I.3.2.2. Un schéma narratif qui met en cause les services de sécurité

Le Figaro insiste principalement sur la performance négative des manifestants et préserve ainsi l’image des forces de l’ordre comme garantes de la sécurité des biens et des personnes. Nous assistons en revanche dans Libération à un retournement du schéma narratif et des figures actancielles.

Deux figures s’opposent : d’un côté, un sujet (les manifestants / Carlo Giuliani), de l’autre, un anti-sujet, les forces de l’ordre. Le discours exprime le vouloir faire antagoniste des deux figures. Concernant les qualifications des figures, Libération s’attache à mettre en valeur la disproportion entre les capacités matérielles des uns et des autres à travers son discours et ses procédés typographiques. C'est, en quelque sorte, le mythe intemporel de David et Goliath –« paradigme épique de la résistance », selon Bernard Lamizet586. Ainsi, dans un article, deux intertitres se suivent et mettent en opposition587 :

‘« Coup de feu » Vs « Bouclier de Plexiglas »’

Cette disproportion contribue à l’établissement d’un nouveau schéma narratif. Dans une première configuration (veille du sommet/contre-sommet), le vouloir faire des autorités est parfaitement légitime et répond au nécessaire monopole étatique de la violence alors que celui des manifestants apparaît, à travers leur projet, comme pénalement condamnable. Mais l’acquisition de compétences déséquilibrées et la performance négative accordée aux autorités à travers tout un jeu de modalisations, modifient cette configuration narrative et un nouveau schéma apparaît au sein duquel l’action légitime des forces de l’ordre se transforme en une action condamnable. Autrement dit, la présomption de légalité accordée à la violence d’Etat disparaît.

Puisque les forces de l’ordre sont le visage immédiat de l’Etat, ce renversement permet à Libération de développer une phase de sanction qui associe les forces de l’ordre au gouvernement italien. L’éditorial, intitulé ainsi « Inexcusable »588 est la pièce essentielle du jugement et de la phase de sanction portée par le quotidien. Libération remet ainsi en cause l’Etat comme figure de rationalité –celle-là même qui fonde le monopole étatique de la violence. Dans ce modèle, la violence peut alors se justifier puisqu’elle est réponse à une violence antérieure.

Notes
586.

LAMIZET 2002, p. 329

587.

« Gênes : la contestation tourne au chaos », 21/22-07-01, Libération

588.

« Inexcusable », 21/22-07-01, Libération