I.3.1.2. La politisation des militants

Dans son édition du vendredi 20, Le Figaro privilégie la désignation « contestataires ». Dans celle du week-end, le terme disparaît. Relevé des désignations utilisées dans les deux articles portant sur les faits de violence de la veille578:

Désignations qui renvoient à une idéologie politique Désignations qui renvoient à un type de comportement Désignations habituelles 579
-anarchistes (4 fois)
-les manifestants de l’Internationale des casseurs
-20 à 30 000 autonomes des centres sociaux
-trotskistes, communistes et non communistes
-autonomes et anarchistes
-autonomes italiens
-activistes (6 fois)
-casseurs
-extrémistes
-antimondialistes (2 fois)
-manifestants (2 fois)
-anti-G8
-jeunes protestataires
-militants

« Activiste » est la désignation privilégiée par Le Figaro (six occurrences) et renvoie à « une doctrine qui prône le recours à l’action violente pour faire triompher une idée politique »580. Cette dernière est clairement identifiée par Le Figaro qui use, contrairement à la veille, de nombreuses désigantions qui associent les manifestants à une idéologie que l’on qualifie de manière très large de «rouge et noire ».

Un travail de thèse est orienté par des hypothèses. Nous imaginions ainsi que Le Figaro assimilerait les auteurs des violences à des « casseurs » et leurs actes à une violence privée de sens, sans motivations politiques. Or, la stratégie se révèle contraire à nos attentes. Ainsi, le terme « casseurs » se retrouve simplement à deux reprises. De plus, s’il est employé une fois de manière isolée, il participe dans le second cas à une expression aux connotations clairement politiques « l’Internationale des casseurs »581. Loin de dépolitiser la violence produite, Le Figaro insiste donc largement sur l’horizon politique supposé des manifestants violents.

Ce vocabulaire s’inscrit dans un discours au sein duquel est mise en valeur la compétence des manifestants -leur vouloir faire-mais également leur performance négative :

‘- «  les anti-G8 ont tenu parole »
- « ils mettent le feu à plusieurs dizaines de bennes à ordures et à de nombreuses voitures. Au moins, une agence du Credito Italiano est pillée »
- « précédés de tambours et drapeaux noirs […] ils marquent leur passage par d’épais panaches de fumée noire  »
- « un véhicule isolé est pris d’assaut »’

Si nous resituons la première phrase de l’article de Une (« Les antimondialistes ont leur martyr ») au sein de la structure narrative générale, la mort de Carlo Giuliani semble s’inscrire dans la performance des manifestants eux-mêmes. La mort du jeune manifestant est le tragique résultat relevant de la violence même des militants. Cette stratégie narrative dédouane les forces de l’ordre de leur éventuelle responsabilité et préserve la légitimité de la violence d’Etat. « La présomption de légalité »582 dont profite la violence d’Etat en démocratie profite aux forces de l’ordre italiennes.

Remarquons pour conclure que l’éditorial du week-end ne s’attache pas aux événements génois, et ce, contrairement à ceux de Libération et du Monde. Or, si l’on accepte l’idée que le métadiscours de l’éditorial « renvoie moins à l’événement lui-même, pris comme objet d’une série chronologique, […] qu’à sa place dans le réseau des signes qui constitue le discours social »583, nous pouvons penser que Le Figaro accorde une importance somme toute relative à l’événement la mort d’un manifestant ; ce dernier reste un micro-événement, périphérique à l’événement sommet/contre-sommet.

Notes
578.

« Sanglants combats de rue à Gênes », « Les Huit assiégés par la violence », 21-07-01, Le Figaro

579.

Une dénomination « habituelle » a été utilisée dans les éditions de la veille par au moins un des quotidiens.

580.

Dictionnaire encyclopédique, Paris : Hachette, 1997

581.

« Sanglants combats de rues à Gênes », 21/22-07-01 Le Figaro

582.

BRAUD, 1993

583.

IMBERT, 1988, p. 178