III.2.1. La métaphore du cadrage dans l’analyse des médias et de leurs discours

La notion de cadre a largement encouragé les emplois métaphoriques, aussi bien dans la littérature anglo-saxonne que française :

  • la fenêtre chez Gaye Tuchman : « News is a window on the world. Trough its frame, American learn of themselves and others, of their own institutions, leaders, and life styles, and those of others nations and their people[…] Like any frame that delineates a world, the news frame may be considered like problematic. The view through a window depends upon whether the window is large or small, has many panes or few, whether the glass is opaque or clear, whether the window faces street or a backyard. The unfolding scene also depends upon where one stands, far or near, craning one’s neck to the side, or gazing straight ahead, eyes parallel to the wall in which the window is encased. This book looks at news as a frame, examining how that frame is constituted» 169.
    • Traduction: L’information est une fenêtre sur le monde. A travers elle, les Américains apprennent sur eux-mêmes et sur les autres, apprennent sur leurs institutions, dirigeants, mode de vie et ceux des autres nations et populations. […] Comme tout cadre qui délimite le monde, le cadre des informations mérite d’être interrogé. La vue offerte par une fenêtre dépend de sa taille, du nombre de ses carreaux, de l’opacité de la vitre, de sa situation. La scène offerte dépend également du lieu à partir duquel l’observateur l’examine; est-il éloigné ou non de la fenêtre; doit-il se tordre le cou ou peut-il fixer, droit, la fenêtre. Ce livre s’attache à l’information comme cadre et à sa constitution.
  • le tableau chez Maurice Mouillaud et Jean-François Tétu : « Le cadre, en apparence, est postérieur au tableau, mais le tableau procède d’un cadrage implicite qui l’a précédé. Le cadre opère à la fois une coupure et une focalisation : une coupure parce qu’il sépare un champ et un hors-champ, une focalisation parce qu’en interdisant l’hémorragie du sens au-delà du cadre, il intensifie les relations entre objets et les individus qui sont compris dans le champ et les réverbère vers un foyer »170.
  • les lunettes chez Jean-Pierre Esquenazi : « Du point de vue de celui qui doit interpréter l’expérience, l’on peut dire qu’un cadre est une sorte de lunette qu’il chausse afin de se rendre capable de saisir celle-ci. Il est une fenêtre composant inévitablement à la fois un cache et un accès à la réalité. Les médias tentent fréquemment de justifier les réglages des « lunettes » qu’ils choisissent […] Mais ils évitent en général de mettre en doute la lunette elle-même » 171.

Fenêtre, tableau et lunette servent ainsi à rendre compte de manière métaphorique des enjeux de cadrage dans le discours médiatique. Les propos de Jacques Aumont, spécialiste de l’image et de la photographie, permettent d’interroger l’usage métaphorique du cadre de manière plus précise afin d’en vérifier la pertinence172. L’auteur s’attarde sur la notion de cadre dans son analyse de l’image qu’elle soit fixe ou animée :

  • Premièrement, et c’est la principale raison d’être de la métaphore, la notion de cadre induit le caractère limité de l’image ; elle manifeste la clôture de l’image et induit, logiquement, un hors-cadre. La métaphore introduit ainsi le principe de sélection dans le traitement médiatique de la vie sociale. Chez Aumont, cette sélection correspond à la « fonction visuelle » du cadre : en isolant, en séparant, le cadre singularise la perception et la rend plus nette. Le processus de cadrage comme sélection exprime la mobilité potentielle du cadre et donc le fait qu’il résulte d’un choix.
  • Jacques Aumont distingue ensuite la « fonction économique » du cadre. Il avance, en effet, que le cadre apparaît au moment où le tableau devient échangeable, au moment où il devient une marchandise susceptible de circuler. Là encore, des liens peuvent facilement être tissés avec le concept de cadre médiatique. En effet, ce dernier permet à une information de préserver sa cohérence et son intégrité, de ne pas se diluer dans le flux du monde objectif. C’est le cadre qui autorise son exploitation comme marchandise, ou moins vulgairement, comme ressource au sein des médias.
  • Une troisième fonction est qualifiée de « symbolique ». Aumont dit qu’elle fonctionne comme une sorte d’index : la manière dont est encadrée l’image nous indique certaines « conventions » nécessaires à sa lecture. La « fonction symbolique » établit ainsi une relation entre l’image et son public auquel elle assigne une place.
  • Enfin, la « fonction rhétorique » du cadre s’inscrit également dans notre perspective d’analyse des cadres médiatiques en ce qu’elle articule cadre et discours, c’est-à-dire cadre et point de vue (ou cadre et énonciation). Jacques Aumont reprend les trois sens de l’expression « point de vue » :
  1. emplacement depuis lequel une scène est regardée ;
  2. façon particulière dont une question peut être considérée ;
  3. opinion, sentiment par rapport à un phénomène ou un événement.

Les sens 2 et 3 correspondent « à tout ce qui fait qu’un cadrage traduit un jugement sur ce qui est représenté, en le valorisant, en le dévalorisant, en attirant l’attention sur un détail du premier plan »173. Le cadrage perçu comme matérialisation d’un point de vue encourage l’auteur à reprendre Louis Marin pour qui « le cadre est ce qui profère le tableau comme discours»174.  S’opère ainsi l’articulation entre cadre et discours. Le cadre ne se limite pas à encadrer, à circonscrire le discours : il est discours et énonciation.

Une métaphore peut revêtir une dimension didactique quand elle vise à expliquer un phénomène complexe en le confrontant à l’image d’un phénomène familier. Facilité de l’esprit, la métaphore réduit la complexité mais rend bel et bien compte de plusieurs processus fondamentaux du cadrage médiatique de la vie sociale par les médias:

  • le cadre produit une sélection et résulte donc de choix
  • le cadre permet, sans altération de son intégrité, la transmission de l’information dans l’espace et le temps
  • le cadre est à l’articulation de la production et de la réception en ce qu’il précise les positions de l’émetteur et du récepteur
  • cadre et discours sont solidaires

Notes
169.

TUCHMAN Gaye, Making news : a study in the construction of reality, New-York : Free Press, 1978, p. 1

170.

MOUILLAUD, TETU, 1989, p. 7

171.

ESQUENAZI, 2001, p. 41

172.

AUMONT Jacques, L’Image, Paris : Nathan, 1996

173.

idem, p. 119

174.

idem, p. 120