II.1. Rappel du contexte politique

Du 30 novembre au 3 décembre 1999, les représentants des 133 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) se réunissent à Seattle. L’OMC est une bureaucratie complexe qui succède en 1995 à l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT) et compte alors 135 membres. Son rôle est de « servir de cadre institutionnel commun pour la conduite des relations commerciales entre ses membres concernant les questions liées aux accords et instruments juridiques »322. Sa mission est de libéraliser les échanges c’est-à-dire de limiter les entraves au commerce mondial en « reconnaissant que les rapports entretenus entre les membres dans le domaine commercial et économique sont orientés vers le relèvement des niveaux de vie, la réalisation du plein emploi et d’un niveau élevé et toujours croissant du revenu réel et de la demande effective, et l’accroissement de la production et du commerce de marchandises et de services, tout en permettant l’utilisation optimale des ressources mondiales conformément à l’objectif de développement durable »323. A ce titre, Elain Coburn avance que l’OMC répond à deux fonctions idéologiques majeures : « souligner l’inévitabilité des institutions du marché libéral » et « l’identification de ses objectifs aux buts de l’humanité »324. La conférence accueille à Seattle et pour la première fois les représentants des deux derniers Etats membres : le Russie et la Chine. L’enjeu de la conférence est important puisqu’il s’agit de lancer le Cycle du Millénaire (Millenium Round). Ce nouveau cycle de négociations doit permettre de fixer les nouvelles règles encadrant les échanges internationaux de marchandises, de produits agricoles et de services pour les décennies à venir. Quelques jours avant l’ouverture de la réunion, lors des réunions de préparation de la conférence, Mike Moore, directeur général de l'OMC, rappelle :

‘« Cette conférence sera décisive pour notre institution et déterminera la qualité des relations commerciales entre les nations en ce début du nouveau millénaire. […]Le monde entier aura les yeux rivés sur la Conférence de Seattle. Imaginez quel serait le coût d'un échec. Il est encore possible qu'au mépris de nos intérêts mutuels, et refusant de concilier des exigences divergentes, nous ne parvenions pas à nous mettre d'accord à Seattle, ou pire encore, que nous aboutissions à un constat d'échec. Qu'est-ce que cela signifierait? Que nous aurions privé les pauvres d'un sort plus juste? Que nous aurions arrêté le progrès? » 325

Pourtant, la conférence est un échec. C’est d’abord un échec politique au sens où le Cycle du Millénaire n’est pas lancé. Les deux principales raisons sont connues : la traditionnelle divergence entre les Etats-Unis et l’Europe sur le dossier agricole, d’une part, la volonté sans précédent des pays en voix de développement de faire entendre leur voix, d’autre part326. Mais, c’est également un échec symbolique au sens où le sommet des responsables politiques est largement contesté par un contre-sommet organisé à l’appel de nombreuses et diverses organisations militantes, notamment à celui des puissants syndicats de salariés américains. Dès le 29 novembre, veille de l’entame des négociations, les rues de Seattle accueillent en effet environ 50 000 personnes. C’est « la bataille de Seattle » ; c’est surtout l’émergence d’une nouvelle (du moins, perçue comme telle par la majorité des médias français) forme de mobilisation collective. Ce sont les performances et parenthèses [trip 327] antimondialisation.

Notes
322.

OMC, « Accord instituant l’organisation mondiale du commerce », 1995. Disponible en ligne sur le site de l’OMC : http://www.wto.org/french/docs_f/legal_f/04-wto.pdf . Page consultée le 12 novembre 2002.

323.

idem

324.

COBURN Elaine, « Les vicissitudes du système mondial », WIEVIORKA Michel (dir), Un autre monde, Paris : Balland, p.155-175, 2003

325.

MOORE Mike, Allocution à l'occasion de la Conférence nationale sur le Cycle du millénaire, Rome, 11 novembre 1999. En ligne sur le site de l’OMC : URL : http://www.wto.org/indexfr.htm . Page consultée le 14 juillet 2004.

326.

PAUGAM Jean-Marie, « L’OMC victime de la mondialisation ? », Problèmes économiques, Paris : La documentation française, n°2915, 2007, p. 2-11

327.

GOFFMAN 1991