I.4. Le temps de l’évaluation : valeur médiatique et usage stratégique du mort

Quand Daniel Dayan et Elihu Katz analysent les cérémonies télévisuelles, ils rappellent que celles-ci reposent sur un contrat qui lie les promoteurs de l’événement et le public présent sur les lieux de l’événement. A ce titre, ils précisent : « On peut parler d’un contrat violé lorsque l’événement figure le point de rencontre entre l’idéal démocratique qu’il incarne et des pratiques qui rejettent activement cet idéal »592. Dans notre perspective, ce ne sont pas tant des pratiques qui excèdent les attentes de normalité mais les conséquences de ces pratiques. La rupture se situe non tant dans les violences, qui sont largement anticipées, que dans leur conséquence tragique, la mort d’un manifestant. L’accident rompt la normalité et « au lieu de constituer une contribution sciemment programmée à une structure sociale […], il favorise des révélations sur des points volontairement masqués, le reste du temps, par ceux qui disposent des moyens de créer des événements de routine »593.

Face à l’accident, face à la mort de Carlo Giuliani, et au sein même de l’espace des discours médiatiques, « des objectifs immédiats en conflit aboutissent à des comptes rendus concurrents de ce qui s’est passé ou, ce qui est une variante de la même question, à des débats pour décider si quelque chose de réellement significatif s’est produit ou non »594. Ce qui est en jeu dans l’évaluation de l’événement proposée par la presse, c’est la valeur médiatique de l’événement595 et « l’usage stratégique » dont il est l’objet. C’est aussi la constitution de la violence comme problème public, modélisation en problème public inséparable de la question de sa mise en discours : « modes définitionnels, constructions argumentatives, trajets narratifs adoptés ne viennent pas à l’appui d’un problème qui serait préalablement public : ils en sont les éléments constitutifs qui, dans une forme de tissage socio-discursif permanent, tracent à la fois l’extension et les limites d’un problème »596.

Notes
592.

DAYAN, KATZ 1996, p. 64

593.

MOLOTCH, LESTER, 1996, p. 36

594.

idem, p.27

595.

La valeur médiatique qu’un journal accorde à un événement peut être illustrée, à un niveau synchronique d’une part, par la surface rédactionnelle qui lui est accordée et, à un niveau diachronique d’autre part, par la durée de son inscription au sein de l’agenda.

596.

DELFORCE, NOYER, 1999