I.4.6. Le Point : l’antimondialisation interrogée

Le Point participe à l’évaluation de l’événement dans son édition du 26 juillet dont la Une laisse apparaître un bandeau « Gênes ondes de choc ». Ce sont six pages qui s’attachent directement au contre-sommet et à ses violences608 et seulement deux aux modestes conclusions du sommet609. Il ne s’agit pas pour Le Point de dresser, tel Libération, une chaîne de causalité à même de valoriser son positionnement. Militants et policiers sont mis dos-à-dos sur le registre de la tragédie :

‘« Des images de guerre. La fureur, la fumée des brasiers, les cris de haine et de douleur. Dans la tiédeur d’un été méditerranéen à l’atmosphère vacancière, des mêlées confuses, des coups, des corps ensanglantés. Des cohortes de manifestants harnachés comme des centurions romains, des policiers harcelés, exaspérés, épuisés par des nuits de veille, qui frappent indistinctement. Et puis le drame : un jeune conscrit du corps des carabiniers terrorisé, assailli dans son véhicule, tire, tue un gamin à peu près du même âge. « Deux vies gâchées », dira très digne le père effondré de la malheureuse victime tombée au champ d’honneur d’une cause incertaine. » 610

Pour Le Point, ces violences illustrent l’éclatement de l’antimondialisation tiraillée entre le réformisme de la majorité et le radicalisme d’éléments moins nombreux :

‘« A Gênes dans la zone rouge jaune, livrée à la guérilla urbaine, des dizaines de milliers de manifestants pacifistes ont été débordés par des tribus de guerriers post-modernes –le Black Bloc- vêtus de noir, casqués et armés de barres de fer. Un scénario qui a vu le mouvement antimondialisation voler en éclat. » 611

En fait, l’évaluation de l’événement dans Le Point est largement prise en charge par le « Bloc-notes de Bernard Henri-Lévy » (titre de la rubrique, située en avant-dernière page de chaque numéro). Chose rare, la chronique du philosophe s’étale sur deux éditions : celle du 26 juillet et celle du 2 août. L’auteur rappelle la distinction entre « la minorité de barbares […] qui n’étaient venus là que pour dire et semer la haine » et « l’immense foule des manifestants ordinaires dont nous sentons bien qu’ils ne partageaient ni les buts ni les méthodes des apôtres de la guérilla urbaine ». Mais c’est surtout l’occasion d’interroger l’antimondialisation en dépassant largement la question des événements de Gênes :

‘« On pourrait encore regarder de plus près l’idéologie antimondialiste qui se met en place depuis quelque temps et qui charrie le meilleur mais aussi le pire : quid par exemple de l’apologie des « bonnes » cultures locales opposées à la « mauvaise » culture mondiale ? quid des relents de fondamentalisme que l’on retrouve derrière nombre de condamnations du « mondialisme » en tant que tel ? et nous sommes-nous débarrassés des terribles mirages de la volonté de pureté totalitaire pour voir de jeunes amnésiques (Naomi Klein) ou des chevaux de retour des années 60 (Noam Chomsky) en recycler des vieilles lunes ? » 612

Et le philosophe de poursuivre la semaine suivante :

‘« Donc je reprends. Ce qui n’est pas recevable de la part des antimondialistes, c’est la haine du marché comme tel, l’antiaméricanisme, l’intégrisme communautaire, le « libéralisme » cloué au pilori. […] Bref, que l’antimondialisme chasse de sa rhétorique les accents d’une idéologie millésimée qui signe trop souvent son appartenance au monde d’hier. Alors et alors seulement il prendra la place qui lui revient dans le débat intellectuel et politique de l’Europe d’aujourd’hui. » 613
Notes
608.

« Gênes ondes de choc », « L’éclatement des antimondialistes », 26-07-01, Le Point

609.

« Le sommet des dupes », 26-07-01, Le Point

610.

« Gênes. Onde de choc », 26-07-01, Les Echos

611.

« L’éclatement des antimondialistes », 26-07-01, Le Point

612.

« Débattre avec les antimondialistes », 26-07-01, Le Point

613.

« Débattre avec les antimondialistes. La suite », 02-08-01, Le Point