Conclusion

Cette seconde partie de notre travail –« l’antimondialisation comme événement »- s’attachait à rendre compte de la configuration événementielle de l’antimondialisation. Dans un premier temps, et en reprenant à notre compte certaines propositions d’Alice Krieg-Planque, nous avons insisté sur le caractère formulaire que revêt le terme « mondialisation ».

C’est dans le contexte d’une société mondiale qui commence à penser sa globalité que le terme apparaît dans les années 60 au sein des discours scientifiques. Au cours des années 80, il est ensuite largement assimilé par les acteurs de l’économie, principalement de la finance. Puis, c’est à partir du milieu des années 90 que le terme s’impose véritablement comme formule au cœur de l’espace public, et ce principalement au sein des discours médiatiques. Dès lors, la mondialisation (le mot et la chose) s’impose comme objet de débat et les usages dogmatiques et polémiques l’investissent d’importants enjeux sociopolitiques.

Au sein de la presse écrite française, la périphérie des journaux est clairement un espace privilégié pour alimenter le débat (autrement dit, pour renforcer le caractère formulaire du terme). C’est principalement dans cet espace spécifique du dispositif sémio-discursif des journaux que la mondialisation est interrogée et qu’elle s’impose de plus en plus fréquemment comme le prisme par lequel sont pensés les problèmes contemporains (chômage, environnement…). Des textes fondateurs comme celui d’Erik Izraelewicz sur le mouvement de décembre 1995 illustrent l’émergence d’une nouvelle lecture du monde. Un nouveau cadre d’interprétation s’impose autour de la dénonciation des effets perçus comme pervers de la mondialisation néolibérale et de la condamnation des institutions internationales. Ce sont les prémisses d’un mouvement qui ne porte pas encore son nom.

L’apparition du néologisme «antimondialisation », événement discursif qui constitue en soi un discours sur la mondialisation, prolonge l’événement Seattle et l’institue comme acte originel au sein de l’espace des discours de presse. L’événement donne naissance à l’antimondialisation. C’est à travers cet événement que le cadre appliqué à l’antimondialisation trouve ses principaux attributs (dimension constructiviste du cadre). En termes de pratique journalistique, Seattle offre la référence à partir de laquelle se construit l’antimondialisation. C’est le discours de l’imaginaire démocratique, le spectacle d’une démocratie à l’échelle mondiale, l’illustration d’une volonté citoyenne de réappropriation des grandes orientations que doit suivre le monde à l’aube du nouveau siècle.

Le cadre appliqué à Seattle est ensuite appliqué et actualisé au cours de la configuration du paradigme événementiel (dimension structuraliste) ; et c’est ainsi que l’antimondialisation se construit comme identité et comme récit. Le cadre et son actualisation dans le paradigme événementiel guident et rationalisent la pratique journalistique ; et illustrent la capacité des médias à organiser le monde et l’ordre social (information comme connaissance) par souci d’économie cognitive, par souci, également, de stabilisation et d’objectivation du monde commun. C’est par la médiation du cadre et le renouvellement de ses attributs (mobilisation de la figure de José Bové ou de certains mots d’ordre par exemple) que la presse française participe à instaurer un rapport spécifique et partagé de l’antimondialisation (monde commun).