III.2.3.1. Cadres, médias et mobilisations collectives

Relativement rares, les travaux se revendiquant de l’analyse des cadres en France ne forment ni un courant, ni un paradigme. Les sciences politiques offrent néanmoins quelques ressources qui s’inscrivent dans un programme de recherche constitué autour du thème des « effets d’information »194 et de Jacques Gerstlé. Pour ce dernier, « à la différence de la persuasion directe, opérant par ajout d’information au stock de considérations qui étayent la croyance des récepteurs, le cadrage active des considérations particulières déjà présentes et en modifie le poids » :

  • Virginie Le Torrec propose une analyse du cadrage médiatique des parlements dans l’information télévisée195.
  • Guillaume Garcia s’attache, quant à lui, à l’information télévisuelle portant sur les protestations des sans-logis196.

En inscrivant leurs travaux dans une réflexion sur les effets, les auteurs ont tendance à assimiler les stratégies discursives de cadrage susceptibles d’influencer les perceptions publiques aux effets réellement produits. Pris entre l’instance de production et l’instance de réception, le produit médiatique n’offre pourtant aucune prise sur l’évaluation des effets produits. Est-ce à dire que l’analyse des discours et celle des effets sont condamnées à s’ignorer poliment ou, pire, à se contester énergiquement le monopole de la légitimité ? Si nous abandonnons toute prétention à l’analyse des effets produits, nous nous concentrerons sur l’adaptation de chacun des journaux à son « instance-cible »197. En effet, le contexte de réception pèse sur les opérations de cadrages. Un discours ne témoigne du monde qu’à travers une relation intersubjective spécifique (même dans le cas des médias dits de masse). La réussite d’un cadre dépend alors de sa capacité à assimiler le terreau culturel de l’instance-cible autour de valeurs « éthico-» et « affectivo-sociales » 198 plus ou moins partagées. C’est la résonance culturelle déjà évoquée.

  • Phillipe Juhem propose quant à lui une intéressante réflexion sur les fluctuations des « cadres cognitifs » des journalistes qui s’attachent aux mobilisations collectives. La notion de cadre est mobilisée afin de « proposer un modèle explicatif des processus de définition et d’évolution des cadres cognitifs susceptibles d’être employés par les journalistes et les éditorialistes pour juger l’action des acteurs politiques ou le déroulement d’un mouvement social » 199. Le cadre est défini dans une acception très proche de celle de William Gamson sur laquelle l’auteur se repose explicitement (« schèmes de perception et de jugement qu’ils [les journalistes] mettent en œuvre pour présenter et mettre en forme l’information ou pour formuler un commentaire […] ; définit un réseau de significations enfermant le lecteur dans une certaines logique implicite de jugement »200). A partir de deux études de cas –SOS Racisme et le mouvement social de décembre 1995-, l’auteur s’interroge sur l’autonomie des cadres mobilisés par les médias. La thèse défendue est que « quelle que soit l’orientation partisane des rédactions considérées, le cadrage ne relève pas de la seule initiative des journalistes mais est la résultante du processus de prise de position et d’opposition des acteurs politiques ». Autrement dit, les cadres médiatiques sont secondaires et se nourrissent de cadres primaires portés par des acteurs qui entrent en concurrence. L’auteur s’attarde ainsi naturellement sur la question des sources et notamment sur le poids des sources institutionnelles. Les cadres médiatiques ne sont pas le fruit de la seule activité pratique des journalistes mais « le produit de la confrontation de prises de position déjà constituées »201. Les acteurs sociaux et politiques sont en compétition pour la définition d’une réalité que la visibilité offerte par les médias fige et valide comme communément admise.

Notes
194.

GERSTLE Jacques, Les effets d’information en politique, Paris : L’harmattan, Paris, 2001

195.

LE TORREC Virginie, « L’adversatif et le stratégique : cadrages de l’institution parlementaire dans l’information télévisée », Cahiers politiques, n°5, 2000, p. 117-132 / « Cadrage médiatique d’une institution politique : les parlements dans l’information télévisée britannique et française », Papier préparé pour la CIFSIC, Bucarest, 2003

196.

GARCIA Guillaume, Les causes des « sans » à l’épreuve de la médiatisation. La construction médiatique des mobilisations sociales émergentes : enjeux et perspectives, Thèse soutenue sous la direction de Jacques GERSTLE, Paris IX Dauphine, 2005

197.

CHARAUDEAU, 1997

198.

CHARAUDEAU, 1994, p. 89

199.

JUHEM Philippe, « Luttes partisanes et fluctuations des cadres cognitifs des journalistes », in GERSTLE Jacques, Les effets d’information en politique, Paris : L’Harmattan, p. 109-142, 2001

200.

idem, p. 110

201.

idem, p. 117