II.4. D’une objection (parmi d’autres)

Si les médias sont l’instance privilégiée d’objectivation d’un monde avec lequel nous n’entretenons pas de relations personnelles, nous pourrions conclure que les médias peuvent finalement dire tout et n’importe quoi.

Ce raisonnement, typique d’une certaine condamnation polémique du constructivisme138, ne semble pas tenir pour quatre raisons :

Peut-être pouvons-nous alors privilégier la perspective de Daniel Cefaï pour qui le terme de configuration est à privilégier au détriment de celui de construction qui :

‘« [...] laisse entendre que les enjeux cognitifs et normatifs [...] sont indéfiniment manipulables, que les critères de leur appréhension et de leur appréciation sont arbitraires ou artificiels ; c’est ouvrir la porte à toutes formes de scepticisme et de cynisme, auxquels n’échappe pas la critique de la domination qui prête aux « dominants » un pouvoir de produire des illusions et cantonne les « dominés » dans l’impuissance de la seule consommation de ces illusions.»145

Finalement, pour reprendre Bernard Delforce, ce qui est en jeu est certainement moins la question de l’adéquation entre le discours des médias et la réalité que celle de la construction du sens de la réalité et des débats qu’elle provoque.146

Notes
138.

GAUTHIER Gilles, « Journalisme et réalité : l’argument constructiviste. Une nouvelle vulgate pour la communication », Communication et langage, n°139, p. 17-25, 2004. L’approche polémique de l’auteur consiste en une démonstration par l’absurde des limites du constructivisme tel qu’il est généralement appliqué à la pratique journalistique. Pour Gilles Gauthier, l’argument constructiviste biaiserait la question de la responsabilité des journalistes. Notons que les questions liées à la responsabilité offrent une prise, souvent privilégiée, aux détracteurs de l’argument constructiviste. Rappelons-nous d’Alan Sokal et de l’une des raisons revendiquées de son canular : montrer que le constructivisme social « postmoderne » nuit au « réel » combat social que doit mener la gauche américaine. Pour une lecture et une analyse de l’affaire et de ses implications épistémologiques : JEANNERET Yves, L’affaire Sokal ou la question des impostures, Paris : PUF, 1998.

139.

JEANNERET Yves, 2009, p. 51

140.

WINDISCH Uli, Suisse-Immigrés. 40 ans de débats, Lausanne : Edition L’âge d’homme, 2002

p. 24

141.

CHARAUDEAU Patrick, « Vraisemblance », in CHARAUDEAU Patrick, MAINGUENEAU Dominique (dir.), Dictionnaire d’analyse du discours, Paris, Seuil, 2002, p. 602-603

142.

CHARAUDEAU Patrick, Les médias et l’information. L’impossible transparence, Bruxelles : De Boeck Université, 2005, p. 41

143.

VERON Eliseo, « L’analyse du « contrat de lecture » : une nouvelle méthode pour les études de positionnement des supports de presse », Les médias. Expériences, recherches actuelles, applications, Paris : IREP, 1985

144.

LAMIZET Bernard, Sémiotique de l’événement, Paris : Hermes-Lavoisier, 2006, p. 106

145.

CEFAÏ Daniel & TROM Danny (dir.), Les formes de l’action collective. Mobilisations dans les arènes publiques, Paris : Editions de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2002, p. 48 

146.

DELFORCE Bernard, « Le constructivisme : une approche pertinente du journalisme », Questions de communication, n°6, p. 111-134, 2004. Cet article est une réponse aux arguments avancés par Gilles Gauthier [GAUTHIER, 2004]