1.1.3 L’évaluation des besoins en information des usagers : évolution des paradigmes

Durant les années 1970 et début 1980, les études concernant les systèmes d’information ont été orientées selon le paradigme « système »173, ainsi toutes les recherches se focalisaient sur l’amélioration des outils d’accès à l’information (les langages d’indexation, les langages d’interrogation et surtout les algorithmes d’appariement entre les termes d’indexation et les termes de la requête). Les moteurs de recherche sur Internet sont les héritiers de cette tradition 174.

Les années 1980 marquaient une évolution importante qui place les « usagers » au centre des réflexions sur les systèmes d’information. Ces derniers étaient alors considérés comme des systèmes de communication entre un producteur d’information (l’auteur) et un utilisateur, cette période a connu de grands travaux sur les usagers, leurs besoins et leurs attentes en matière de l’information.

Dans les années 90, un nouveau paradigme social orienté « usages » émerge et permet de clarifier les notions d’usages et d’usagers. Pour Chaudiron S et Ihadjadene M175 «le paradigme usager considère que l’attention doit être portée sur les besoins réels de l’usager et son environnement. […] le point commun de ces différentes approches est de proposer une modélisation des usagers et de leurs comportements ». 

La décennie 2000 a vu naître le paradigme orienté-acteur, c’est une approche qui articule logiques techniques et sociales. Ainsi, des chercheurs ont reproblématisé la notion de l’information pour aboutir à une conception, où l’information est vue comme un processus d’interprétation et d’appropriation cognitive propre à un individu ou un groupe donné. Dans ce paradigme, l’utilisateur est envisagé comme un acteur social qui, pour agir, dans le cadre de son activité, fait appel à des systèmes d’information176. Dans ce contexte, la prise en compte du contexte professionnel de l’usager (qui est en interaction avec l’environnement économique, social, politique, culturel…) dans la conception du système d’information s’avère indispensable.

La notion de besoin en information concerne autant les supports de communication que la conception et diffusion de produits d’information, ou la mise en place de services d’information. La communication de cette information ne s’effectue pas dans un vide culturel, c’est un processus dynamique qui met en jeux des interactions entre les acteurs et l’environnement. Aussi, analyser les caractères spécifiques de l’information et de la communication oblige à définir la signification. La représentation de l’activité information/communication est intimement liée à une conception qui évolue dans le temps et l’espace. D’une vision dominée par les machines et les techniques, a une vision constructiviste et pragmatique, cette mutation implique des changements dans l’organisation de l’information, et de la relation avec les usagers.

Le but ultime d’un système d’information doit être pensé en fonction des usages qui sont faits de l’information et des effets résultant de cet usage sur les activités des usagers. La fonction la plus importante du système est donc bien la façon dont l’information modifie la conduite de ces activités177. Les méthodes de communication ont largement suivi ces innovations introduites dans les systèmes d’information en favorisant de plus en plus un processus d’appropriation de l’information qui tient compte du contexte de l’usager, celui-ci devenant alors un acteur social au sens plein du terme. Ce principe est une condition « sine qua non » pour que l’information soit une priorité dans les plans et programmes de développement.

Si nous revenons à la situation algérienne, les données actuelles de l’agriculture nous confirment l’apport marginal du système de vulgarisation dans le changement social et l’amélioration de la production agricole. Les obstacles multiples auxquels est confronté ce système résultent de la politique agricole mise en œuvre jusqu’à aujourd’hui. En effet, les responsables du secteur ont omis de lier l’information aux objectifs de la production et de développement rural.

Basé sur une conception de la communication qui ne prend pas en considération le comportement de l’agriculteur, ne cherche pas à identifier ses besoins réels, le système de vulgarisation réduit le processus de communication à l’acte de transmettre un ensemble d’informations techniques. Ce constat, nous amène à nous interroger sur la compétence du système de vulgarisation en communication et sa capacité à susciter des besoins en information chez l’agriculteur. Il apparaît en effet que l’approche préconisée en communication dans le secteur agricole est verticale, elle ne considère pas l’usager comme un élément primordial du système d’information, ce que les études sur la perception du besoin en information semblent confirmer. En effet, Mohamed-Bokretaoui Houria178, conclut dans son étude, « que la vulgarisation n’est pas perçue par l’agriculteur comme un moyen incontournable pour améliorer la production, les résultats de son enquête par questionnaire révèlent que le temps consacré à la recherche de l’information est inférieur à 3 heures pour 60% d’agriculteurs ; Il est supérieur à 3 heures par mois pour seulement 34% ». Ces chiffres expliquent que l’approche de la vulgarisation préconisée dans le secteur agricole algérien n’a pas impliquée une évolution de l’usage de l’information chez les agriculteurs. Or, les mutations de la société dictent la nécessité de revoir les principes, objectifs et les méthodes d’approche de la formation des personnes chargées de la communication. De nouvelles démarches et méthodes sont introduites par l’expertise internationale.

Les résultats de notre travail bibliographique indiquent une prépondérance du support imprimé comme vecteur d’information, or ce support n’est pas adapté au contexte du secteur, dont, 66% de chefs d’exploitation sont analphabètes179. La réflexion à proposer autour de la communication rurale dans le secteur agricole algérien doit couvrir des domaines à la fois pluriels et diversifiés. Elle doit être appréhendée par des approches interdisciplinaires (sciences de l’information et de la communication, sociologie rurale, anthropologie sociale…).

Cependant, quelque soit la performance du système de communication existant, s’il n’est pas accompagné de changements sociaux, économiques, les agriculteurs n’en tirerons pas profit, car d’autres facteurs interférent, comme la propriété des terres agricoles, la proximité des marchés, la disponibilité des facteurs de production et à des prix raisonnable…

Les différentes restructurations subies par le secteur agricole ont ébranlé tous les dispositifs de collecte et d’organisation de l’information mis en place. L’agriculteur en quête de sources d’information sur le secteur agricole est confronté à des difficultés multiples : absence d’outils de repérage, non disponibilité des données, rétention de l’information…

Par rapport aux problèmes évoqués, le premier axe de travail, serait d’analyser les besoins d’information de l’agriculteur, sa production et sa logique de fonctionnement dans son contexte d’exploitation. C’est la première démarche pour définir les sources d’information pertinentes utiles pour bien gérer son exploitation. Les réformes économiques introduites ont induit une multiplicité de partenaires et une évolution des fonctions. Cette situation a entraîné un manque de visibilité des acteurs, d’où des démarches assez compliquées et congrues pour l’agriculteur.

Notes
173.

‘Metzger J.P., Henneron G., Polity Y. « Information et activité professionnelle » : rapport Intermédiaire, en sciences sociales et humaines, ERSICO,  octobre 1997’

174.

‘Polity  Yolla. L'évolution des paradigmes dans le domaine de la recherche d'information. Communication au groupe de travail "Théories et Pratiques scientifiques (TPS) de la SFSIC, le 3 mars 2000. Résumé de la partie " positionnement théorique " du rapport final d'un travail effectué par trois équipes ERSICO, RECODOC et RI3 dans le cadre d’un contrat avec l’Agence Rhône-Alpes en sciences humaines et sociales). p.1. (Page consultée le 14/2/2005). ’

‘Adresse URL : ’ ‘http://ri3.iut2.upmf-grenoble.fr/TPS_paradigmes.htm#2’

175.

Chaudiron S. , Ihadjadéne M. Quelle place pour l'usager dans l'évaluation des SRI ? Recherches récentes en Sciences de l'Information, convergences et dynamiques. Actes du colloque MICS-LERASS. ADBS Éditions, 21-22 mars 2002. pp. 211-233.

176.

Chaudiron S, Ihadjadéne M. Quelle place pour l'usager dans l'évaluation des SRI ? Recherches récentes en Sciences de l'Information, convergences et dynamiques. Actes du colloque MICS-LERASS, ADBS Éditions, 21-22 mars 2002, pp. 211-233.

177.

Le Coadic Yves. Usages et usagers de l’information. ADBS ; Nathan, 1997, p. 2

178.

Mohamed-Bokertaoui Houria. Vulgarisation agricole et pratique des éleveurs de bovins laitiers dans la région nord de la wilaya de Ain-Défla. p. 79. Mémoire de Magistère, Agronomie, Institut national agronomique, Alger, 2004

179.

Algérie. Ministère de l’agriculture et du développement rural. Recensement général de l’agriculture (2001) : rapport général des résultats définitifs. Direction des statistiques et des systèmes d’information, 2003. p.44