III.2.2.3. Frame analysis anglo-saxonne : des travaux hétérogènes

S’appuyant notamment sur le travail de William Gamson de 1989, les travaux se réclamant de la frame-analysis se développent à partir des années 1990, principalement aux Etats-Unis. Ces travaux relèvent généralement d’études de cas et, comme le note Robert Entman, forment un ensemble finalement très hétérogène185.

Les définitions proposées sont nombreuses. Malgré l’effet catalogue de la méthode, nous en proposons un relevé non exhaustif :

Nous retenons et commentons la définition proposée par Stephen D. Reese dans son article « A bridging model for media research » :

  • Principles : le terme désigne l’aspect abstrait du cadre (« abstract quality ») ; avant de s’inscrire dans le discours, le cadre existe comme pré-élaboration cognitive.
  • Organizing : affirmer que le cadre organise, c’est rappeler le processus dynamique qui conduit à l’élaboration du sens.
  • Shared : le cadre n’existe que partagé ; et c’est en ce sens qu’il se situe entre la production et la réception.
  • Persistent : le cadre ne se redéfinit pas à chaque interaction entre le média et son public; il appartient au stock de connaissances disponible chez le journaliste et qui lui permet, à toute fin pratique, d’offrir du sens au monde social.
  • Symbolically : le cadre se matérialise dans les formes symboliques propres aux discours. C’est ainsi qu’il devient saisissable pour l’analyste, qu’il offre prise à sa reconnaissance pratique.
  • Structure : le cadre contribue à structurer l’organisation du monde et l’ordre social et participe ainsi à la configuration d’un monde commun.

Quand Dietram A. Scheufele évoque l’hétérogénéité de ces travaux et des définitions qui les soutiennent, il distingue trois processus : la configuration du cadre [frame building], l’établissement du cadre [frame setting] et les effets du cadrage sur l’individu [individual-level effects of framing]191. Le premier renvoie à la configuration des cadres par les médias. L’autonomie des médias dans ce processus est contrainte par, d’une part, le rapport aux sources et aux discours sociaux antérieurs, d’autre part, par la prise en compte des attentes du lectorat (nécessaire résonance culturelle). Ce processus s’inscrit donc au cœur de la relation médias/acteurs sociaux/public.

Le deuxième renvoie à l’interaction entre les cadres médiatiques et ceux du public c’est-à-dire à l’influence des cadres médiatiques comme variable indépendante [frame as independent variable] sur les cadres du public comme variable dépendante [frame as dependent variable]. L’établissement du cadre concerne ainsi la manière dont un cadre initié par les médias [frame building] se stabilise dans sa confrontation aux connaissances, opinions et prédispositions de son public.

L’étude du troisième s’attache aux effets du cadrage médiatique en termes de comportements et d’attitudes.

La distinction entre configuration et établissement du cadre recoupe largement la distinction opéréé par Eliseo Veron entre « grammaire de production » et « grammaire de reconnaissance». Dans notre perspective, le cadre se situe bel et bien entre production et réception ; s’il est initié par l’instance médiatique, il porte aussi la marque de l’adaptation à l’instance cible. Cette résonance recherchée au sein du public est la condition de félicité du cadre et de sa stabilisation.

Poursuivant le travail de Dietram A. Scheufele, le chercheur néerlandais Claes H. de Vreese propose de distinguer, au sein du processus de configuration des cadres [frame building], les cadres spécifiques à un thème [issue-specific news frames] et les cadres génériques [generic news frames]. Comme l’indique la terminologie privilégiée par l’auteur, les premiers renvoient à un thème, à un phénomène, à un acteur spécifique. Notre travail s’inscrit dans cette perspective puisque nous nous attachons au cadre spécifique de l’altermondialistaion au sein des discours de presse en France. Reprenant une distinction initiée par Shanto Iyengar192, nous complétons en distinguant, au sein des cadres spécifiques, les cadres dits épisodiques et les cadres dits thématiques. Dans son travail sur le cadrage de la pauvreté, l’auteur présente le cadre épisodique comme favorisant une lecture du phénomène en termes de responsabilité individuelle alors que le cadre thématique favorise une attribution sociétale de la responsabilité.

Ces cadres spécifiques (qu’ils soient épisodiques ou thématiques) ne sont que très rarement autonomes des cadres génériques qui, eux, renvoient aux cadres que la mobilité permet d’appliquer à divers thèmes, phénomènes ou acteurs. Ces cadres génériques s’inscrivent au cœur de la pratique journalistique (sans doute plus encore que les premiers) et constituent des structures privilégiées du discours. L’auteur offre plusieurs exemples dont le cadre du conflit [conflict frame] qui encourage un traitement en termes de gagnant/perdant et accentue l’opposition entre des individus ou des collectifs et le cadre moral [morality frame] qui encourage un traitement en termes de prescriptions morales et d’appréciations axiologiques193. Si notre travail s’attache au cadre spécifique de l’altermondialisation, reste que celui-ci est également nourri de cadres génériques (le cadre du conflit, comme nous le verrons, est ainsi largement privilégié dès l’apparition médiatique du phénomène).

Résumons::

L’analyse des processus de cadrage peut concerner : la configuration médiatique du cadre, l’établissement du cadre, les effets du cadre. Dans notre travail sur la configuration du cadre relatif à l’altermondialisation, nous étudierons le cadre spécifique constitué autour du phénomène et l’éventuelle influence sur celui-ci de cadres génériques (et notamment le cadre conflictuel) routinisés au sein de l’espace des discours médiatiques. Nous nous attacherons également à distinguer la temporalité des cadres en distinguant les cadres épisodiques (partie C : « l’altermondialisation comme événement ») et les cadres thématiques (partie D : « l’altermondialisation comme problème public »).

Notes
185.

ENTMAN Robert, « Framing : Towards clarification of a fratured paradigm », Journal of Communication, n°42 (4), p. 51-58, 1993

186.

DE VREESE Cales H., « News framing », Information Design Journal, n°13, p. 51-62, 2005, p. 53

187.

ENTMAN, 1993, p. 52

188.

TANKARD James (et al.), «Medias Frames: Approaches to Conceptualization and Measurement», communication propose à l’AESMC, Boston; cité par: PAPACHARISSI Zizi, OLIVIERA Maria de Fatima, « News framing Terrorism: a Comparative Analyse», The International Journal of Press and Politics, p. 13-52, 2008

189.

BAYLOR Tim, « Media framing of movement protest: the case of American Indian protest », The Social Science Journal, n°33, p. 241-256, 1996, p. 281

190.

REESE Stephen, « A bridging model for media research », in REESE Stephan (et al.) (dir.), Framing Public Life: Perspectives on Media and our Understanding of the Social World, Mahwah : Lawrence Erlbaum, p. 7-31, 2001, p. 11

191.

SCHEUFELE, Dietram A., «  Framing as a theory of media effects », Journal of Communication, n°49, p.103-122, 1999

192.

IYENGAR Shanto, Is anyone responsible ? How television frames political issues, Chicago: University of Chicago Press, 1991

193.

DE VREESE, 2005, p. 57