I.4.2. Libération : la valorisation d’un positionnement

Libération poursuit son traitement des événements de Gênes jusqu’au vendredi 27 juillet et apparaît ainsi comme le quotidien accordant la couverture la plus large des violences. Au lendemain de la clôture du sommet, la Une et la rubrique « L’événement » s’attachent très largement aux violences liées au contre-sommet.

Nous nous attardons sur l’édition du vendredi 27 car elle marque la clôture de l’événement et la phase ultime de l’évaluation. La Une lui est réservée aux deux tiers, ainsi que les trois premières pages intérieures. Commençons par la une :

Le bloc de titraille de l'édition du vendredi 27 se différencie notamment par un énoncé référentiel, « Gênes », assimilable à une rubrique, qui précède la dynamique informationnelle. L'instauration de ce titre-rubrique, même s’il est provisoire, institue Gênes comme une référence et, indirectement, présuppose un savoir. Pour Jean Gouazé, « la présupposition est un acte de parole dans la mesure où elle donne l'univers sémantique dans lequel le contenu doit être compris, en même temps qu'elle définit le champ possible de la parole ultérieure. »599 Autrement dit, une semaine après la clôture du sommet, l’intitulé « Gênes » est encore à même de fonctionner comme une référence dont il n’est pas utile de rappeler le contexte.

Ce titre référence, ou rubrique, précède un titre typographiquement mis en valeur et qui insiste sur le malaise instauré depuis le sommet. La cause du malaise est précisée par le chapeau qui insiste sur les demandes d'enquête concernant la brutalité des forces de l'ordre. Le choix de la photographie - un policier en position d'attente, armé, portant un masque à gaz et un casque, tourné de trois quart - peut sans doute être assimilable à une prise de position. Le policier représenté constitue en effet une figure clairement menaçante. Le caractère anxiogène de l'illustration est confirmé en pages intérieures avec la photographie de la page 3: un policier, habillé à l'identique, est en train de battre un manifestant à terre. Le choix et la disposition des photographies instaurent une dynamique entre la page 1 et la page 3 qui encourage à voir un seul et même policier, d'une position d'attente à une situation d'action.

La matière iconique semble ainsi participer directement à la stratégie d'attribution des responsabilités du quotidien. Néanmoins, Libération précise et développe sa position au sein des articles en proposant une chaîne de responsabilité. Sept jours après le G8, les faits sont connus. Libération privilégie donc un discours qui tend à fournir les raisons pour lesquelles les faits se sont produits et ce qu’ils signifient. La chaîne de responsabilité proposée peut être ainsi schématisée:

  1. militarisation de la ville + minorité violente
  2. action répressive mal dirigée
  3. légitimité des actions policières pourtant confirmée par les ministres…
  4. … et par Berlusconi

Dans le texte600 :

1 -« la nuisance exercée par cette violence politique »
-« malheureusement les condamnations verbales de la violence sont dépourvues d'efficacité face à son irruption réelle »
-« certaines déclinaisons de ce type de guérilla urbaine ont débouché sur le terrorisme pur et simple »
2 -« la brutalité de la police italienne »
-« dérapages […] parfaitement contrôlés, voire télécommandés »
-« déchaînement répressifs bien au-delà des règles d'un Etat de droit »
-« passages à tabac, insultes, brimades en tout genre »
- « les forces de l'ordre se seraient déchaînées, brutalisant les interpellés et chantant les louanges du Chili »
3 -« un gouvernement conservateur aux alliances nauséeuses »
-« le gouvernement a essayé de faire croire que les problèmes venaient d'un conflit entre générations »
-« les critiques contre le gouvernement se multiplient »
4 -« applaudis par Berlusconi »
-« [les manifestants défilent] aux cris de « Berlusconi, assassin » »

Cette chaîne de causalité permet de problématiser les affrontements et la mort de Carlo Giuliani et confirme ainsi les propos de notre analyse de l'édition du week-end précédent. La force de la répression encourage Libération à absoudre les militants, dont la minorité violente, de leurs responsabilités. Les événements sont intégrés à un système de causalité dans lequel les initiateurs de la répression sont le gouvernement italien et son Premier ministre, Silvio Berlusconi, et dans lequel la foule est victime, foule antimondialisation au sein de laquelle la distinction entre violent et non-violent s’estompe. L’événement s’impose clairement comme une ressource à même de valoriser le positionnement du quotidien.

Notes
599.

GOUAZE Jean, « L’énonciation des titres », in GOUAZE Jean, MOUILLAUD Maurice, TETU Jean-François, Stratégies de la presse et du droit. La loi de 1920 et l’avortement au procès de Bobigny, Lyon : Presses universitaires de Lyon, p. 119-169, 1979, p. 133

600.

« Malaise en Europe après la secousse de Gênes », « Défilé à Paris contre les « assassins » », « Fracture » [éditorial], 27-07-01, Libération