés, comme le rapport entre la diffusion des nouvelles techniques agricoles et l’évolution sociale de l’agriculteur.

Les enjeux des actions de vulgarisation liées à la production et à la communication de l’information conduit donc à évaluer les usages. Les méthodes adoptées actuellement, nous questionnent sur la place de l’agriculteur dans le processus de production et de transfert de l’information ? Comment les évolutions scientifiques et les acquis méthodologiques en sciences de l’information et de la communication ont été traduits dans le processus de production et de communication de l’information par le système de vulgarisation agricole en Algérie ? Les orientations prises par le passé semblent, au regard du diagnostic de la situation actuelle, avoir trouvé leurs limites.

Nous avons donc voulu mesurer, à travers une enquête conduite dans le grand centre algérien, si au plan fonctionnel et culturel, les conditions sont réunies pour créer le cadre favorable à l’intelligence collective. Partant du besoin de l’agriculteur, on cherche à mesurer le niveau d’adaptation de l’offre, en tenant compte également des besoins potentiels du système de production agricole, dans son ensemble. La participation des usagers à la conception du service pour Salaün Jean-Michel est « la contraction entre « service » et « production », pour désigner le moment où l’usager et le producteur combinent leur énergie pour produire le service ». Pour Le Coadic François-Yves, dans l’approche orientée usager, « l’usager passe du statut d’utilisateur final à celui de partenaire à part entière des systèmes d’information », il rappelle que pour analyser le besoin d’information, « il faut aller chercher les données sur les lieux de travail…, il faut saisir l’usager dans son environnement professionnel »12. D’autres travaux de recherche se sont intéressés aux activités de l’usager pour analyser leur besoin en information, dont celui de Thivant Eric et Bouzidi Laid 13 qui estiment que « la notion de la spécificité pour un milieu professionnel et pour une activité donnée » est mise en avant pour décrire les pratiques d’accès à l’information. Ce nouveau cadre s’appui sur l’hypothèse selon laquelle l’activité influence directement les pratiques d’accès à l’information.

Par rapport aux pratiques informationnelles de l’agriculteur, notre travail consiste à évaluer le système d’information spécifique à la vulgarisation agricole, à analyser la quantité et la qualité de l’information communiquée, les méthodes et supports utilisés, à vérifier si le système d’information est un outil d’appui adapté aux agriculteurs.

L’évaluation de cette offre se fera dans un cadre contextuel susceptible de nous éclairer sur les conditions dans lesquelles elle est fournie. Elle se fera à travers une présentation du secteur de l’agriculture avec les sous systèmes qui le composent : en amont de la production, le secteur agricole et celui de la recherche, en aval de la production, le système de vulgarisation agricole. Cette approche type, permet d’évaluer chacun des éléments du contexte de l’agriculteur par rapport aux objectifs fixés.

On s’attachera également à connaître les agriculteurs à travers leurs profils ; notre enquête ayant permis de cerner leur motivation, besoins et attentes en matière d’accès à l’information, et au progrès technique. Par rapport aux attentes et besoins ainsi identifiés, nous nous interrogerons sur la capacité des institutions à y répondre en analysant les produits et services offerts : quel système d’offre est mis en place ? Quels modèles d’offre de services ? La segmentation des services en fonction des catégories d’utilisateurs ? La profondeur et la largeur de l’offre, l’évolution de cette offre ? Dans sa conception actuelle, le système d’information peut-il mettre à la disposition de l’agriculteur des informations lui permettant de gérer son exploitation et d’apporter des solutions adaptées à ses problèmes.

Notes
1.

Algérie. Ministère de l’agriculture et du développement rural. Rapport sur la situation du secteur agricole. Alger, Direction des statistiques agricoles et des systèmes d’information, 2008

2.

Actifs immatériels et création de valeur. L’observatoire OCDE, 2007. (Page consultée le 17/06/2006) Adresse URL. http//www.oecd.org/dataoecd/30/34/38313204.pdf

3.

Edivson L. Malone M.S. Intellectual capital. New York, Ed. Harper Collins, 1999, p. 50

4.

Edivson L. Malone M.S. Intellectual capital. New York, Ed. Harper Collins, 1999, p. 539

5.

Pomian Joanna, Roche Claude. Connaissance capitale : management des connaissances et organisation du travail. Paris, Les éd. Sapientia, les éd. L’harmattan, 2002. 627 p.

6.

Makosso kibaya Jean-Felix. L’information stratégique en Afrique : l’échec de la vulgarisation. Paris, L’harmattan, 2006, pp. 12-13

7.

Edivson L. Malone M.S. Intellectual capital. New York, Ed. Harper Collins, 1999, p. 539

8.

Certeau (de) Michel. Cultiver la technique. Paris, Dalloz, 1984

9.

Benfrid Mohamed. Schémas et mode de fonctionnement du système de vulgarisation dans les filières avicoles et bovines en Algérie. Cahiers options méditerranéennes, vol. 2, n°1, 1997, p.124

10.

600 vulgarisateurs agricoles actifs en Algérie, 01 institut national de vulgarisation agricole (INVA), et des instituts techniques développement par filières agricoles.

11.

Mundy Paul, Sultan Jacques. Les révolutions de l’information. Wageningen, CTA, 2001, p.10

12.

Le Coadic François-Yves. Le besoin d’information : formulation, négociation, diagnostic. Paris, ADBS, 1998

13.

Thivant Eric, Bouzidi Laid. Les pratiques d’accès à l’information : le cas des concepteurs de produits de placements financiers. Revue électronique suisse de sciences de l’information, n° 2, août 2005, p.1