1.4.1 Panorama historique du foncier agricole

Le patrimoine foncier a connu à travers l’histoire de notre pays une succession de différentes législations : droit coutumier, droit musulman, régime colonial, ce qui a favorisé l’émergence d’une anarchie « foncière ». Tantôt, des terres agricoles (EAC, EAI) sont transférées d’une manière illégale aux communes, tantôt, elles servent de carte électorale aux candidats aux élections présidentielles et chacun propose en fonction de ses convictions politiques une option pour régler la question foncière et gagner les bulletins de vote des exploitants agricoles, qui offriront volontiers leurs voix au candidat qui leur permet d’acquérir l’acte de propriété. Sur le plan politique, la vente des terres agricoles du secteur étatique a suscité beaucoup de débats et plusieurs interrogations. Un bref historique du modèle de politique foncière algérienne permet d’analyser la situation actuelle du foncier.

A l’instar des pays indépendants au XX ème siècle, l’Algérie se trouve confrontée à la question du devenir des grandes exploitations coloniales. L’état, pour endiguer tout mouvement spéculatif sur les terres des anciens colons, les a déclarés « biens de l’état » par les décrets n°s 62-02 et 62-03 des 22, 23 octobre 1962.

Une série de textes juridiques dite « décret de mars 1963 » va institutionnaliser cet état de fait. La décennie 1970 a vu la promulgation l’ordonnance portant la révolution agraire. En 1980, une restructuration du secteur public agricole (1981 à 1983) est opérée43 suivie de l’uniformisation de la propriété juridique du secteur public (1984). La première visait une restructuration foncière des exploitations à travers une réduction des superficies, les nouvelles entités formées sont appelées « domaines agricoles socialistes ». La seconde avait comme objectif d’uniformiser la propriété au sein du secteur public et de consacrer le droit de jouissance sur les terres attribuées dans un contexte de libéralisation.

La loi n° 87 du 8 décembre 1987 détermine le mode d’exploitation des terres agricoles du domaine national et fixe les droits et obligations des producteurs, accorde la cession des bâtiments, plantations, cheptels et équipements aux bénéficiaires attributaires. Cette année 1987 a vu la privatisation des terres de l’autogestion et d’individualisation de l’exploitation des terres (exploitation agricole individuelle, exploitation agricole collective), qui sont des terres des domaines de l’État.

La loi n°87-19 du 8 décembre 1987 sur le domaine public institue un droit individuel d’exploitation cessible et transmissible au profit des salariés des exploitations agricoles de l’État. Il ne s’agit pas donc d’un droit de propriété mais d’un droit de cultiver. La loi distingue bien le droit éminent du sol qui appartient à l’État, il s’agit d’un droit individuel.

Tableau 14 Bilan de la réorganisation foncière
Type d’exploitation Nombre d’exploitations Superficies en ha Nombre
EAC 28 707 1 910 109 170 277
EAI 17 632 222 246 17 632
Total 46 339 2 132 355 187 909
Fermes pilotes 176 166 234 8144

Ait-Amara, Hamid. La transaction de l’agriculture algérienne : vers un régime de propriété individuelle et d’exploitation familiale. Cahiers d’option méditerranéenne, vol. 36, 1999, pp.127-138.

La décennie 1990 est marquée par un mouvement de privatisation institutionnalisé par la loi n° 90-25 du 18 novembre 1990. Cette loi d’orientation foncière annule la loi de la réforme agraire et permet au gouvernement de rendre aux anciens propriétaires les terres expropriées en 1971.

En 1997, trois décrets exécutifs concernant les dispositions sur le foncier agricole ont été promulgués. Ces mesures visent la révision du régime foncier actuel qui a généré beaucoup de problèmes et de conflits, qui se résument dans les points suivants :

  • Absence de liens forts entre l’exploitant et la terre.
  • Les terres sont inexploitées ou insuffisamment exploitées.
  • Les bâtiments sont inutilisés ou détournés de leur vocation.
  • Les patrimoines cédés, non encore payés sont dégradés et/ou dilapidés.
  • La redevance au titre de jouissance n’est pas payée.
  • L’établissement des actes administratifs enregistre des difficultés.
  • Conflits au sein des collectifs.
  • Détournement de la vocation agricole de ces terres.
  • Développement des cultures spéculatives.
  • Vente sur pied des productions agricoles.

Ces constats ont pour dénominateur commun, l’absence totale d’une assise solide dans le lien entre l’homme et la terre : le droit de jouissance même perpétuelle, n’étant pas considéré comme une garantie suffisante pour promouvoir l’implication totale des bénéficiaires. D’autant que les restitutions des terres nationalisées et la reprise de certaines parcelles par les communes pour l’implantation de projets ont accentué le sentiment d’instabilité, à la fois dans l’assiette foncière et la composante humaine. Par rapport à toutes ces difficultés multiples que pose le foncier agricole, les pouvoirs publics ont préconisé deux solutions :

  • La vente en toute propriété des exploitations agricoles aux attributaires en place.
  • La location pour ceux qui ne sont pas intéressés par la vente, et le droit de jouissance accordé est transformé en une location dans un délai d’une année après la promulgation de la loi.

En 2002, un projet de loi a été élaboré, modifiant et complétant la loi du 19/87. Cette loi détermine le mode d’exploitation des terres du domaine privé de l’état et définit un cadre juridique spécifique de « société civile d’exploitation agricole ». Une loi sur l’orientation agricole avec une nouvelle mouture de gestion des concessions agricoles a pour but de mieux asseoir la relation entre l’administration et les agriculteurs et à protéger les terres agricoles des détournements et autres formes de dilapidation.

Notes
43.

Terranti Salima. La privatisation du foncier agricole en Algérie ; plus de dix ans de débats silencieux. [Communication présentée au] Fourth Pan-african programme on land and resource rights workshop, Cape Town, mai 2003, p.3