I.3.1. Dispositif et discours pour Le Figaro

I.3.1.1. Stratégie de titraille

Le titre de presse apparaît comme un discours à part entière bien qu’il soit le fruit d’un discours antérieur. Autonome, il oriente la lecture, condense le sens en un énoncé minimal et participe à son ancrage à la manière d’une légende photographique. Pour Gérard Imbert, il relève à la fois d’ « une référentialisation (effet d’objectivité) et d’un encodage : une transcription qui in-forme le monde selon un certain nombre de critères formels mais en fonction de tout un préconstruit collectif en rapport avec l’ensemble de la formation idéologique. »575 Une et titraille de Une, 21/22 juillet 2001, Le Figaro :

Il est intéressant d’analyser le discours de Une du Figaro en respectant le parcours de lecture habituellement reconnu (du titre au chapeau puis à la photographie/légende, et enfin au corps de l’article). Le titre principal est informationnel. L’absence d’élément verbal le rapproche, néanmoins, d’un titre référentiel. L’adjectif «sanglant » condense le sens et donne à penser l’importance des faits qui se sont produits sans pour autant indiquer explicitement la mort du jeune manifestant. Le chapeau précise le titre principal et remplace l’adjectif évoqué par un bilan chiffré qu’il juxtapose (à l’aide des deux points) à l’évocation de « la plus violente manifestation antimondialiste ». Par cette juxtaposition, l’énonciateur omet les conjonctions (ou d’autres éléments de liaison) et produit ainsi un effet d’objectivité en masquant son intervention dans la mise en sens. Or cet effet est trompeur en ce qu’il associe la personne décédée (dont nous ne connaissons, à cet instant de notre parcours de lecture, encore rien du statut) à la manifestation de telle sorte que l’on pourrait croire qu’elle a été victime des militants. Il faut d’ailleurs noter la tournure passive du chapeau (« l’ouverture du G8 endeuillée… ») et la fonction complément d’agent de la proposition « par la plus violente manifestation antimondialiste ».

Ce chapeau couvre une photographie sur laquelle se dessine un groupe imposant de manifestants, armés de boucliers et de casques, dont les membres du premier rang sont tournés vers le photographe. Bien que l’ « effet » produit par une image relève grandement de la subjectivité, nous pouvons légitimement avancer que celle-ci présente une figure des manifestants menaçante et anxiogène. La légende précise d’ailleurs : « Munis d’équipements protecteurs et de masques à gaz, derrière leurs boucliers, les manifestants ont multiplié les charges. »

Ainsi, si nous reprenons la théorie de l’autonomie de la titraille (nous y incluons la photographie et sa légende), il apparaît rapidement que celle-ci présente une importante lacune dans sa fonction d’informativité : quel est le statut de la personne décédée ? est-ce un policier ? un manifestant ?… Le titre principal, la structure passive du chapeau et le superlatif désignant la violence de la manifestation, ajoutés à la photographie et à sa légende encouragent même clairement à penser que la personne décédée a été victime des manifestants. Le péritexte survolé, ce n’est qu’à la lecture du corps de l’article que le lecteur peut réellement saisir le statut de la victime. Première phrase de l’article :

‘« Les antimondialistes ont leur martyr : un manifestant qui tentait de casser les vitres d’une voiture de police, en lançant un extincteur, a été blessé hier par une balle tirée par un carabinier, avant d’être écrasé par le véhicule.» 576

Nous pouvons imaginer que le positionnement de l’information en fin de parcours de lecture ne répond pas d’une volonté de captation du lecteur (titraille comme réclame) dont Le Figaro n’est pas un habitué comme peut l’être la presse populaire. Nous rejoignons ainsi Gérard Imbert quand il présente le titre comme « le lieu privilégié de production du réel dans lequel s’investit l’idéologique dans le texte journalistique. Il est comme le miroir grossissant et déformant des choix stratégiques du journal. »577

En page intérieure, le titre principal, celui qui couvre la totalité des articles ayant trait au G8, use à nouveau d’une structure passive qui situe « les Huit » en position de victime. Titraille intérieure :

Il est nécessaire, enfin, de noter que les affrontements de la journée du vendredi et la mort du manifestant ne perturbent pas la mise en page habituelle. Elle reste identique aux jours précédents tout comme la répartition entre articles sur le sommet et articles axés sur le contre-sommet. Autrement dit, le dispositif habituel mis en place par le quotidien passe l’épreuve de la violence et de la mort. Nous aborderons la photographie du corps de Carlo Giuliani, située en page 2, par la suite en parallèle à celle proposée par Libération en Une.

Notes
575.

IMBERT, 1988, p. 76

576.

« Sanglants combats de rue à Gênes », 21-07-01, Le Figaro

577.

IMBERT, 1988, p. 76