I.1. Rappel du contexte politique

Le « Groupe des 8 » (Allemagne, Canada, France, Etats-Unis, Italie, Japon, Royaume-Uni et Russie525) est un groupe de discussion et de partenariat économique ; et, à ce titre, ne repose sur aucune structure ou organisation pérenne. La fonction première du G8 est d’amener les leaders des principaux pays industrialisés à se rencontrer pour réfléchir ensemble aux grands problèmes économiques mondiaux. Ils sont également amenés à se prononcer sur les questions majeures de politique internationale.

A Gênes, l’organisation du sommet qui se déroule les 20 et 21 juillet est pavée de bonnes intentions par des dirigeants méfiants vis-à-vis des manifestants qui, depuis Seattle, accompagnent les sommets internationaux. Au centre des discussions : la pauvreté, l’annulation de la dette des pays en grande difficulté et, du côté européen, la volonté de préserver le protocole de Kyoto auquel les Etats-Unis viennent de tourner le dos. Sont également inscrits à l’agenda la sécurité alimentaire et quelques dossiers diplomatiques (Moyen-Orient et Macédoine notamment). Le contre-sommet est d’autant plus attendu que l’Italie offre alors un paysage politique contrasté : d’un côté, le gouvernement Berlusconi accueille des formations d’extrême-droite, de l’autre, l’Italie connaît un renouveau contestataire issu de la recomposition de l’espace des luttes526.

Depuis Seattle, les contre-sommets sont presque systématiquement marqués par des actes de violence. Les auteurs des violences apparaissant comme largement minoritaires, la presse délaisse en partie ces actions au profit de l’imaginaire démocratique qui soutient originellement les discours sur l’antimondialisation. A Gênes, les services de sécurité ont anticipé la venue des manifestants : les dirigeants se rencontreront dans le centre-ville, dans la « zone rouge », périmètre d’environ 4 km2 totalement interdit à la circulation et protégé par des blocs de béton et des filets métalliques de plusieurs mètres de haut. Une « zone jaune », soumise à de plus légères restrictions de circulation, est également instaurée comme zone de filtrage et, en cas de nécessité, comme zone de protection. Par ailleurs, l’Italie suspend du 11 au 21 juillet la convention de Schengen sur la libre circulation qui la lie normalement à ses Etats voisins. Pour la sociologue des mouvements sociaux italiens Donatella Della Porta, « s’il est vrai que dès avant Gênes, les gouvernements s’étaient déjà écartés de la stratégie de l’ordre public négocié, c’est clairement à Gênes que le choix du mode de contrôle de la contestation s’en est le plus nettement éloigné »527.

Ce dispositif concret de sécurité est naturellement un appel à l’action symbolique pour de trop nombreux manifestants qui s’acharnent à tenter de franchir les multiples obstacles qui les séparent de la zone interdite. Au cœur de la diversité du mouvement antimondialisation, la violence est adoptée par une minorité comme mode spécifique d’affirmation politique. C’est notamment le cas des spectaculaires  Black Blocs 528 et des plus officielles et structurées Tute Bianche 529 dont l’apparition illustre le constat de Jean Preposiet : « En riposte aux tendances mondialistes de l’hypercapitalisme, il existe un contrepoids « multinational » à la mondialisation et, à travers les mouvements pacifiques ou violents qui se succèdent dans le monde entier, on devine un regain des forces vives de l’anarchisme »530. Notons que si la critique des médias est un axe fort du discours des militants des Black Blocs et des Tute Bianche (et de l’ensemble de l’antimondialisation), reste que leur répertoire d’action spectaculaire vise clairement à obtenir une importante visibilité médiatique.

Face à eux, les forces de sécurité sont débordées. Les violences culminent avec la mort d’un jeune manifestant. Alors qu’il tente de briser les vitres d’une voiture de police à l’aide d’un extincteur, il est tué par une balle tirée par un carabinier. L’antimondialisation fait face à la mort ; les discours médiatiques jusqu’alors tenus sur le mouvement aussi. La dimension imprévue et tragique de l’événement confronte en effet les journalistes à un problème d’interprétation.

Notes
525.

Le groupe apparaît comme G6 lors de sa création en 1975, pour devenir G7 à l’intégration du Canada en 1976 puis G8 avec l’arrivée de la Russie en 1998. De nombreux autres pays peuvent être associés aux négociations lors des sommets.

526.

DELLA PORTA Donatella, MOSCA Lorenzo, « Les origines du « Mouvement des mouvements » italien, in SOMMIER Isabelle (et al.), Généalogie des mouvements altermondialistes en Europe, Paris : Karthala, p. 165-186 2008

527.

DELLA PORTA Donatella, « Mouvement « anti-mondialisation » et ordre public. Le cas de Gênes », Les cahiers de la sécurité intérieure, n°47, « Penser la violence », p. 50-77, 2001, p. 53

528.

 « Le Black Bloc est une forme d'action collective très typée, qui consiste pour des individus masqués et vêtus de noir à former un cortège (un bloc noir) au sein d'une manifestation. II n'y a pas un Black Bloc, mais des Black Blocs, chacun se formant à l'occasion d'une manifestation pour se dissoudre avec elle. La taille des Black Blocs varie de quelques dizaines à quelques milliers d'individus. […]L'objectif premier d'un Black Bloc est d'indiquer la présence dans la manifestation d'une critique radicale du système économique et politique. […]Les Black Blocs ont recours à la force pour exprimer leur critique radicale, ce qui en fait l'objet de vives polémiques ». DUPUIS-DERI Francis, « Penser l’action directe des Black Blocs », Politix, n°68, p.79-109, 2004

529.

 Les Tute Bianche sont des partisans de la désobéissance civile qui se distinguent par « un refus pragmatique de la dichotomie violence/non-violence, des références au zapatisme et une pratique du terrain symbolique de l’affrontement ». BUI Robert, « Lettre sur les Tute Bianche », Multitudes, n°7, 2001

530.

PREPOSIET Jean, Histoire de l’anarchisme, Paris : Tallandier, 2002, p. 342