Chapitre 2 : Usages et médiation de l’information

2 Usage et médiation de l’information 

2.1 Concept et définitions

Le « Trésor de la Langue Française Informatisé » définit « l’usage » « comme une pratique, manière d’agir ancienne et fréquente, ne comportant pas d’impératif moral, qui est habituellement et normalement observée par les membres d’une société déterminée, d’un groupe social donné. Il considère l’usage comme l’ensemble des règles et des pratiques sociales qui ont cours dans la société » 184. Le Coadic Yves-François, définit l’usage « comme une activité sociale, l’art de faire, la manière de faire. C’est une activité que l’ancienneté ou la fréquence rend normale, courante dans une société donnée mais elle n’a pas force de loi, à la différence des mœurs, des rites, des «us et coutumes» habitudes de vie auxquelles la plupart des membres d’un groupe social se conforment»185.

Lacroix et al. considèrent « l’usage » comme « des modes d’utilisation se manifestant avec suffisamment de récurrence, sous la forme d’habitudes relativement intégrées dans la quotidienneté, pour être capables de se reproduire et éventuellement de résister en tant que pratiques spécifiques ou de s’imposer aux pratiques culturelles préexistantes »186.

Concernant la notion « d’usager » le dictionnaire « Trésor de la Langue Française Informatisé » définit « l’usager » : « qui est d’un usage courant, habituel ; qui fait partie des objets usuels ». Il désigne également « la personne qui utilise un service (fréquemment un service public), qui emprunte habituellement un domaine, un lieu public » 187.

S’agissant des études d’usagers, plusieurs approches sont mises en avant par la recherche, certaines s’attachent à l’étude des habitudes, d’autres à celle des pratiques, d’autres encore à celle des comportements des usagers. Ce courant correspond à ce que Ellis David, appelle « le paradigme cognitif »188. La connaissance des pratiques des usagers permet de repérer des indicateurs de comportement favorables à l’usage de telle ou telle technique. Certains usages mêmes restreints de telle ou telle information peuvent être annonciateurs de pratiques informatives nouvelles189. L’appropriation des techniques et des technologies de l’information a suscité beaucoup de réflexions et de travaux, selon les tendances des auteurs, la relation de l’outil à l’usage, peut être technique ou faire appel à des facteurs sociaux et psychologiques, cela a introduit différents points de vue :

Pour Rabardel, « Il faut que l’outil s’inscrive dans des usages, des utilisations, c’est à dire des activités ou il constitue un moyen mis en œuvre pour atteindre les buts que se fixe l’utilisateur »190. Cette relation particulière s’origine sur des facteurs sociaux et psychologiques. Dés 1965, Bourdieu Pierre, montrait que l’emploi de l’appareil photo était déterminé non seulement par ses possibilités mais aussi par le milieu social d’immersion191. A partir d’une approche critique, la sociologue des usages, Jouêt Josiane, affirme « qu’il serait réducteur de faire l’impasse sur l’objet technique pour ne se focaliser que sur les changements sociaux qui conditionnent la construction liée au multimédia. Les pratiques s’élaborent autour d’une double médiation, à la fois technique, car l’outil utilisé structure la pratique, et social, car les mobiles, les formes d’usage et le sens accordé à la pratique se ressent dans le corps social »192, d’où la nécessité de la double médiation sociale et technique.

S’intéresser aux usages oblige à sortir du code étroit et précis que délimitent les protocoles d’emploi des outils et des techniques, cela introduit une multiplicité d’attitudes vis-à vis de la technologie qui va de la soumission aux normes d’utilisation, aux attitudes les plus frondeuses. C’est ainsi, que nous avons des innovations qui ne sont pas adoptées par les agriculteurs, car les concepteurs n’ont pas tenu compte de la dimension humaine de l’usage des techniques. « La socialisation des nouvelles technologies passe par des modèles d’apprentissage d’adaptation au projet technique ou encore de détournements des applications techniques, voire même de rejet. De fait, elles contribuent à faire évoluer dans le même temps les organisations et les représentations sociales » 193. Mallein et Toussaint, affirment que « l’insertion sociale d’une NTIC, dépendait moins de ses qualités techniques « intrinsèques », de ses performances et de sa sophistication, que des significations d’usage projetées et construites par les usagers sur le dispositif technique qui leur était proposé»194. Cela suppose que l’objet technique ne peut être réduit à sa seule manipulation : il a une « épaisseur sociale ». L’approche de l’appropriation sociale des technologies a permis de dépasser l’étude du rapport strict de l’usager à l’objet technique, pour élargir l’analyse à la prise en compte de la place qu’occupent les pratiques dans les modes de vie pour s’intégrer et les transformer. Cette approche prend en considération l’identité de l’usager, ses valeurs culturelles, sociales…et tente d’étudier les modalités d’appropriation de l’objet technique. Partant de la démarche « usager », Perriault J.195 met l’homme au cœur du processus de communication et non l’outil. Cette perspective, nécessite de prendre en compte les contextes d’usage, car « l’usager est avant tout un « agent de contexte », et cet agent fait avec ce dont il dispose dans son environnement ». Pour lui, «L’usage s’inscrit dans un ensemble de contextes psychologiques, sociologiques, culturels, économique»196.Les technologies interactives (dont le multimédia) créent une rupture dans la relation à la technique qui est accentuée. Ces outils exigent la participation de l’usager, qui devient ainsi un partenaire et actif.

Analysant les pratiques d’accès à l’information, Thivant Eric, conclut que « les usages de l’information, c’est-à-dire les pratiques de recherche et d’utilisation de l’information au cœur d’une action, sont des processus complexes qui ne peuvent être compris qu’avec l’utilisation de plusieurs méthodes d’analyses croisées (sociologie, psychologie, gestion, etc..), nécessitant plusieurs degrés de précision (description des activités, des tâches. Les méthodes et les outils développés permettent d’intégrer l’analyse de l’usage le plus en amont possible, dès la conception, pour accompagner le processus de d’information jusqu’à l’usage »197.

Notes
184.

Trésor de la Langue Française Informatisé. (Page consultée le 14 septembre 2004). Adresse URL : http://atilf.atilf.fr/dendien/scripts/fastshowart.exe?78%7DUSAGE%2C+subst.+masc.%7D351030%7D351031%7D351031%7D0%7D5

185.

Le Coadic.Yves. Usages et usagers de l’information. Paris, ADBS, 1997, p.19

186.

Lacroix Jean-Guy, Moeglin Pierre, Tremblay Gaëtan. « Usages de la notion d’usages : NTIC et discours promotionnels au Québec et en France ». Société française des sciences de l’information et de la communication, 1992, p. 32.

187.

Trésor de la Langue Française Informatisé. Op. cité

188.

Ellis David. Paradigms and proto-paradigmes in information retrieval research. Conceptions of library and information science : historical, empirical and theoretical perspectives. London, Taylor Graham, 1992. pp.165-186

189.

Le Coadic Yves. Usages et usagers de l’information. Paris, ADBS, 1997, p.21

190.

Cité par : Dubois Michel, Mallein Philippe. Multimédia et usages : pour une approche socio-cognitive des usages du multimédia, p.32.

191.

Dubois Michel, Mallein Philippe. Op. cité. p. 32.

192.

Jouet Josiane. Pratiques de communication et changement social. [S.l.], [S.e.] , 1992.

193.

Dubois Michel, Mallein Philippe. "Multimédia et significations d’usage : les critères sociologiques de qualité d’usage du multimédia, le cas d’Internet", dans Étude sociocognitive des usages du multimédia, ERIHST-CERAT/CNRS/CNET, sous la direction de Michel Dubois, Grenoble, janvier 1998,

194.

Dubois Michel ; Mallein Philippe. Op. cité.

195.

Perriault J. La logique de l'usage. Essai sur les machines à communiquer, Flammarion, Paris, 1989.

196.

Bachelet Catherine. Usage des TIC dans les organisations : une notion à revisiter ? (Page consultée le 25 septembre 2006), p.6 Adresse URL : www.aim2004.int-evry.fr/pdf/Aim04_Bachelet.pdf

197.

Thivant Eric. Vers une modélisation des pratiques d’accès à l’information. (Page consultée le 11 avril 2005), p.6. Adresse URL : http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/docs/00/06/24/29/DOC/sic_00001091.doc .