III.2.3.2. Cadres et discours médiatiques

La perspective de Jean-Pierre Esquenazi adoptée dans L’écriture de l’actualité 202 n’a que très peu de choses en commun avec les travaux français préalablement évoqués. Ni mouvements sociaux, ni mobilisations collectives dans l’ouvrage. La notion de « cadre » s’attache exclusivement à l’étude des médias ; la notion est, plus précisément, mobilisée afin d’apporter une assise théorique à un projet de sociologie du discours médiatique. La réflexion de Jean-Pierre Esquenazi est, sans conteste, la plus poussée de toutes celles qui ont porté sur la notion de cadre médiatique en France. La sociologie du discours médiatique visée par l’auteur doit permettre d’articuler une sociologie du champ médiatique et une sociologie de la réception. La thèse défendue est que la sociologie des médias ne peut continuer à considérer les discours comme secondaires et encourage « l’appréhension dans un même geste de l’activité et de son résultat »203. L’auteur s’attache à proposer une méthode prenant en compte à la fois le temps de la production, le temps de la réception et l’objet comme ensemble cohérent de signes. C’est ainsi qu’il perçoit dans le discours médiatique un « espace indexique, expression du champ de production », un « espace déictique, figure de l’espace de la réception » et un « espace référentiel, représentation de l’actualité »204

Pour Jean-Pierre Esquenazi, l’actualité suppose un dispositif discursif inséré dans «  une mise en forme rituelle »205. Le poids des formats et du dispositif énonciatif sur la transformation des « faits » en « nouvelles » est analysé. Nous pouvons à ce titre nous demander si le projet de Jean-Pierre Esquenazi ne rejoint alors pas, en partie, le programme exposé par Guy Lochard :

‘« Les travaux entrepris sous l’égide de l’herméneutique philosophique ont surtout insisté sur le processus de « structuration sémantique » qui préside à la mise en perspective de tout événement. Ce faisant, ils nous semblent avoir minoré le fait que ce processus interprétatif se voit également conditionné par l’intervention croisée des « mécaniques discursives » qui caractérisent les différents types textuels mobilisés par les instances d’information. Ce serait donc le rôle de l’analyse de discours relevant du même « perspectivisme linguistique » sur l’événement médiatique, que de décrire plus systématiquement la composition discursive de ces formats d’énonciation journalistique. Non pas en adoptant une posture d’analyse repliée sur des critères de « clôture structurale » des énoncés examinés, mais en développant une démarche socio-discursive qui, par une réinterprétation dans leur cadre interactionnel, poserait ceux-ci comme « interprétants externes » de l’événement en invitant, à partir d’observations empiriques, à des démarches d’évaluation de leurs enjeux communicationnels. » 206

Les « modes configurants » ne sont pas notre priorité. Nous proposons une approche structuraliste de la discursivité sociale considérée comme l’espace au sein duquel le sens est produit et circule. La discursivité sociale recouvre une grammaire de discours qui convergent, s’opposent, s’excluent, s’articulent, se contaminent... C’est en ce sens que notre approche de la notion de « cadre » vise moins la mise en scène rituelle de l’information propre à tel journal, à telle rubrique, que l’analyse de l’assimilation médiatique de tel ou tel discours social. Dès lors, les distinctions entre titres de presse ou entre rubriques sont moins le fruit des distinctions entre « modes configurants » que celui de la concurrence entre discours sociaux ; concurrence qui, dans l’espace médiatique, se traduit par une concurrence de cadres.

Notes
202.

ESQUENAZI, 2001

203.

idem, p. 174

204.

idem, p. 152

205.

idem, p. 12

206.

LOCHARD 1996, p. 83-84