II. Seattle 1999 : événement et contexte de description

L’apparition de la notion d’ « antimondialisation » en décembre 1999 a été évoquée et, à ce titre, le sommet de l’OMC organisé à Seattle apparaît comme l’événement originel. L’événement discursif et l’événement social sont solidaires. C’est que l’événement discursif constitué par le néologisme de forme et son articulation polémique au radical « mondialisation » s’inscrit largement dans « l’inflation événementielle » diagnostiquée par Pierre Nora dès 1974318. Les sociétés démocratiques contemporaines sont rythmées par l’événement ; et si l’on peut dire à la suite d’Erik Neveu et de Louis Quéré qu’elles le « sécrètent »319, il faut préciser qu’elles le sécrètent par du discours. Paul Ricœur insiste : « Il y a une mutuelle fondation du discours et de l’événement, ils s’appartiennent ensemble »320. L’événement n’existe qu’interprété et ne se laisse saisir qu’à travers sa réalisation discursive.

Pour étudier l’événement antimondialisation tel qu’il apparaît à Seattle, nous nous attachons aux discours produits par Le Monde, Libération, Le Figaro, L’Humanité, La Croix, Les Echos puis, dans un second temps, à ceux du Point et du Monde diplomatique. Le corpus comprend aussi bien les articles qui concernent le sommet des dirigeants de l’OMC que ceux concernant le contre-sommet. Au centre, il y a la constitution d’un véritable « moment discursif » au sens que Sophie Moirand donne à l’expression : « un fait ou un événement ne constitue un moment discursif que s’il donne lieu à une abondante production médiatique et qu’il en reste également quelques traces à plus ou moins long terme dans les discours produits ultérieurement à propos d’autres événements »321. L’objectif est de montrer de quelle manière se configure, à Seattle, un cadre médiatique spécifique que la dynamique événementielle attachée à l’antimondialisation contribue ensuite à répéter.

Notes
318.

NORA Pierre, « Le retour de l’événement », in Le GOFF Jacques, NORA Pierre (dir.), Faire de l’histoire, p. 210-229, 1974. Le propos de Jacques Guilhaumou sur « l’événementialité actuelle du mouvement social » relève du même type de constat (GUILHAUMOU, 2002).

319.

NEVEU, QUERE 1996, p.8

320.

Cité dans : THOMASSET Alain, Paul Ricœur. Une poétique de la morale, 1996, p.311

321.

MOIRAND Sophie, Les discours de la presse quotidienne. Observer, analyser, comprendre, Paris : PUL, 2007, p. 4